On n’a rien entendu, pas de départ, pas d’arrivée, pas de chuintement, pas d’explosion. On n’a rien vu, ni bris de verre, ni caillasse, ni fumée, ni feu, ni façades éventrées, pas une balle traçante, pas de déplacements d’armes ou de troupes, pas une ambulance, pas une goutte de sang. On n’a pas poussé un seul cri. Où ça, la guerre ? Sous ce bout de ciel, on reconnaît pourtant la chose à son odeur, au froid dans le dos quand elle approche, aux rumeurs qui la précèdent, à la fébrilité, aux attroupements autour des services consulaires, au sauve-qui-peut discret, toujours crève-cœur… mais rien de tout cela. La guerre que nous subissons aujourd’hui ressemble à une maladie silencieuse, insidieuse, qui envahit sans peine un corps débilité à force de négligence et de maltraitance. Tel est le Liban livré à la guerre économique imposée par les États-Unis : un territoire rongé de parasites et de virus opportunistes, démembré par les haines sectaires (parfois au sein des mêmes sectes), corrompu et défiguré par les charognards qui prétendent le soigner, anémié par des protocoles financiers stériles qui favorisent la fermentation de l’argent dans les coffres et découragent l’irrigation de l’économie réelle, empêchent la création d’entreprises et d’emplois, poussent les talents vers la sortie, ne gardent derrière l’enclos que la foule docile et bêlante qu’on n’aura aucun mal à nourrir de rhétorique.
Il aura suffi d’une pichenette. Un établissement diabolisé qui met la clé sous la porte. Le lendemain, les distributeurs ne vous donnent plus de billets verts. Les banques vous redirigent vers les changeurs, les changeurs ouvrent les mains, désolés. Et comme dans les mauvais films, l’explication vient après le forfait : l’Amérique ne veut plus voir d’ « ennemis » manipuler ce dollar sur lequel elle a imprimé son credo, en un mot sa devise. Vous aimez le dollar ? Aimez donc le pays qui l’a émis et honorez sa politique, ou contentez-vous de votre monnaie de singe. Voilà une stratégie qui risque fort de chambouler bien des alliances dans les sphères du pouvoir où chacun renifle sans doute déjà ses liasses, voir si l’odeur n’en est pas trop suspecte et les fait exorciser au besoin. Mais trop tard, le pouce de Washington s’est retourné, et voilà le Liban dans une tourmente d’un nouveau genre face à laquelle il semble n’avoir, comme d’habitude, rien prévu. À l’heure où nombre d’entre nous se demandent ce qu’il adviendra de leur épargne ou à quoi ressemblera leur paie à la fin du mois, réjouissons-nous de toucher le fond, ou du moins un palier du fond, ou quelque appui, enfin, dans cette chute libre que nous vivons depuis tant d’années.
Plus grave que le manque d’argent est le manque d’idées. C’est le moment de mettre en branle notre légendaire inventivité. Voyons dans la monumentale dette publique qui nous met à la merci des donateurs (qui donne ordonne) une chance de faire enfin aboutir les réformes exigées, entières, plein, chevaux, carrés, sans distribution de lichettes aux insatiables qui nous ont conduits dans ce gouffre. Ces réformes exigent qu’une place entière soit donnée aux femmes, sans même attendre les budgets prévus pour une telle évidence. Aujourd’hui plus que jamais, le Liban a besoin de tous ses bras. Il est honteux d’avoir attendu qu’une résolution onusienne vienne poser les conditions d’une telle action. En attendant de trouver les 19 millions de dollars supposés en financer les mécanismes, c’est aujourd’hui, et gratuitement, qu’il faut réagir contre le harcèlement sexuel, le mariage des mineures, et pour la transmission de la nationalité. À l’heure où nous quitte Huguette Caland, l’une des plus grandes figures de l’art contemporain, souvenons-nous de l’intelligence, de l’audace, de la joyeuse liberté qui furent siennes. Retrouvons le chemin montré par sa génération dont les problèmes ne furent pas moindres que les nôtres, mais qui sut, avec quel panache, en extraire de la lumière.
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TOUTE DEVISE INTERNATIONALE DOIT ETRE BASEE ET GARANTIE PAR LA PLUS GRANDE ECONOMIE DU MONDE. EN L,OCCURENCE C,EST LE DOLLAR ET RIEN QUE LUI.
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 40, le 26 septembre 2019