Des morts qui auraient tiré sur la foule, des communiqués jihadistes appelant à manifester ou les mensonges de politiciens : à vingt ans, Sami a une ambition énorme, s'attaquer aux intox en Irak, où crise et rumeurs s'alimentent mutuellement.
La décision des autorités de couper Internet dès le deuxième jour d'un mouvement de contestation antigouvernementale, marqué par des violences meurtrières, n'y a rien fait. Depuis le 2 octobre, le réseau Tech 4 Peace, l'ONG à laquelle appartient Sami, a mis en branle ses connexions pour contourner le black-out. Ses 200 volontaires - des filles et des garçons, tous anonymes - en Irak, en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde arabe, ont scruté les informations partagées dans les médias et sur les réseaux sociaux pour trier le vrai du faux.
Les communiqués de l'organisation Etat islamique (EI) appellent à reprendre les manifestations ? Faux, répond Tech 4 Peace. Les injonctions de la famille de l'ex-dictateur irakien Saddam Hussein à défiler de nouveau dans les rues ? Encore faux.
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Condamnations à mort
Dans le contexte actuel des manifestations qui ont fait depuis le début du mois plus de 150 morts selon le bilan officiel, certaines fausses informations peuvent avoir de très lourdes conséquences, prévient Sami, qui témoigne sous un prénom d'emprunt.
Depuis des jours, "circulent des photos de personnes accusées d'avoir tué des manifestants". Ce genre de publicité revient à être condamné à mort dans la rue, assure Sami, qui indique que Tech 4 Peace a enquêté "des dizaines de fois sur des personnes accusées d'être des jihadistes et dont la photo et le nom circulaient sur internet alors qu'ils n'avaient rien à voir avec le terrorisme".
Jeudi, Tech 4 Peace a publié sur Facebook un nouveau post intitulé "Attention ! Information erronée". Ses enquêteurs y expliquent que les images de soldats accusés d'avoir tiré sur les manifestations diffusées sur les réseaux sont en réalité... celles de soldats tués au combat contre l'EI il y a plusieurs années.
Et si Tech 4 Peace continue d'être vigilant c'est parce que même si les réseaux sociaux sont toujours inaccessibles en Irak, beaucoup parviennent malgré tout à y accéder, via des applications VPN. Car en Irak, où la plupart des médias sont partisans, un grand nombre d'habitants disent préférer s'en remettre aux nombreux groupes Whatsapp et pages Facebook pour connaître l'actualité locale. Sur ces réseaux sociaux et messageries en ligne, ils sont souvent abreuvés de "vidéos aux titres trompeurs ou mal sourcées" parfois "postées par des gens, sur des pages et des comptes sur des réseaux sociaux qui parfois ne savent pas qu'ils diffusent de fausses informations", dénonce Sami. On ne compte plus sur ces groupes les documents présentés comme officiels, annonçant des décisions souvent crédibles et parfois totalement farfelues. Régulièrement, politiciens, partis et même institutions étatiques se fendent de communiqués pour dénoncer des documents contrefaits, parfois même après leur diffusion dans des médias.
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"Ballons d'essai"
"Un ancien président de la République a même une fois présenté ses condoléances pour un artiste qui était bien vivant" - et annoncé mort par des posts sur Facebook, rapporte à l'AFP le blogueur Saad al-Kaabi, qui tient un site d'information à Bagdad. Mais au-delà du fait que "des responsables puisent leurs informations sur les réseaux sociaux", dit-il, "les autorités lancent parfois des ballons d'essai". "Il y a des rumeurs qui sont lancées sur Internet pour voir la réaction de la rue", assure-t-il.
Dans un pays déchiré par les conflits depuis 40 ans, "la situation est toujours compliquée et plein de gens peuvent facilement devenir la proie des rumeurs", renchérit Reda Najmeddine, journalier de 50 ans.
Les Irakiens aiment le rappeler: c'est entre autres avec de simples rumeurs que des régions entières du pays sont tombées aux mains de l'EI. En 2014, disent-ils, la débandade des troupes face aux jihadistes a été favorisée par la rumeur qui a rapidement enflé sur leur nombre bien plus important qu'en réalité.
Et aujourd'hui encore, le danger de la rumeur guette, assure Susanne Aziz, femme au foyer de 46 ans. Particulièrement, "ces derniers jours car personne ne sait ce qui peut arriver", assure-t-elle à l'AFP.
Pour mémoire
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