Itinéraire d’un ministre X

Vous avez l’impression que les ministres font du surplace depuis huit mois que le gouvernement est formé, et vous avez raison. Mais c’est parce que vous ne suivez pas l’itinéraire type d’un ministre. Prenons donc un ministre X qui représente la grande majorité des ministres dans tout gouvernement.

Dans une première étape, il déclare innocemment : « Mais laissez-moi le temps de prendre connaissance des dossiers », ce qui est légitime. Sauf qu’on a l’impression qu’il vient de débarquer d’une autre galaxie tellement il est ignorant, alors que cela fait des années qu’il est une « figure publique ».

Deuxième étape, la rengaine est : « Il y a beaucoup à faire ; j’ai hérité de 20 ans de négligence, ce qui ne peut se résoudre en deux jours » ; déjà il annonce ainsi son échec futur.

Troisième étape : « On va lancer une étude exhaustive sur le secteur. » C’est la plus courante des initiatives car la plus simple : on passe un contrat de gré à gré (c’est plus juteux qu’un appel d’offres) avec un bureau spécialisé qui fera l’étude. Mais comme il y a des dizaines d’études qui croupissent dans les tiroirs, le bureau charge un stagiaire d’en faire une petite synthèse, ce qui ne coûte rien du tout. Mais le ministre pourra ainsi répéter pendant des années : « C’est la première fois au Liban qu’on réalise un tel plan stratégique » ; parfois il ajoute : « … même au Moyen-Orient. »

Quatrième étape, il entame des tournées dans les régions avec plein de journalistes pour donner l’impression qu’il s’active ou pour annoncer des projets locaux qui ne seront jamais réalisés.

Cinquième étape, il participe fréquemment à des congrès à l’étranger : d’abord, c’est plaisant de faire du tourisme, et puis il se donne une stature internationale, alors que personne ne le connaissait au-delà de son patelin. Le thème du congrès importe peu : « Réactions astrophysiques des galaxies », « Perversions sexuelles chez les dauphins des mers chaudes », etc. Durant ces tournées, son service de presse fait état tous les jours de ses activités : « Il a eu un entretien fructueux avec le sous-secrétaire d’État à la Pêche de Trinité-et-Tobago, puis il a discuté de la collaboration future entre le Liban et la Krakosie orientale avec un haut responsable… »

Vers la fin de son mandat, il commence par débiter les causes de son échec : « Suite à des obstacles politiques que tout le monde connaît(?!), je n’ai pas pu réaliser tous mes projets. » Il annonce cela au cours de la cérémonie de passation des pouvoirs au nouveau ministre – qui, lui, va déclarer à cette occasion face aux journalistes : « Mais laissez-moi le temps de prendre connaissance des dossiers… »

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