L’union pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien (ou JCPOA). C’est dans cette atmosphère que les ministres européens des Affaires étrangères se sont retrouvés hier à Bruxelles pour tenter de définir le rôle que pourrait jouer l’Europe dans une stratégie de désescalade entre l’Iran et les États-Unis, et de sauver ce qu’ils considèrent être la meilleure garantie pour que Téhéran n’acquière pas l’arme atomique.
Les tensions entre Américains et Iraniens, à couteaux tirés depuis le retrait des États-Unis du JCPOA le 8 mai 2018 et la réimposition des sanctions économiques, se sont fortement ravivées ces dernières semaines dans la région du golfe Arabo-Persique, mais aussi sur le dossier du nucléaire. La République islamique a annoncé, le jour de « l’anniversaire » de la sortie de Washington du deal, une diminution étape par étape mais contrôlée de ses engagements pris en 2015 en termes nucléaires. Tous les 60 jours, Téhéran renoncera à une ou plusieurs de ses promesses. Il a commencé par dépasser le niveau de stock d’uranium et le niveau d’enrichissement de celui-ci. Mais bien qu’il ait atteint la barre des 4,5 %, qui reste en-deçà de la barre des 20 % utilisée par la réglementation internationale pour l’application militaire, le symbole est là. Dans ce contexte, les Européens, inquiets de la situation et fervents défenseurs de l’accord sur le nucléaire, veulent calmer le jeu.
Dans une précédente déclaration publiée dimanche, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni avaient déjà appelé à une désescalade des tensions au Proche-Orient entre Washington et Téhéran. « Nous sommes préoccupés par le risque que le JCPOA ne se défasse, sous la pression des sanctions imposées par les États-Unis et à la suite de la décision de l’Iran de ne plus appliquer plusieurs des dispositions centrales de l’accord », expliquent-ils. « L’accord n’est pas encore mort (…) nous voulons donner à l’Iran une possibilité de revenir sur ses mesures en contravention avec ses engagements », a affirmé hier le ministre britannique des Affaires étrangères Jeremy Hunt. « L’Iran a pris de mauvaises décisions en réaction à la mauvaise décision des États-Unis de se retirer de l’accord et d’imposer des sanctions dont la portée extraterritoriale touche de front les avantages économiques que le pays pouvait retirer de l’accord », a déploré quant à lui son homologue français Jean-Yves Le Drian. « Les mesures iraniennes sont réversibles et nous appelons les autorités iraniennes à revenir sur leur décision », a plaidé la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini à l’issue de la réunion d’hier. « L’accord est mal en point, mais j’espère que sa dernière heure n’est pas venue. Il est urgent que l’Iran respecte ses engagements », a-t-elle ajouté.
Les Européens ont par ailleurs multiplié ces dernières semaines les déclarations et envoyé leurs représentants directement sur le sol iranien pour maintenir le dialogue avec la République islamique. Le déplacement du conseiller diplomatique du président français Emmanuel Macron à Téhéran, la semaine dernière, entre dans ce schéma. « Les Européens sont manifestement en train de se rendre compte que l’affaire iranienne est on ne peut plus sérieuse », explique François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran de 2001 à 2005, contacté par L’Orient-Le Jour. Il a estimé qu’il y a un virage à 180 degrés dans la diplomatie européenne. « Entre la déclaration du 9 juillet et celle de dimanche dernier, on passe d’un blâme entièrement focalisé sur l’Iran à un autre sur les États-Unis (…) Les Européens prennent leur courage à deux mains et montrent pour la première fois Washington du doigt », affirme l’ancien diplomate.
(Lire aussi : Les États-Unis et leurs alliés veulent jouer les sentinelles dans le Golfe)
Marge de manœuvre limitée
Côté iranien, le président Hassan Rohani a réaffirmé dimanche que la porte n’était pas complètement close pour un éventuel dialogue avec les États-Unis « dès maintenant et n’importe où », mais que cela ne serait possible que si les Américains « lèvent les sanctions, mettent fin à la pression économique et reviennent à l’accord ». Réagissant au communiqué européen de dimanche, Téhéran a appelé hier les signataires du JCPOA à prendre des mesures « pratiques, efficaces et responsables » pour le sauver. « Nous insistons sur (...) la réciprocité des droits et des devoirs » entre les parties à l’accord nucléaire, a déclaré le porte-parole des Affaires étrangères, Abbas Moussavi, dans un communiqué. Le porte-parole de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA), Behrouz Kamalvandi, cité par l’agence officielle IRNA, a affirmé de son côté que l’Iran pourrait revenir à la situation qui prévalait avant l’accord de 2015 « si les Européens et les Américains ne veulent pas agir conformément à leurs engagements ».
Téhéran agite ainsi une nouvelle fois la carte de la menace pour motiver les Européens à agir. Mais leur marge de manœuvre reste limitée, entre les Américains qui ne veulent pas revenir au sein de l’accord qu’ils ont quitté et les Iraniens qui ne veulent en aucun cas le renégocier. « L’UE doit trouver un accord limité entre les États-Unis et l’Iran qui permette de faire baisser la tension d’un côté et qui empêche l’un des deux rivaux de dire “j’ai gagné” », explique M. Nicoullaud, ajoutant que la clé d’une réussite du dialogue de la part des Européens réside dans la non-imposition de nouvelles sanctions américaines contre l’Iran. « Si une nouvelle vague de sanctions venait à être imposée, il n’y aurait plus de bases sur lesquelles raccorder les fils », explique l’ancien diplomate, estimant que « tout le monde semble un peu prudent. Chacun attend un peu, tout en s’agitant “discrètement” pour essayer de trouver une solution ».
Cette prudence semble par exemple se lire dans la non-imposition de salves de sanctions promises par Donald Trump et qui ne sont pas encore apparues, comme celles annoncées jeudi dernier suite à la visite du conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron en Iran, ou encore celles visant le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, grand artisan du JCPOA et considéré comme « modéré ». Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a, au contraire, confirmé avoir accordé à son homologue iranien un visa pour que celui-ci puisse prendre part à une réunion de l’ONU prévue cette semaine au siège de l’organisation, à New York.
La situation de « détente » qui semble s’amorcer donne un répit aux Européens, qui doivent maintenant essayer de mettre le maximum de chances de leur côté pour espérer parvenir à une désescalade. « La nécessité pour l’UE, c’est éviter les gestes qui casseraient tout et relanceraient l’escalade », conclut François Nicoullaud. Les Européens espèrent convaincre les Iraniens de leur volonté de les aider avec l’utilisation de l’Instex, un mécanisme de troc créé pour contourner les sanctions américaines en évitant d’utiliser le dollar. Les achats iraniens en Europe seront compensés par des achats européens pour un montant équivalent en Iran. « Les premières transactions sont en cours de réalisation », a annoncé Federica Mogherini. Dix pays de l’UE se sont engagés à utiliser cet instrument et des pays « non membres de l’UE » vont également rejoindre cette initiative, a-t-elle annoncé. Il faudra néanmoins attendre les résultats d’un tel mécanisme pour savoir s’il répond aux attentes de l’Iran.
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Les Européens n’ont jamais été en mesure de sauver le JCPOA
commentaires (6)
MORT ET ENTERRE ! DE NOUVELLES NEGOCIATIONS ET D,UN NOUVEL ACCORD IL EN EST AUJOURD,HUI QUESTION.
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 05, le 16 juillet 2019