La visite très remarquée des trois anciens chefs de gouvernement, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam, en Arabie saoudite, lundi dernier, ne restera pas orpheline. S’inscrivant dans le cadre d’une large campagne de défense de la Constitution, et plus particulièrement de la présidence sunnite du Conseil des ministres, perçue comme étant de plus en plus affaiblie par les effets pervers du compromis présidentiel, la rencontre de Djeddah sera suivie par une tournée des trois anciens PM prévue dans plusieurs autres États du Golfe et des pays arabes, invités eux aussi à raviver leur intérêt pour le Liban.
C’est ce qui ressort des entretiens téléphoniques accordés à L’OLJ par MM. Siniora et Salam qui, d’une même voix, déplorent l’état de délitement auquel est parvenu le pays dont la Constitution ne cesse, selon eux, d’être bafouée.
C’est la première fois que les trois anciens chefs de gouvernement effectuent une visite ensemble pour plaider en faveur d’un Liban qui se sent lâché par son environnement arabe. Elle reflète surtout un réveil sunnite destiné à contrer, d’une part, une ambition chrétienne de toute puissance incarnée par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, et, d’autre part, une orientation forcée vers l’axe iranien que tente d’imposer le Hezbollah.
Les trois anciens responsables sunnites ont choisi d’entamer leur campagne par l’Arabie saoudite qui, en définitive « n’est autre que le père de Taëf », comme le souligne M. Siniora.
« Malheureusement, depuis un certain temps, le royaume avait pris ses distances à l’égard des questions libanaises, probablement parce qu’il s’est lassé de nos problèmes récurrents, mais aussi à cause de ses préoccupations internes, les responsables saoudiens étant soucieux de mettre de l’ordre dans leur propre royaume », dit-il.
Prié d’évaluer l’impact de cette visite, M. Siniora estime avoir réussi, avec ses pairs, à sensibiliser à nouveau les responsables saoudiens qui ont réaffirmé à leurs interlocuteurs libanais leur souhait de « recouvrer leur rôle d’antan ».
Le roi Salmane avait exprimé, devant ses hôtes, le souci de l’Arabie saoudite de « préserver la sécurité et la stabilité du Liban, et l’importance de le maintenir au sein de son environnement arabe ». Il a également souligné l’importance de « préserver l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre interne au Liban ».
Si ces prises de position ne sont autres qu’un rappel des constantes souvent exprimées par Riyad, il n’en reste pas moins qu’une grande place a été accordée lors des échanges à la nécessité de préserver la Constitution. C’est ce que confirment MM. Salam et Siniora qui déclarent ouvertement leur irritation face aux atteintes répétées à la Constitution au cours des dernières années.
(Lire aussi : Un début d’apaisement, mais pas de Conseil des ministres en vue)
Violations en série
Bien qu’ayant atteint un taux record « au cours des trois dernières années », ces violations remontent à bien loin, rappelle M. Salam qui cite pour exemple « l’hérésie du tiers de blocage » lancée à Doha ou encore la quote-part dans la composition du gouvernement que réclament les présidents de la République. Idem, dit-il, pour le rôle prépondérant qu’avait revendiqué l’actuel chef de l’État, Michel Aoun, dans le processus de formation du gouvernement. Une déviation vivement critiquée à l’époque par les trois anciens chefs de gouvernement.
« Le chef de l’État a un droit de regard sur la seule composition du cabinet, et non sur le processus en lui-même qui est une prérogative propre au Premier ministre », dit M. Salam.
Pour M. Siniora, ces hérésies sont symptomatiques d’un nouveau climat destiné à remettre en cause l’esprit et les fondements de Taëf.
« Certaines parties n’ont même pas caché leur souhait de modifier la Constitution », fait-il remarquer, en allusion aux propos du chef du CPL qui avait clairement fait entendre que les maronites souhaitent « recouvrer leurs droits intégralement » qui, selon lui, ont été spoliés par l’avènement du « sunnisme politique ».
Toutefois, ce n’est pas au chef du CPL que M. Siniora fait porter le blâme, mais « plutôt au président de la République, qui est appelé à veiller au respect de la Constitution et à jouer le rôle d’un rassembleur de toutes les composantes libanaises. C’est à lui que j’adresse surtout mes reproches », dit-il.
« Ma devise est la suivante : le Liban doit être gouverné par la force des équilibres (internes), et non par l’équilibre des forces en présence qui, en concoctant entre elles des partenariats judicieusement dosés, font prévaloir leur puissance aux dépens du reste des composantes », dit-il, en allusion notamment à l’entente conclue entre le CPL et le Hezbollah, et dont le front sunnite estime être en train de faire aujourd’hui les frais.
Également au menu des discussions de Djeddah, la crise économique et la nécessité de soutenir le Liban. Aucune mention n’a été faite à la conférence de Paris (CEDRE), encore moins aux armes du Hezbollah, a-t-on appris de source proche de M. Mikati.
« Le Liban peut certes mettre à profit tout soutien qui lui vient de l’extérieur, sauf qu’il nous incombe, à nous Libanais, d’assumer notre devoir en faisant le ménage dans notre propre demeure », dit encore M. Siniora en reprenant la célèbre pensée de saint Augustin : « Dieu nous a créés sans nous, mais il ne nous sauvera pas sans nous. »
Pour mémoire
commentaires (7)
Les Déboires de Siniora et les Campagnes médiatiques contre lui des mois derniers deja oubliées ? Ca fait plaisir
Cadige William
22 h 34, le 17 juillet 2019