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Les limites de la realpolitik

La stratégie du pyromane-pompier a constitué de manière constante l’un des fondements de la politique du régime Assad, père et fils… D’abord au Liban, dès le début de la guerre libanaise, puis en Syrie même, après le déclenchement du soulèvement populaire en 2011. Cette ligne de conduite, érigée en principe d’action, nombre de dirigeants et de responsables occidentaux n’en sont malheureusement pas conscients. Ou, tout au moins, ils feignent de l’ignorer.

L’effroyable supercherie présentant Bachar el-Assad comme le « protecteur » des chrétiens, comme un rempart face à l’islam jihadiste, reste malencontreusement bien ancrée dans l’esprit de nombre de pôles d’influence en Occident. Le 11 septembre dernier, la Hongrie a ainsi annoncé son intention de désigner un chargé des affaires consulaires en Syrie, précisant qu’elle envisageait de « discuter avec le président syrien afin de le convaincre d’améliorer l’aide portée aux chrétiens » !

Les autorités hongroises déploient effectivement de louables efforts afin de soutenir la présence chrétienne dans la région. Et tout récemment, le chef de la diplomatie hongroise a effectué une visite au Liban, afin de concrétiser une aide substantielle aux Libanais chrétiens. Préserver les minorités de la région, et plus spécifiquement les chrétiens orientaux, constitue certes une noble initiative. Mais pour qu’elle s’accomplisse, Bachar el-Assad n’est certainement pas la bonne adresse. Vouloir reprendre langue, réhabiliter et blanchir un tyran accusé de crime(s) contre l’humanité revient à tourner cyniquement la page d’un passé dont les chrétiens du Liban ont lourdement fait les frais.

Il est totalement incohérent de suivre une politique de consolidation de la présence chrétienne en Orient et dans le même temps contribuer à remettre en selle celui qui avait précisément pour stratégie de laminer au maximum cette présence au Liban. Un grand avocat libanais, dont la notoriété avait dépassé les frontières libanaises et qui entretenait d’étroites relations avec le Vatican et les instances européennes, nous confiait au début des années 80 que l’objectif prioritaire du régime syrien au Liban était de briser le pouvoir des chrétiens, car ils représentaient l’obstacle principal à l’Anschluss du régime baassiste sur le Liban. Cet avocat n’a malheureusement pas vécu suffisamment longtemps pour constater que les événements lui ont donné raison.

Il est déplorable aujourd’hui que l’on soit encore amené à rappeler qui a assassiné Bachir Gemayel et René Moawad, qui a tenté de liquider tout le directoire du Front libanais au début de la guerre, qui montait en épingle des courants fondamentalistes sunnites pour les utiliser comme épouvantail face à l’opposition chrétienne, qui montait de toutes pièces des rassemblements d’intégristes sunnites munis de machettes à Beyrouth-Ouest lorsque cette opposition chrétienne se montrait trop dynamique dans la rue et, enfin, qui brandissait le spectre de l’abolition du confessionnalisme politique à chaque fois que les partis et pôles chrétiens se montraient frondeurs face à l’occupant syrien. Quant aux chrétiens de Syrie, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (dont la crédibilité n’a jamais été mise en cause) indiquait récemment que plus de 60 pour cent des agressions contre des lieux de culte chrétiens en Syrie, entre mars 2011 et septembre 2019, ont été l’œuvre d’hommes armés relevant du régime.

Les méfaits du régime Assad ont pris au Liban une toute autre tournure lorsque le rassemblement de Kornet Chehwane – le bras politique du patriarche maronite Nasrallah Sfeir au début des années 2000 – a établi la jonction avec les leaderships sunnite et druze pour remettre en question la tutelle de Damas sur le Liban. Un ancien ministre, passé aujourd’hui dans le camp souverainiste, nous avait alors indiqué sans détour que les rafles organisées en 2001 dans les rangs des partisans des Forces libanaises et du courant aouniste étaient une riposte (syrienne) à l’alliance qui se profilait à l’horizon entre Rafic Hariri, Walid Joumblatt et l’opposition chrétienne… Car la stratégie du clan Assad était précisément d’isoler constamment les chrétiens (afin de les affaiblir) et d’empêcher tout contact ou rapprochement transcommunautaire entre eux et les autres composantes internes. Ce n’est pas pour rien que le mufti Hassan Khaled a été assassiné.

