Rechercher
Rechercher

Cartables

L’été prend à peine sa pente que déjà les autoroutes se peuplent d’affiches publicitaires préparant la rentrée. Bientôt la chasse aux « fournitures » et des journées de bousculades en perspective, même pour les plus prévoyants. À voir les couleurs criardes des objets en réclame, on réalise à quel point l’univers scolaire, consommateur inconsidéré de plastiques en tous genres, est polluant. Cartables, lunch boxes, gourdes, crayons feutre, stylos à bille ou à plume, gommes, taille-crayons, trousses et plumiers, classeurs, dossiers, boîtes de géométrie, règles, rouleaux de films protecteurs, plastique, plastique, plastique… Rares parmi ces objets sont ceux qui passeront l’année sans être remplacés, et plus rares encore ceux qui se transmettront d’aîné en cadet. Certes, chaque enfant n’a besoin que d’un seul cartable ou un seul stylo, mais nous sommes huit milliards ! Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt le sacro-saint rituel de la rentrée. On a beau être adulte, on ne peut empêcher, chaque année à la même période, ce petit pincement au cœur, à la fois plaisir et douleur, qui accompagne le cochage des listes et le va-et-vient de papeterie en librairie et en supermarché. Mais il faut savoir que nos achats laissent sur l’environnement une empreinte indélébile et que toute acquisition irréfléchie nous est comptée. S’il s’agit, à travers l’école, de préparer l’avenir de nos enfants, la raison dicte qu’il faudrait commencer par là. Se limiter à l’utile. Enseigner le partage et la préservation, voire la reconversion.

Qu’y aura-t-il d’autre, dans ces cartables criards dont on n’a pas fini de juger et jauger le poids ? Des livres et des cahiers dont le contenu devra, à terme, s’installer dans les jeunes cervelles et contribuer, dit-on, à leur développement. Chaque matin, les ouvrir à une nouvelle page, les précédentes étant supposées acquises. Chaque soir les rouvrir et répéter jusqu’à la lassitude, dans une lassitude anticipée, ce que le lendemain il faudra encore ânonner, tiède et mal digéré, à l’oreille du maître. Pourvu que le programme soit rattrapé, pourvu qu’à la fin du trimestre, puis de l’année, il ne reste pas de chapitre à la traîne. C’est la règle du jeu, soit, et les examens officiels ne se méritent qu’à ce prix. Les années scolaires sont pénibles tant pour les écoliers que pour leurs parents, certaines mères surtout qui se font fort de faire avaler les leçons à leurs enfants de la même manière dont elles procédaient avec les premières bouillies : diversion d’abord, puis cuillère enfoncée jusqu’à la glotte. « Demain nous avons contrôle de grammaire », annoncent-elles à leurs consœurs mères d’élèves. Ce « nous »! Ce terrifiant monstre à deux têtes qui ne laisse à l’enfant que le choix de subir la tyrannie de la mère ; cette impossible fusion qui génère tant de conflits, de rancunes et de remords, qui pourrit la relation des tout-petits avec la seule personne dont ils attendent, après la tension de la journée, un peu de patience et de réconfort. Que vaut l’apprentissage et qu’en garde-t-on sans la joie d’apprendre ? À quoi bon enseigner la grammaire et les subordonnées relatives à des êtres qui n’ont jamais été confrontés à la beauté d’un texte et dont aucune métaphore n’a fait briller les yeux ? À quoi bon les mathématiques si elles n’ont pas été déposées dans les tendres menottes comme un trésor poli par les siècles, élaboré par des savants et des alchimistes pour dévoiler les secrets de l’Univers ? Si les cartables sont lourds, c’est aussi et surtout parce qu’ils contiennent l’angoisse des parents, la peur de l’échec, la perspective des matins cendreux et désenchantés, l’aridité de matières pourtant fascinantes mais que tout concourt à dépouiller de leur magie. Dans un monde idéal, on ne devrait pas attendre les vacances pour être heureux.

L’été prend à peine sa pente que déjà les autoroutes se peuplent d’affiches publicitaires préparant la rentrée. Bientôt la chasse aux « fournitures » et des journées de bousculades en perspective, même pour les plus prévoyants. À voir les couleurs criardes des objets en réclame, on réalise à quel point l’univers scolaire, consommateur inconsidéré de plastiques...

commentaires (2)

La perspective des matins cendreux et désenchantés une belle perle qui brosse petits et grands écoliers et illétrés

Antoine Sabbagha

19 h 17, le 22 août 2019

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • La perspective des matins cendreux et désenchantés une belle perle qui brosse petits et grands écoliers et illétrés

    Antoine Sabbagha

    19 h 17, le 22 août 2019

  • Du métal sublimé on passe au plastique pollueur. La matière est très inspiratrice.

    FRIK-A-FRAK

    01 h 57, le 22 août 2019

Retour en haut