De fait, à cause de la politique de désengagement des uns, de l’éclipse des autres, de la faiblesse structurelle des troisièmes et des erreurs de tout le monde, l’influence iranienne s’est propagée de manière constante au cours des dernières décennies dans plusieurs pays – Irak, Syrie, Liban, mais aussi Yémen, bien au-delà des limites du Levant – sans parler des bonnes relations que Téhéran continue d’entretenir avec deux capitales du Golfe, Doha et Mascate, au grand dam des autres monarchies pétrolières arabes.
Cette évolution a connu une nette accélération ces dernières années, d’abord à la faveur de la politique de l’ancien président américain Barack Obama, puis à partir de 2017 de celle de son successeur, Donald Trump. Certes, le discours de Washington à l’égard de l’Iran a pris de gros muscles avec ce dernier, et le durcissement des sanctions financières depuis la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire n’est pas sans répercussions sur l’état général de la République islamique. Mais fondamentalement, la stratégie de désengagement adoptée par la précédente administration américaine au Moyen-Orient est encore de mise aujourd’hui. Le résultat est qu’à ce stade, l’impact des mesures prises par les États-Unis à l’encontre de l’Iran paraît contrasté.
Téhéran vient d’ailleurs, tout récemment, de passer à la vitesse supérieure dans sa rhétorique impériale vis-à-vis des pays de la région, sans que l’on sache si cette mutation est l’expression réelle d’un sentiment nouveau de puissance et de domination ou bien s’il s’agit d’un écran de fumée destiné à cacher les effets dévastateurs des sanctions. Toujours est-il que les signes d’un resserrement des liens de la République islamique avec ses supplétifs dans la région, à l’instar du Hezbollah libanais, se sont multipliés de façon ostensible au cours des dernières semaines. Dans le même temps, les dirigeants iraniens ont donné l’impression d’avoir renoué avec le discours de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad sur la « destruction imminente » d’Israël, une rhétorique qui avait été clairement abandonnée en 2013, après l’élection de Hassan Rohani à la présidence de la République.
Sur ces entrefaites sont survenues les manifestations fiévreuses en Irak. Commencées sur un mode essentiellement social, elles ont très vite revêtu ici et là une tournure vivement anti-iranienne, d’autant plus significative que la contestation est surtout le fait de populations chiites. Certes, ce n’est guère la première fois que des chiites irakiens descendent dans la rue pour dire non à l’influence de Téhéran dans leur pays, mais qu’on ait pu voir, à cette occasion, des manifestants brandir des portraits de Saddam Hussein, ancienne bête noire de Téhéran, en dit long sur l’état d’esprit d’une partie des Irakiens à l’égard de leur puissant voisin. Entre l’ex-dictateur déposé en 2003 et pendu en 2006 et les chiites d’Irak, il y a une longue histoire de haine, d’oppression et de sang. Que des jeunes qui avaient à peine quatre ou cinq ans au moment de sa chute en arrivent aujourd’hui à invoquer sa mémoire face à l’hégémonie de l’Iran montre à quel point l’édifice iranien sur les rives du Tigre et de l’Euphrate reste plus fragile qu’on ne le croit. Qu’en serait-il alors des rives de la Méditerranée ?
Les services du guide de la République islamique peuvent bien diffuser tous les jours des photos illustrant la proximité de l’ayatollah Ali Khamenei avec le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, cela ne saurait dissimuler une réalité tangible, à savoir que l’Iran, s’il demeure une puissance dotée d’une influence certaine et d’un énorme pouvoir de déstabilisation dans la région, ne parvient pas pour autant à s’imposer nulle part comme l’acteur prépondérant et qu’il reste à ce jour un joueur parmi d’autres, alliés (comme les Russes en Syrie) ou adversaires.
De 1990 à 2005, le Liban a vécu sous la tutelle du régime syrien. D’autres protagonistes internationaux y avaient certes droit au chapitre, mais l’hégémonie de Damas était à l’époque quasiment incontestée. L’Iran, lui, se heurte partout à la contestation. Fort heureusement, diraient beaucoup…
Mais l'Iran n'est pas un pays arabe , elle nous casse les pieds
20 h 48, le 11 octobre 2019