Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, s’adressant hier à des religieux à Téhéran. Photo HO/Khamenei.ir/AFP
Téhéran ouvre une brèche dans le mur de ses rapports avec Washington et l’Occident. Au lendemain de la déclaration du président iranien Hassan Rohani, indiquant que la porte n’était pas complètement close pour un éventuel dialogue avec les États-Unis, c’est au tour du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif de se prêter à l’exercice.
Dans une interview accordée lundi soir (heure de New York) à la chaîne américaine NBC News, le chef de la diplomatie iranienne, actuellement à New York pour une réunion de l’ONU, a laissé entendre que son pays pourrait mettre sur la table des négociations son programme de missiles balistiques dans le cadre de discussions avec les États-Unis. Il a néanmoins imposé des conditions draconiennes en contrepartie, à savoir : l’arrêt des ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. « Ce sont des armes américaines qui entrent dans notre région, la préparant à l’explosion (…) Donc, s’ils veulent parler de nos missiles, ils doivent d’abord cesser de vendre toutes ces armes, y compris les missiles, à notre région », a affirmé M. Zarif, cité par l’agence Associated Press, établissant une comparaison entre les budgets dédiés à la défense de Riyad, d’Abou Dhabi et de Téhéran, respectivement de l’ordre de « 67, 22 et 16 milliards de dollars ».
Les exigences énoncées par le chef de la diplomatie iranienne s’expliquent par l’importance que la République islamique accorde à ses missiles. Critiqués depuis des années par les chancelleries occidentales, ils sont la colonne vertébrale du programme militaire iranien. Même si Téhéran martèle qu’ils sont uniquement développés à but défensif, les missiles sont en fait devenus, au fil des ans, un véritable vecteur de puissance pour l’Iran qui permet de compenser la faiblesse des autres secteurs de son armée, et ce même si l’Iran a procédé ces derniers mois au développement de nouveaux avions et navires de combat. Ces missiles sont également devenus une arme de propagande pour le régime des mollahs qui n’hésite pas à en faire la promotion pour rappeler à la population iranienne qu’il est la seule défense que le pays possède face à une éventuelle agression extérieure. Il est surtout devenu un instrument pour le développement de la politique régionale de l’Iran, alors que son influence au Moyen-Orient s’est largement accrue au cours de ces dernières années. En Irak, en Syrie, au Yémen ou encore au Liban, la République islamique a transféré à des milices qui lui sont fidèles un grand nombre de ces missiles ayant chacun une portée de plusieurs centaines de kilomètres et pouvant atteindre Riyad, Tel-Aviv ou encore les bases américaines dans la région.
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Propos symboliques
Être prêt à les mettre sur la table des négociations est ainsi un geste de grande ampleur de la part de M. Zarif. C’est la première fois qu’un responsable iranien se dit prêt à négocier sur la question du programme balistique. Jusqu’à présent, tous ceux qui ont osé le remettre en cause se sont attiré les foudres de Téhéran. Cela représente également un effort d’ouverture de la République islamique envers les États-Unis, avec qui les tensions ont redoublé d’intensité ces dernières semaines, non seulement dans la région du Golfe, mais aussi sur le dossier du nucléaire et de l’accord signé en 2015, aujourd’hui en péril. Toutefois, les propos de M. Zarif sont avant tout symboliques.
Les conditions iraniennes énoncées par M. Zarif sont irréalisables. Le président américain Donald Trump n’est certainement pas prêt à renoncer à son commerce d’armes avec Riyad et Abou Dhabi. Il suffit pour cela de se rappeler des milliards de dollars de contrats d’armements conclus avec le royaume wahhabite et l’image montrant l’étalage, par le locataire de la Maison-Blanche, des armes américaines vendues aux Saoudiens lors de la visite à la Maison-Blanche du prince héritier Mohammad ben Salmane, en mars 2018.
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Le chef de la diplomatie iranienne n’a par ailleurs pas de marge de manœuvre quant à une éventuelle décision impliquant les missiles balistiques puisqu’ils sont sous le contrôle direct du guide suprême iranien Ali Khamenei et des gardiens de la révolution islamique (GRI, pasdaran). « Même s’il fait partie du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, Mohammad Javad Zarif se classe parmi les derniers de la “chaîne de décision” quant à l’utilisation des missiles balistiques », explique Jonathan Piron, spécialiste de l’Iran pour le site Etopia, contacté par L’Orient-Le Jour. Les propos du chef de la diplomatie iranienne relèvent davantage de la « déclaration politique pour démontrer que les Iraniens sont prêts à négocier et que ce sont eux qui font le plus d’efforts pour tenter de trouver un accord, montrant par la même occasion que les Américains ne veulent pas apaiser la situation », estime-t-il.
« La seule raison qui pousserait l’Iran à renoncer à son programme de missiles balistiques serait la conclusion d’un accord régional qui pousserait chaque pays de la région à renoncer ou limiter leurs programmes respectifs », souligne l’expert, ajoutant que « le Moyen-Orient est une zone où il n’y a aucun contrôle réel sur la production et l’utilisation de certaines armes ». Mais un tel accord, compte tenu du contexte géopolitique actuel, est impossible à mettre en place parce que aucune négociation n’est pas possible entre les différents acteurs. Ces négociations mêleraient par ailleurs l’Iran, les pays du Golfe mais aussi Israël. L’État hébreu ne semble néanmoins pas près de renoncer à son arsenal nucléaire, considérant, selon lui, la menace persistante de l’Iran dans la région.
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ILS VONT DISCUTER ET DES ARMES BALISTIQUES ET DES MILICES QU,ILS ENTRETIENNENT DANS LES PAYS ARABES ET AUTRES. LES SANCTIONS FONCTIONNENT SUPERBEMENT.;
13 h 50, le 17 juillet 2019