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Culture - Entretien

La violence au cinéma peut-elle contaminer le spectateur ?

Photo Courtesy Warner

Après la fusillade d’Aurora qui a eu lieu dans le Colorado en juillet 2012 (douze personnes tuées et 58 autres blessées), lors de la première de The Dark Knight Rises, la polémique enfle autour de la sortie du film Joker. Jugé trop violent, des mesures très strictes de sécurité ont été prises avant sa sortie en salle, le 9 octobre, aux États-Unis où il est classé R (+18 ans). Au Liban, il est également interdit aux moins de 18 ans. Joy Abi Habib, psychologue sociale et clinicienne pour enfants et adolescents, et Dr Lyne Khalil, psychologue clinicienne, apportent, à cette occasion, un éclairage sur le sujet de la violence au cinéma et ses retombées.

Qu’est-ce que la violence au cinéma ?

La violence au cinéma, bien qu’évidente, n’a de sens que dans un contexte donné. Elle change en fonction des mœurs et des cultures. Chacun vit les images, les dialogues ou les propos véhiculés par le film avec sa subjectivité et son propre vécu, et il serait donc obsolète de parler de violence au cinéma sans évoquer le rapport intime du cinéma avec le spectateur.Il est donc légitime de se demander si la violence au cinéma pourrait influencer ou « contaminer » le spectateur et en particulier les jeunes qui, par définition, sont encore en développement et donc plus influençables.

En outre, la violence au cinéma qui invoquerait brutalité, vulgarité, violences sexuelles et pornographiques, obscénité, cruauté envers les humains ou les animaux, blasphèmes, scènes de combat, etc. n’est pas toujours à voir d’un mauvais œil et son impact, bien que variable en fonction des spectateurs, n’est pas ipso facto synonyme de funeste.

Quels sont les effets de cette violence ?

On en relèverait trois : la fascination de la violence. Nous serions surpris combien ce phénomène se retrouve chez chacun de nous, mais à des degrés différents. La violence à l’écran qui nous fascine n’est pas souvent justifiable, elle se vit de façon intense et le spectateur, surtout adolescent, à la recherche de sensations fortes ou nouvelles, se voit captivé. Avoir la possibilité de faire l’expérience de l’acte violent à travers sa représentation par un médium artistique permettrait d’en tirer satisfaction tout en mettant à distance la violence à laquelle on n’a pas réellement recours.

Le second effet est cathartique et cette fonction du cinéma n’est plus à prouver. Que le film soit violent ou pas, le spectateur s’identifie au personnage principal ou à des personnages selon l’affinité sociale, psychologique, environnementale et historique qu’il tisse avec eux (on peut relever un exemple : lorsque le personnage devient justicier et que le public l’applaudit). Le spectateur trouve donc un accomplissement et une satisfaction personnelle à travers le personnage ou les scènes représentées.

Enfin, le troisième est la dénonciation d’une réalité. Parfois abrasive par sa portée sociale et politique, la violence au cinéma est souvent plus psychologique et thématique que visuelle. Elle représente dans ce cas le visage même d’une société donnée et offre une possibilité pour un auteur d’éclaircir et d’appuyer un discours. À travers ce cinéma, le spectateur est poussé à avoir un sens critique sur ce qu’il vient de voir et sur la façon dont cette réalité a été exposée.

En résumé, la fascination, l’identification au personnage et la dénonciation sociale ne suffiraient pas pour que le spectateur mette en acte ou mime les actes violents fictifs, dans le cadre de la réalité. Le schisme entre réalité et fiction semble donc pertinent à souligner. De plus, une nouvelle étude affirme qu’il n’y a pas de lien entre l’augmentation de la criminalité et les actes violents à l’écran. Selon cette recherche, les films violents ne causeraient donc pas plus de violence chez les adolescents même si ceux-ci, qui sont encore en transition vers l’âge adulte et qui se « cherchent », pourraient plus facilement se projeter dans tel ou tel autre personnage d’un film violent.

La violence au cinéma vise-t-elle spécifiquement les jeunes ?

Le milieu scolaire, qui est le premier environnement extrafamilial, transitoire entre le milieu familial et la société, a une influence capitale sur le développement, l’épanouissement et la projection dans l’avenir et dans la société de l’enfant et de l’adolescent. On ne peut nier que la violence et le harcèlement en milieu scolaire ont des répercussions capitales sur la personne et sur le développement des capacités d’adaptation efficiente du « futur citoyen » aux règles et aux normes d’une société donnée. Selon des recherches récentes, l’exposition prolongée des jeunes victimes de violences à l’école aux films violents impacterait l’impulsivité, l’attention et le contrôle cognitif.

Il a été prouvé, qu’au niveau neuronal, la capacité de contrôle cognitif chez tout adolescent se développe plus lentement que l’impulsivité. Ainsi, l’impulsivité qui est étroitement liée à la violence et à la recherche de sensations semblerait être stimulée davantage par l’exposition prolongée aux films violents quand le jeune est exposé à des violences en milieu scolaire. Mais bien que la phase d’adolescence soit en elle-même une phase délicate et cruciale en termes de remaniements psychologiques et biologiques, il est évident que pas tout adolescent victime de violences ou de harcèlement en milieu scolaire, étant exposé à des films véhiculant de la violence, sera amené à avoir des agissements violents. Tout comme dans la première réponse, nous n’insisterons jamais assez sur les facteurs environnementaux et psychopathologiques qui déterminent effectivement les actes, les prises de décision et les choix du jeune.


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