En annonçant lundi, après le Conseil des ministres tenu à Baabda, le panier de réformes finalement adoptées par son gouvernement, Saad Hariri a saisi au vol l’une des demandes formulées par de nombreux participants aux manifestations et reprises en écho par quelques partis politiques, à savoir la tenue d’élections législatives anticipées.
Le Premier ministre a clairement fait savoir à cette occasion qu’il était favorable à une telle demande, dont il faut dire qu’elle serait, en théorie du moins, l’unique aboutissement pacifique, institutionnel et démocratique du vaste mouvement de protestation en cours.
En démocratie, lorsqu’un gouvernement échoue, il va devant les urnes. C’est un principe immuable qui vaut pour le Liban autant que pour tous les pays du monde. Et l’on peut être tout à fait sûr que lorsqu’un gouvernement se retrouve face au quart de sa population qui proteste dans la rue, c’est qu’il a bel et bien échoué. Le vote devient donc la sanction naturelle de cet échec. Plus important encore, il constitue l’alternative unique à la violence politique.
Pour autant, ces données, qui sont peut-être un peu livresques, semblent échapper à la réalité libanaise. La démocratie est en panne dans ce pays. Et elle l’est à tel point que même la notion d’échec doit y être relativisée. On peut certes parler d’échec collectif, puisque tout le monde ou presque participe au gouvernement. Mais alors, à quoi servent les élections du moment que, consensus oblige, gagnants et perdants doivent toujours se partager les ministères, au nom d’une unité nationale aussi fictive que funeste ?
En juin 2009, quelques jours avant l’un des scrutins les plus polarisés politiquement de l’histoire du Liban, le numéro deux du Hezbollah, Naïm Kassem, avait souligné que les élections devaient constituer un référendum pour ou contre « les armes de la résistance ». Le cheikh Kassem devait être trop confiant dans la victoire du 8 Mars pour s’aventurer autant sur ce terrain. On connaît la suite : le « référendum » a été perdu, ce qui n’a pas empêché le 8 Mars d’entrer au gouvernement, le Hezbollah de déclarer son arsenal intouchable et Naïm Kassem d’être frappé d’amnésie.
Toujours est-il que dans le contexte actuel, même si les élections ne suffisent pas à guérir la démocratie libanaise de son mal – il faudrait pour cela une refonte du système –, la tenue d’un scrutin législatif anticipé reste l’alternative unique à l’oppression ou au chaos. C’est la réponse la mieux appropriée que peut apporter le pouvoir aux aspirations des protestataires, celle qui montrerait qu’au moins il les aurait compris.
(Lire aussi : L’aveu, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Le mode de scrutin
Il resterait alors un obstacle à surmonter : venir à bout du fantasme bien libanais de la « loi électorale juste et assurant une représentation authentique ». Croire qu’il y aurait, quelque part, un mode de scrutin qui aurait pu inverser les résultats des législatives de mai 2018 est une illusion folle. Si la proportionnelle introduite pour ce scrutin-là est médiocre, c’est essentiellement pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les résultats du vote, mais plutôt avec la qualité de la représentation. Le Liban n’étant pas un pays où la culture de parti est bien ancrée, et où l’opinion suit davantage des leaders politiques que des programmes, l’effet de la proportionnelle est pervers en ce sens qu’il renforce le pouvoir des chefs au détriment des députés de base, lesquels deviennent de plus en plus des pions. Un mode majoritaire sur base de petites circonscriptions donne, au contraire, plus d’étoffe aux indépendants qui se démarquent des chefs de file.
Reste la circonscription unique, cette arme redoutable utilisée par Israël pour minorer l’influence des Arabes israéliens à la Knesset. Le tandem chiite et les groupuscules pro-Bachar el-Assad au Liban sortent régulièrement cet épouvantail afin de dissuader toute demande de réduction de la taille des circonscriptions, qui leur serait défavorable. Cette formule a certes peu de chances d’être acceptée par les autres parties.
En revanche, un réaménagement de la loi en vigueur qui permette l’abaissement du seuil d’éligibilité, dans le but d’ouvrir la voie à l’entrée au Parlement de formations extérieures aux partis traditionnels, est possible. Il répondrait, ne serait-ce que partiellement, aux vœux des protestataires. Rien cependant ne dit pour le moment si les acteurs politiques seraient prêts à faire une telle concession.
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Qu’ils ne parlent surtout pas du vide en cas de démission forcée du gouvernement. Ce vide existe depuis leur intronisation. À part vider les poches des citoyens - et là ils ont exceller. Ils se sont enrichis en vidant les caisses de l’état. Si de ce vide dont quelques uns parlent et bien on veut bien prendre le risque.
11 h 41, le 24 octobre 2019