Nous vivons sous une sorte de monarchie collégiale qui voit son crépuscule et le prend pour l’aurore. Guerres, bras de fer, blocages et paralysie des institutions pour le partage du pouvoir, incapacité à définir les contours d’un budget viable et, pour finir, le remplacement d’une brave économie basée sur le commerce et les services par une sorte de monstrueux jeu de hasard appelé « économie néolibérale ». Combien de temps pouvait encore durer cette prestidigitation sans se découvrir ? Chaque communauté naguère assurée de grappiller auprès de son roitelet quelques droits basiques déguisés en privilèges n’en revient pas de se retrouver désormais aussi démunie que les autres. Le moment est venu parce que toute chose a une fin et que les représentants de ce pouvoir ont creusé leurs tombes avec leurs dents, de voir la nuit tomber sur leur règne. Alors que l’incertitude et la précarité sont aujourd’hui, à divers degrés, le lot de tous, il se passe malgré tout quelque chose d’infiniment beau au pays du Cèdre, et l’automne y a le parfum d’un printemps inouï.
Trois forces émergent, dont la poussée a sans aucun doute ébranlé l’orgueilleuse tour d’ivoire qui protège et isole la classe politique de la réalité. La société civile d’abord. N’ayant pour unique préoccupation que les affaires et la « haute politique », l’État a été remplacé dans ses responsabilités sociales et environnementales par les associations et les initiatives privées. Les « gens » ont patiemment décousu les artificiels cloisonnements territoriaux en allant les uns vers les autres et en s’appropriant spontanément l’ensemble du pays et son patrimoine malmené. D’innombrables petits gestes mis bout à bout ont réactivé le tourisme, l’artisanat, la gastronomie, la production locale et la culture de paix à travers les arts et la musique, et rendu à Tripoli, Saïda, Tyr, villes isolées par leurs commandements politico-religieux, l’intérêt et, oui, l’affection qui leur manquaient pour se sentir libanaises. À cela s’ajoute la lutte quotidienne de certains groupes, appuyés sur les réseaux sociaux et la vitalité de la scène artistique pour alléger les souffrances des malades ou aider les retraités qui vivent bien en deçà du niveau de pauvreté tolérable. Sans oublier la réhabilitation des demeures et architectures abandonnées, ni les actions énergiques pour arrêter les abus environnementaux, notamment les projets d’incinérateurs – promesses de commissions pour les responsables et de maladies pour les habitants – ou encore le malveillant projet de barrage à Bisri.
Une autre force qui monte est celle des femmes, les plus dynamiques pourtant sur ces scènes de la vie réelle. Souvent chefs de famille dans un contexte de rareté de l’emploi, elles n’en sont pas moins traitées en citoyennes de seconde zone tant par leurs communautés religieuses que par leurs propres milieux. Sous-payées, souvent privées de leurs enfants par les tribunaux religieux en cas de divorce, privées du droit de transmettre leur nationalité, parfois recluses, victimes de violences conjugales ou écartées de leur héritage, il est naturel qu’elles soient les premières à monter au créneau et porter l’estocade à ce règne patriarcal qui n’en finit pas de finir, misogyne, homophobe, xénophobe, condescendant, encrassé de tabous et de testostérone. La laïcité et la fin de la structure confessionnelle du pouvoir passeront par elles ou ne passeront pas. Et, à propos, soyez gentils, ceux qui véhiculent des listes fantasmées de candidats « idéaux » au prochain gouvernement et dans lesquelles ne figurent que tout au plus quatre femmes pour une vingtaine d’hommes. N’oubliez pas la meilleure moitié de la révolution !
Enfin les jeunes. Comment ne pas voir un soleil à la seule évocation de ce mot ! Ceux-là vous riront franchement au nez quand vous leur direz que vous avez peur. Vous avez peur des épouvantails du passé qu’il leur a été épargné de connaître. Vous avez peur de perdre vos représentations communautaires. « Si ce président tombe, le Liban n’aura plus jamais de président chrétien », tremblent certains. À ceux-là, ils répondent : « La belle affaire », l’efficacité ne connaît pas de religion. Vous avez peur de les voir rater leurs cours ou se faire renvoyer de l’école, mais voyez-vous, ils ne peuvent plus concevoir l’école comme l’espace carcéral que nombre d’entre vous ont subi. L’école transmet des valeurs et socialise, elle n’a plus l’exclusivité de l’instruction, et il est temps que disparaissent les « écoles privées du pauvre », officines malhonnêtes et étriquées au profit d’un réseau scolaire public digne de ce nom. Égalité et entraide sont les vocables de cette révolution qui ne connaît de maître et de guide que la connivence de ses forces et la convergence de leurs désirs. L’ère numérique signe décidément la mort symbolique du père et de la verticalité du pouvoir, et à cet égard, le Liban est aujourd’hui le fer de lance du monde.
Nous vivons sous une sorte de monarchie collégiale qui voit son crépuscule et le prend pour l’aurore. Guerres, bras de fer, blocages et paralysie des institutions pour le partage du pouvoir, incapacité à définir les contours d’un budget viable et, pour finir, le remplacement d’une brave économie basée sur le commerce et les services par une sorte de monstrueux jeu de hasard appelé...
commentaires (11)
La première loi à inscrire dans le marbre d'une nouvelle constitution ou au pire à voter par un nouveau parlement, c'est une loi sur la TOTALE ÉGALITÉ entre femmes et hommes sur tous les plans. Loi qui viendra supplanter les lois religieuses. Sans cela, point d'avancée possible. Certes cela peut sembler obsessionnel de ma part (55 ans de prêche dans un désert peuplé d'hommes sourds et de mauvaise foi), mais rien n'a jamais avancé réellement dans le monde sans cette justice minimale. Pour ceux qui, comme par le passé, avanceront des arguments démographiques, sachez qu'ils sont totalement dénués de réalité scientifique.
Rana Raouda TORIEL
07 h 38, le 15 novembre 2019