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D’une pierre trois coups

Pour spectaculaire qu’il soit, le torpillage de son propre gouvernement par Saad Hariri ne devrait pas trop surprendre, même si le camp présidentiel affirme avoir été pris de court par cette soudaine décision. Intenable, en vérité, était devenue, depuis le 17 octobre, la position du Premier ministre écartelé entre deux impératifs qui s’avéraient, chaque jour un peu plus, inconciliables.


Saad Hariri aura avalé bien des couleuvres pour préserver le marché conclu avec le président Aoun et qui, en des temps plus sereins, était censé garantir aux deux parties, longtemps rivales, six bonnes années d’exercice du pouvoir. Si cependant le chef du courant du Futur a fini par baisser les bras, c’est en raison du refus obstiné de ses partenaires de souscrire aux diverses formules qu’il préconisait pour permettre à l’organe exécutif de se refaire une virginité aux yeux des foules en colère.


En se résignant à démissionner, Hariri escompte, dès lors, faire d’une pierre plus d’un coup. À la rue en ébullition depuis deux semaines, il offre le motif d’un tout premier sentiment de victoire : trophée fort insuffisant bien sûr, mais d’autant plus apprécié – et savouré – qu’il était décroché peu après les inqualifiables agressions perpétrées, toujours hier, par des hordes de miliciens contre les manifestants massés dans les deux principales places de Beyrouth. Plus précisément, le chef du gouvernement démissionnaire reconstitue une large part de son capital de popularité au sein d’une communauté sunnite qui ne se privait pas de montrer, ces derniers temps, des signes croissants de lassitude et même d’irritation. Témoignent de ce retour en grâce les démonstrations de rue qui ont aussitôt salué sa démission, ainsi que le soutien que lui ont démontré ses prédécesseurs au Sérail et les autorités religieuses sunnites. Last but not least, Saad Hariri montre que l’heure de vérité a sonné pour le mariage de raison qu’il contractait en 2016… et dont il constate, un peu tard, que ce n’était là en réalité qu’un aberrant ménage à trois.


Le ministre des AE Gebran Bassil, gendre favori du chef de l’État, n’est certes pas ce qu’on pourrait appeler un partenaire dormant. Successeur du président à la tête du Courant patriotique libre, dauphin du président, c’est en président avant l’heure, en président de facto et non pas en simple porte-


parole du régime, qu’il n’a cessé de se comporter ces trois dernières années. Il a multiplié provocations et crises, et c’est encore lui, toujours lui, qui figure au centre de l’épineuse question posée par la démission d’hier. Ainsi pas de remaniement du cabinet sortant, car le ministre, pourtant décrié à l’unisson par les manifestants, se refuse à décrocher en même temps que d’autres collègues eux aussi marqués. Et pas d’équipe de technocrates non plus, car le même ministre n’accepte de prendre des vacances que si Saad Hariri en fait autant. Fauteur de scissions jusqu’au cœur de la maison d’Orange, responsable de défections, dont celles de deux membres de son bloc parlementaire, Bassil aura, en somme, causé plus de tort au régime que tous ses adversaires réunis, donnant objectivement du palais l’image d’une instance momifiée qui requiert à chaque instant son dévouement zélé...


Parlant d’image, c’est cette même et incroyable maladresse que traduisent les sauvages raids de cogneurs lancés hier contre les pacifiques manifestants du centre-ville. D’envoyer des chemises noires rosser jusqu’aux femmes et vieillards en profitant d’une inexplicable défaillance des forces de l’ordre n’est pas signe de force. C’est au contraire signe de nervosité, de doute, d’incertitude, d’inquiétude : tous sentiments nouveaux pour les milices désarçonnées par une contestation qui, pour la première fois, a gagné une partie notable de leurs propres ouailles.


Violence inadmissible, violence finalement gratuite : il n’en fallait vraiment pas autant pour rappeler à quel type de société aspirent les Libanais descendus dans la rue.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Pour spectaculaire qu’il soit, le torpillage de son propre gouvernement par Saad Hariri ne devrait pas trop surprendre, même si le camp présidentiel affirme avoir été pris de court par cette soudaine décision. Intenable, en vérité, était devenue, depuis le 17 octobre, la position du Premier ministre écartelé entre deux impératifs qui s’avéraient, chaque jour un peu plus,...