Ainsi donc, on nous promet une « Académie de l’homme pour la rencontre et le dialogue », chouette libellé pour une institution que le président de la République appelait de tous ses vœux et qui est à présent approuvée par l’Assemblée générale de l’ONU et parrainée par 178 pays, hors Israël et les États-Unis. Disons que c’est une bonne nouvelle pour notre pays qui a toujours cru à sa vocation de « message », même si, depuis que le pape Jean-Paul II a inventé le slogan, le signal est totalement brouillé. Toujours est-il que dans un futur proche, c’est le Liban qui se propose de former les jeunes de la région et sa propre jeunesse à l’acceptation de l’autre, au refus de l’extrémisme, des discours haineux et de la violence. Jolis, jolis mots que voilà, oui mais.
Oui mais s’il est une faction au Liban qui distille et instille aujourd’hui la haine la plus crasse et le repli communautaire le plus rigide, s’il est une faction coupable par-dessus toute autre de l’homophobie la plus méchante et du machisme le plus méprisant, c’est bien une certaine mouvance chrétienne proche du pouvoir. De l’affaire Mashrou’ Leila à la crise de la Montagne, à la tentation renouvelée du fédéralisme chez certains meneurs, à la prétention de la supériorité génétique des « Libanais », à la diabolisation des réfugiés, à la création d’un nouveau concept de chrétienté « d’Orient » en heaumes et cottes de maille sous lesquels le Christ lui-même ne reconnaît plus les siens ; ces égarés sont en train de semer les graines acides d’une discorde qui ne laissera pas un seul Libanais vivant avant que l’Académie de l’homme pour le dialogue voit le jour. La haine appelle la haine et la violence, la violence, c’est le B-A BA. Et ceux qui prétendent « respecter tout le monde à condition que tout le monde les respecte », pour peu qu’ils soient chatouilleux de la « respectitude », sont mal barrés pour une culture de paix.
Non, nous n’avons pas besoin d’un « machin » de plus, et encore moins de frontons ronflants pour camoufler le profond malaise moral que vit notre pays dont les responsables ont toujours inondé les tribunes du vocabulaire le plus navrant. Et nos jeunes prennent exemple sur ces exemples suprêmes.
En cette rentrée ou veille de rentrée scolaire, alors que tant de parents n’ont plus les moyens de payer les écolages de leurs enfants, que l’État investisse plutôt dans l’excellence de l’enseignement public. C’est là, vraiment, dans ces écoles laïques et multiconfessionnelles, que doit germer le sens de la tolérance et de la citoyenneté, et que doivent se nouer les liens transcommunautaires et transsociaux garants d’un avenir pacifié. Qu’il les appelle alors, si ça lui chante, « Académies de dialogue », il ne sera pas loin de son idée. En cet automne où les arbres centenaires de la forêt de Bisri sont massacrés en prévision d’un barrage que nombre d’experts affirment douteux, dangereux et inutile, qu’il fasse entendre la voix de la sagesse, freine les cupidités criminelles, favorise les espaces verts et le patrimoine archéologique et qu’il les appelle, s’il le souhaite, « Académies de rencontre ». Enfin, et entre mille autres revendications, qu’il favorise la parité entre citoyens et citoyennes, électeurs et électrices, et œuvre à la transmission de la nationalité aux enfants nés de mère libanaise. Qu’il fasse cela au nom de l’« Académie de l’homme » s’il lui plaît de baptiser ainsi cette initiative, les femmes ne s’en formaliseront pas, elles ne sont pas à une omission près. Et qu’on ne nous convainque pas que « c’est le Liban », et que le Liban doit rester enferré dans ses traditions létales. Le Liban mérite de se libérer de ses chaînes obsolètes pour se propulser vers l’avenir. Ce régime est « fort », nous dit-on. Qu’il soit donc fort de ces petits pas contre le communautarisme, la dégradation de l’environnement et le mal-être de ses administrés, et il pourra porter la science du dialogue au reste du monde.
commentaires (8)
À part le plaisir de vous lire chaque Jeudi, je vous remercie pour votre effort qui rend vos articles d'un sérieux et en même temps d'une simplicité incomparables! C'est justement ce qui vous distingue! Académie ou pas, d'abord il est urgent de réformer l'école publique tel que vous l'expliquez si bien! Bravo Fifi!
Zaarour Beatriz
21 h 48, le 20 septembre 2019