Jugé indésirable par des volontaires impliqués dans la lutte contre les incendies et accusé de sexisme après s'en être pris à "l'honneur" de la député Paula Yacoubian, le ministre libanais des Déplacés, Ghassan Atallah (Courant patriotique libre), se trouve depuis mardi au centre d'une polémique qui fait effet de boule de neige.
L'affaire a commencé lorsque M. Atallah a été empêché par des activistes de se rendre dans un centre balnéaire de Damour, transformé en base d'opérations pour les membres de la Défense civile et un groupe de volontaires venus s'y rafraîchir et se nourrir avant de retourner lutter contre les incendies dans la région.
"Va-t'en ! Va-t'en !", ont scandé les activistes dès l'arrivée du ministre, ce qui, selon des vidéos postées sur les réseaux sociaux, a poussé ses gardes du corps à s'en prendre aux protestataires, les frappant puis dégainant leurs armes. Cynthia Sleimane, une des volontaires présentes sur place, affirme via son compte Facebook que le ministre l'a traitée de "fille des rues", et qu'elle s'est retrouvée mise en joue par l'un des gardes du corps. Elle explique que les volontaires, présents "pour faire le travail de l’État", n'avaient pas besoin de la présence d'un ministre sur les lieux.
Pour sa part, Ghassan Atallah a souligné dans un communiqué qu'il effectuait "une tournée des villages et localités touchées par les incendies dans le caza du Chouf et souhaitait saluer le travail des jeunes lorsqu'il a été accueilli par des personnes en manque d'éducation, des cris et des tentatives d'attaques contre sa personne". Il a dénoncé "une tentative bon marché de détournement politique" de la situation, soulignant que ses gardes du corps "ont assuré sa protection et empêché que les +gangsters+ puissent l'atteindre".
(Pour mémoire : « Vous méritez qu’on vous viole » : Dima Sadek, violemment agressée sur Twitter)
L'honneur se trouve "dans la tête, pas entre les jambes"
Quelques heures plus tard, lors d'une émission de la chaîne locale al-Jadeed consacrée aux incendies ayant frappé de nombreuses régions du Liban et à laquelle participaient l'activiste Cynthia Sleimane et la députée Paula Yacoubian (issue de la société civile), M. Atallah a été invité par téléphone à réagir à l'incident. Au cours de la discussion, le ministre a pris Mme Yacoubian à partie, l'accusant d'avoir obtenu son siège de députée "de façon immorale".
"Il est inacceptable que chaque fois que l'on évoque la performance des responsables du CPL, ils répondent en portant atteinte à l'honneur et la dignité", a réagi cette dernière. Elle a rétorqué que "l'honneur ne se trouve pas entre les jambes d'une personne mais dans sa tête", avant d'accuser le parti aouniste d'avoir "pillé le pays".
Répondant à ces critiques, Ghassan Atallah a déploré mercredi matin que "ses propos aient été détournés de manière inadéquate et compris comme une attaque contre les femmes et leur honneur". "Je voulais simplement parler de morale dans un cadre politique et dénoncer les prises de position populistes", a-t-il souligné, sur son compte Twitter. "Je respecte les femmes et regrette que Mme Yacoubian ait considéré mes propos sous un angle qui n'avait pas lieu d'être", a-t-il ajouté.
En début de soirée, Paula Yacoubian a accusé le "Courant des déchets" d'avoir lancé une campagne de diffamation contre elle. "Ils reviennent à la charge, exactement comme la dernière fois lorsque j'ai dit que Gebran Bassil était corrompu, en parlant du dossier des navires, a-t-elle écrit sur son compte twitter. Prenez vos aises, mais souvenez-vous que les insultes et les diffamations ne couvriront pas vos actes criminels contre la patrie. Nous continuerons à travailler pour chaque citoyen libanais". La députée a accompagné son tweet des hashtags (mots-clés) "Liban" et "Courant sans honneur", en référence au Courant patriotique libre.
Pour sa part, Cynthia Sleimane a annoncé sur les réseaux sociaux qu'elle avait été convoquée par les enquêteurs des Forces de sécurité intérieure (FSI) à Beiteddine à la demande de la procureure générale, la juge Ghada Aoun. De son côté, le ministre Atallah a annoncé sur Twitter avoir contacté la juge Ghada Aoun et lui avoir demandé de "n'arrêter aucun activiste". Il a rappelé avoir déjà affirmé la veille qu'il ne portera pas plainte même "s'il existe un rapport médical confirmant que j'ai été victime d'agression".
Ce n'est pas la première fois que Mme Yacoubian est victime de remarques sexistes. L'année dernière, le journaliste Joseph Abou Fadel avait proféré des propos de même nature à son encontre lors d'une émission sur la chaîne OTV. Évoquant l’affaire de l’avion de la MEA en partance pour Le Caire, qui avait été évacué de ses passagers à la dernière minute pour accueillir les membres de la délégation présidentielle se rendant à New York, Paula Yacoubian avait écrit sur son compte Twitter : "Notre père à tous en est arrivé à faire descendre les gens des avions". Dans sa réponse, Joseph Abou Fadel avait dit sur l’antenne de la chaîne OTV, en s’adressant à Mme Yacoubian : "En ce qui te concerne, nous ne savons pas à combien de personnes tu as donné la tétée".
(Pour mémoire : Vague de soutien à Paula Yacoubian après l’insulte d’un journaliste de l’OTV)
"Virilité malade"
Les accusations contre la députée, qui avait contribué la veille à l'approvisionnement des volontaires et de la Défense civile déployés sur les lieux des incendies, ont provoqué une levée de boucliers.
Le ministre des Affaires sociales Richard Kouyoumjian a affiché sa solidarité avec Paula Yacoubian "malgré leurs divergences politiques". "Je me tiens aux cotés de Paula, des femmes et de la dignité humaine, je me tiens aux côtés de Paula contre les prises de position arriérées, les distinctions, l'ignorance et les esprits stériles", a twitté le ministre.
Le ministre du Travail, Camille Abousleiman, s'est également solidarisé avec Paula Yacoubian. "Il est inacceptable qu'un collègue et ministre s'adresse de la sorte à une députée de la nation", a-t-il dit, avant le début d'une réunion du cabinet.
La journaliste Dima Sadek a quant à elle accusé implicitement le CPL d'être caractérisé par "l'oppression sexuelle et une manière de penser arriérée", un message accompagné des hashtags (mots-dièses) : "Laissez la dignité de la femme tranquille" et "Laissez nos corps tranquilles".
L'ONG Kafa, qui se consacre aux droits de la femme, a dénoncé "le niveau très bas" des propos du ministre des Déplacés. Dans une publication sur sa page Facebook, l'organisation a regretté le fait que cette "virilité maladive" se répète inlassablement, lorsque des responsables "au lieu de débattre sur le plan politique, utilisent des propos portant atteinte à l'honneur". "Il s'agit d'une forme d'attaque bon marché contre les femmes", a accusé Kafa, qui a affiché son soutien à Paula Yacoubian.
Pour mémoire
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commentaires (11)
Le Liban devrait s'enorgueillir de posséder l'unique exemplaire du Proto-Cro-Magnon en bon état de conservation. Il devrait être conservé avec beaucoup d'égards au rayon du Musée réservé au Mésolithique.
Moussalli Georges
01 h 19, le 17 octobre 2019