Ce que l’on pourrait appeler désormais « l’affaire du Festival de Byblos » continuera sans doute de faire couler beaucoup d’encre… Une affaire déplorable à bien des égards, mais qui aura eu au moins le mérite de poser des problèmes de fond qui dépassent de très loin le cadre étroit d’un groupe de rock et qui dépassent même aussi, sous certains aspects, les simples frontières du pays du Cèdre.
La position de principe que la rédaction de L’Orient-Le Jour a adoptée sur ce plan le week-end dernier, et qui va bien au-delà du cas ponctuel qui s’est posé au Festival de Byblos, avait pour but de pointer du doigt une dérive dangereuse qui se traduit par l’émergence d’une sorte de « dictature des réseaux sociaux ». En clair, nul ne devrait agréer qu’un groupe d’internautes, quel qu’il soit, puisse imposer sa volonté par la seule voie de la violence morale et des menaces directes, d’autant que certains habitués de la Toile s’expriment sous le couvert de l’anonymat et donnent ainsi libre cours aux positions les plus extrémistes.
Cela ne signifie nullement qu’il faudrait faire preuve de résignation en cas d’atteintes graves à des croyances sacrées ou à la dignité de l’individu. Mais toute autorité ou personne qui s’estimerait lésée à cet égard se doit de recourir à l’appareil judiciaire en mettant en œuvre les procédures d’urgence adéquates. Toute autre démarche en dehors des lois en vigueur aboutirait inéluctablement, et à court terme, à l’instauration d’une véritable loi de la jungle généralisée et aurait pour conséquences, irrecevables, de saper les fondements de la liberté d’expression – raison d’être du Liban. Tel était l’essence du message transmis par l’équipe rédactionnelle de L’OLJ.
Le ministre français de l’Intérieur Christophe Castaner soulignait dimanche dernier dans son post sur Tweeter que « la liberté de s’exprimer sans entraves et l’ordre républicain ne sont ni négociables ni contradictoires ; protéger l’une et faire respecter l’autre, telle est la mission des forces de police ». Une petite phrase qui résume à la perfection en peu de mots toute la problématique actuelle. Dans le cas spécifique du Liban, « l’ordre républicain » pourrait se traduire par la prise en considération scrupuleuse des spécificités et des susceptibilités locales. Dans le contexte régional présent que nul n’ignore – et ne devrait négliger –, les sensibilités communautaires et religieuses sont à fleur de peau. Se livrer dans une telle situation, en tous points explosive, à des allusions qui portent à équivoque et qui peuvent être perçues comme une atteinte à des symboles religieux relève de la malencontreuse maladresse, pour le moins qu’on puisse dire – sans vouloir se livrer à d’autres interprétations.
Bien au-delà du cadre libanais, ce cas précis apparu à la faveur du Festival de Byblos nous amène à poser un problème beaucoup plus grave à l’échelle internationale. Une question fondamentale mérite d’être soulevée, au risque que l’on soit diabolisé et traité de tous les noms : pour quelles raisons obscures, inavouées et sans doute inavouables, certains groupes de hard rock en Occident se livrent-ils à un zèle excessif et provocateur en prenant du plaisir à traîner dans la boue, de manière parfois répugnante et choquante, des symboles religieux ? S’agit-il de détruire pour détruire un ordre précis, ou le but recherché est-il aussi de paver la voie à d’obscurs desseins, ou cherchent-ils plutôt tout simplement à faire parler d’eux dans les médias en se faisant une publicité gratuite?
Le problème à cet égard ne se pose nullement en termes de morale et d’angélisme primaire. Mais il faudrait avoir le courage, et l’audace, de reconnaître que l’absence totale de valeurs et de repères conduit toute société à sa perte et aboutit à une situation du « n’importe quoi », caractérisée par la logique du plus fort, de la violence aveugle, et par des comportements bassement mercantiles et égocentriques. Les repères en question pourraient être à caractère laïc – pour les non-croyants – tout en rejoignant les valeurs religieuses aux plans de la liberté et de la dignité de l’individu, de l’ouverture à l’autre, du partage, du don de soi, du droit à la différence, sans compter l’éducation des enfants à de telles valeurs dans le cadre de la cellule familiale.
Dans cette optique, l’épisode du Festival de Byblos a peut-être mis en exergue également une faille d’une toute autre dimension et devrait stimuler à cette occasion une réflexion profonde sur une question cruciale : l’efficacité de l’éducation religieuse dans les écoles, en adéquation avec notre époque. Une personne solide dans sa foi, suffisamment imprégnée des repères prônés par sa religion, ne devrait pas pouvoir être ébranlée outre mesure dans ses convictions par les tentatives de dénigrement ou de sabotage. Certes, le doute peut s’emparer parfois de certains croyants, et la foi qui déplace les montagnes n’est peut-être qu’une vue de l’esprit. Mais il reste que les préposés à l’éducation religieuse, ou même laïque, ont le devoir d’inculquer aux générations montantes des valeurs susceptibles de tenir la société moderne à l’écart de la loi de la jungle, dans son aspect le plus sauvage, fondé sur la seule logique du plus fort.
commentaires (7)
Enfin quelqu'un qui met un peu d'eau dans le vin aigrelet du terroir de l'OLJ dans l'affaire du quatuor suspicieux .
Hitti arlette
15 h 57, le 06 août 2019