Occulter toutes ces réalités et entreprendre de réhabiliter le dictateur de Damas seraient comparable à l’attitude d’une quelconque faction qui aurait pu être tentée durant la Seconde Guerre mondiale de « dialoguer » avec la gestapo en France ou de composer avec l’occupant nazi…

Face à un pouvoir qui se livre en toute impunité à des crimes contre l’humanité en cascade, la realpolitik et le « dialogue » ne sauraient avoir leur place…

La stratégie du pyromane-pompier a constitué de manière constante l’un des fondements de la politique du régime Assad, père et fils… D’abord au Liban, dès le début de la guerre libanaise, puis en Syrie même, après le déclenchement du soulèvement populaire en 2011. Cette ligne de conduite, érigée en principe d’action, nombre de dirigeants et de responsables occidentaux n’en...

commentaires (6)

Le général Monclar (1892-1984) rejoignit l'Etat-Major de l'Armée française au Levant et fut nommé en 1920 Inspecteur des milices du territoire des Alaouites à Lattaquié. Il ne tarda pas longtemps pour présenter sa démission au Haut-Commissaire le général Henri Gouraud pour la raison "qu'il perd son temps avec ces gens-là (!) et qu'il serait plus utile ailleurs" Il a rejoint la Légion étrangère.

Un Libanais

18 h 18, le 01 octobre 2019

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Commentaires (6)

  • Le général Monclar (1892-1984) rejoignit l'Etat-Major de l'Armée française au Levant et fut nommé en 1920 Inspecteur des milices du territoire des Alaouites à Lattaquié. Il ne tarda pas longtemps pour présenter sa démission au Haut-Commissaire le général Henri Gouraud pour la raison "qu'il perd son temps avec ces gens-là (!) et qu'il serait plus utile ailleurs" Il a rejoint la Légion étrangère.

    Un Libanais

    18 h 18, le 01 octobre 2019

  • Surprenant de lucidité et de données historiques, votre article, Mr Touma, que l’inconscient collectif et les mémoires courtes oublient souvent et qui expliquent fort bien le drame Libanais et surtout des chrétiens dont certains n’ont rien appris des leçons du passé et qui se jettent de nouveau dans la gueule du loup... Et pourtant, ce sont eux qui crient aux complots, prétendent faire les bons choix et vouloir sauver les chrétiens du Liban... Non, Messieurs, l’histoire ne vous pardonnera pas vos idées courtes, votre arrogance, manque de bon sens et de moralité si vous ne corrigez pas le tir avant qu’il ne soit trop tard!

    Saliba Nouhad

    14 h 20, le 01 octobre 2019

  • .....Cette ligne de conduite, érigée en principe d’action, nombre de dirigeants et de responsables occidentaux n’en sont malheureusement pas conscients. Ou, tout au moins, ils feignent de l’ignorer…... Si vous décidez que les dirigeants occidentaux n'en sont pas conscients , je vous dis que c'est tout faux , on va pas refaire le match , puisqu'en 2011 il n'existait pas un seul dirigeant occidental qui ne disait pas que Bashar le héros syrien , doit partir . Si vous décidez que ces occidentaux feignent de l'ignorer, alors ma question pour vous est pourquoi feigneraient-ils de l'ignorer ? La répondre à cette question Mr Touma déconstruirait toute votre analyse .

    FRIK-A-FRAK

    14 h 05, le 01 octobre 2019

  • Excellente mise au point...! Mais aussi faut-il que certaines composantes la lise et prenne la peine de faire leur propre autocritique, pour permettre un jour, de pouvoir entreprendre une "réconciliation Nationale"...

    Salim Dahdah

    11 h 52, le 01 octobre 2019

  • BRAVO MONSIEUR TOUMA. UN ARTICLE DES PLUS OBJECTIFS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 22, le 01 octobre 2019

  • L'opposition à Bachar est loin d'être majoritairement une opposition plaisante : Les jihadistes , salafistes et autres intégristes issus de la Qaeda ou même de Daech ou d'ailleurs en constituent le gros morceau ! Comment voulez-vous que les chrétiens de Syrie s'en accomodent : Si Bachar est écarté, ils risquent fort de se retrouver dans une masse populaire islamiste qui fera sortir des élections des dirigeants bien pire que les actuels prétendus tortionnaires qui passeraient alors pour être les plus modérés parmi les factions politiques en conflit ! La démocratie n'en sortirait vraiment pas renforcée dans ce pays qui ne l'a jamais connue ! Il ne faut pas prendre les loups pour des anges , surtout en Syrie !

    Chucri Abboud

    07 h 38, le 01 octobre 2019

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