Jacquemus invente le « sac à pouce »

« Je m’appelle Simon Porte Jacquemus, j’aime le bleu et le blanc, les rayures, le soleil, les fruits, la vie, la poésie, Marseille et les années 80. » Ainsi se présente, 29 ans, né à Salon-de-Provence, le jeune prodige de la mode dont le défilé printemps-été 2020 continue à faire rêver tant ceux qui y ont assisté que ceux qui en contemplent les images. Inspiré par l’installation de Christo et Jeanne Claude en bandes orange fluorescentes sur le lac Iseo, Simon Porte, qui a choisi d’adopter pour sa marque le nom de jeune fille de sa mère disparue, a organisé son défilé dans un champ de lavande au sud de la France, sur un tapis rose de 1 km déroulé comme un sourire au milieu des fleurs. S’il fallait résumer l’esprit Jacquemus, il se situerait précisément entre art et sourire. « J’aime tellement de choses », affirmait le créateur, l’hiver dernier, à la veille des dix ans de Jacquemus. Et de citer, en ouvrant savoureusement les « o » avec l’accent méridional : « Murano, Jacques Tati, Jacques Demy des Demoiselles de Rochefort. » « Je suis un fan d’art, j’avais envie que ça se retranscrive dans mes vêtements », déclarait-il, et sa collection de vêtements et d’accessoires ressemblait de fait à un joyeux délire arty : amandes incrustées dans les boucles d’oreilles, boucles d’oreilles en minicadres pour photos de famille, boucles d’oreilles improvisées avec les pinces à nappes du sud de la France, portant des mouchoirs, chaises miniatures de Pierre Jeanneret, imprimés de la piscine de Gae Aulenti, inspirations de Nathalie Dupasquier avec des natures mortes peintes sur les jeans. Il disait chercher à recréer la banane 80’s.

À l’arrivée, cette mode qui se voulait « naïve » racontait l’histoire d’un passionné, issu d’une famille de cultivateurs de carottes et d’épinards, qui n’a pas dix ans quand Carambar emprunte sa bouille craquante et ses incroyables yeux bleus pour vendre des bonbons. Inspiré par sa mère, « la femme la plus sexy de la région », son premier modèle et le plus enthousiaste, Simon Porte Jacquemus est obsédé par le vêtement comme véhicule d’un esprit, celui d’une femme différente à chaque collection, célébrant la vie et la bonne humeur avant toute chose. Et si ses créations prennent parfois un tour intellectuel, c’est sans doute sous l’influence de son passage comme vendeur chez Comme des Garçons, lui qui a connu par ailleurs, dans sa jeunesse, le boniment du marchand des quatre-saisons, lorsqu’il aidait à écouler les produits de la ferme familiale. C’était l’époque où il était intrigué par ces « gadjos », adeptes du tourisme interne, étrangers à la Provence, venus le plus souvent de Paris avec des accoutrements insolites mais « mignons ».

La suite naturelle de cette entreprise fondée sur l’humour, la dérision douce et la joie de vivre est le succès grandissant de Jacquemus. Encensé par Karl Lagerfeld qui ne manquait jamais une occasion de dire le bien qu’il pensait de lui, Simon Porte est aussi le chouchou des stars qui comptent, à commencer par Kendall Jenner et Rihanna. Le réinventeur du chapeau de paille surdimensionné, du sac à pouce (Chiquito et Micro Chiquito), version lilliputienne du sac à main, ou au contraire du sac géant, de la banane mais en régime, des vestes si déstructurées qu’elles semblent ne tenir qu’à un fil, des robes à bretelles ficelles, n’a au fond qu’une ambition : amuser en s’amusant, séduire par le sourire.