Qu’on arrête de mendier en notre nom. Il est humiliant de voir, dans l’urgence de l’heure, fille de l’imprévision, de la voracité et de l’incompétence de la classe politique, qui le président, qui son dauphin et parent, qui le Premier ministre, agiter leur sébile dans tous les recoins du monde pour tenter encore de rapiécer le haillon qui nous sert de pays. Les uns vont prier les émigrés de réintégrer, « pour pouvoir voter », la nationalité dont il leur a tant tardé de se soulager. L’autre va quémander aux princes du Golfe « quelques grains pour subsister jusqu’à la saison nouvelle ». Les banquiers vous le diront, on ne prête qu’aux riches, argent contre argent, et d’argent on n’a point, on n’a plus. Par chance, les princes sont prêteurs – à 13 %, mazette! – ou en contrepartie d’un truc impossible, pour faire bonne mesure, comme la neutralisation du Hezbollah. Une petite pièce a quand même tournicoté au fond du gobelet : les ressortissants émiratis sont désormais autorisés à se rendre au Liban, à présent qu’ils n’ont plus grand-chose à y faire. Pour renflouer les caisses de l’État, reste deux options : le clou, encore faut-il avoir quelque bijou de famille à y suspendre, mais l’article semble introuvable en haut lieu. Et puis l’âme, ce beau matériau faustien qui n’intéresse que le diable, mais puisque que tout doit disparaître, allons-y s’il se trouve un preneur.
Entre bilans et constats, dans le cul de basse fosse où le train des dirigeants nous a menés, voilà que ces derniers accusent en vrac tantôt des complots occultes et tantôt nous, citoyens malveillants qui avons l’outrecuidance de relever que non, rien ne va plus. En vérité, la société civile n’a jamais attendu de directives officielles pour faire son devoir. Ainsi, dès la première crise des déchets, elle s’est mobilisée de son propre chef pour organiser le tri et le recyclage, souvent combattue par les municipalités elles-mêmes qui voyaient la manne leur filer sous le nez – bouché – ou hypocritement encouragée par les sociétés de ramassage qui finissaient par tout jeter dans le même cloaque. Voilà qui n’autorise pas le ministre de l’Environnement, avant d’avoir répondu clairement à la question cruciale du sort des ordures triées, à s’en prendre tout à coup, et avec virulence, à ceux qui « ne trient pas », exigeant qu’ils « ne lui fassent pas entendre leur voix ». Mais après tout, ce n’est ni la première ni la dernière fois que l’on ne supporte pas de nous entendre. Le général Aoun lui-même a fait école avec son historique « taisez-vous », à peine avait-il, retour d’exil, posé le pied sur le tarmac. Le même « taisez-vous » fuse, semble-t-il, dans presque tous les débats télévisés, empêchant toute possibilité de débat.
Aux optimistes qui attendent le retour du « miracle libanais », nous répondons qu’il ne viendra que de la société, comme il l’a toujours fait, quel que soit le contexte. Il y a encore dans ce pays suffisamment d’intelligence, de bon sens, de culture et de sensibilité pour redresser l’appareil sans quémander d’investissements déguisés ou de financements qui ne feront qu’alourdir la dette publique. Disons-le clairement : nous ne sommes pas ingouvernables. Nous sommes mal gouvernés.
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Et mal éduqués.
FRIK-A-FRAK
17 h 48, le 10 octobre 2019