Il n’y a certainement pas de hasard, mais des rencontres, si. Et c’est l’amour de la musique qui a réuni Yasmina Joumblatt et Gabriel Yared. Si ces deux personnes « extrêmement introverties » sont sur la scène du palais de Beiteddine ce jeudi 18 juillet en concert inaugural du festival, c’est parce que, de son côté, elle a réussi à dépasser sa timidité en suivant les conseils de celui qu’elle appelle parfois (tendrement) « le tyran », et que lui, pour sa part, est parvenu à se replonger totalement dans la culture musicale orientale. « Ce que vous allez entendre jeudi n’est pas une superposition de musique occidentale sur des mots arabes mais une assimilation totale de notre passé, culture et émotions, précise Gabriel Yared, car ce n’est pas un simple retour aux sources. C’est un travail sur soi et un désir profond de partager notre moi intime avec les autres, car nous sommes, tous deux, arrivés à maturation ».
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Yasmina Joumblatt, vous avez quitté le Liban à 13 ans et vous, Gabriel Yared, à 19 ans. Vous étiez fâchés avec le pays ?
G.Y. : Je n’étais pas fâché du pays mais de ma condition. Je n’avais qu’une seule envie : faire de la musique. Or mes parents s’y opposaient. J’ai dû faire des études de droit avant de me consacrer réellement à ma passion.
Y.J. : Je suis une enfant de la guerre. Et je voulais fuir cette situation-là. Les conditions familiales ont favorisé également mon admission en pensionnat à l’extérieur.
G.Y. : Tu es entrée au pensionnat dès l’âge de 13 ans et moi de 4 à 14 ans.
Y.J. : C’est dire que nous deux, nous avions vécu une rupture avec le pays mais aussi avec la famille.
Ce projet musical marque-t-il donc une réconciliation avec le Liban ?
Y.J. : Cette réconciliation a commencé à la naissance de mes filles. Lorsqu’elles m’ont demandé d’où elles venaient. C’était difficile pour moi de leur dire qu’elles étaient suisses. Il y a eu donc, à travers mes filles, un retour identitaire vers le Liban que j’ai redécouvert et aimé passionnément. Aujourd’hui, cela me fait de la peine quand j’entends certains Libanais dire du mal de leur pays. Je me suis même remise à redécouvrir la langue que j’avais perdue. Quant à Asmahan, mon arrière-grand-mère, que je voyais, petite, comme une diva, je me suis penchée vers elle comme une adulte. C’était donc, également, un retour vers la culture musicale arabe.
G.Y. : Je n’ai jamais aimé la musique arabe. Ce n’est qu’au pensionnat que j’entendais les muezzin et certains effluves de musique orientale qui me parvenaient, mais je n’y étais pas sensible. Avant de quitter le pays, j’avais trouvé chez ma grand-mère maternelle – qui avait épousé un grand érudit – un gros livre qui s’intitulait Conférence sur la musique arabe, 1932. C’était la seule conférence qui avait eu lieu au Caire cette année-là et qui avait réuni tous les musiciens du bassin méditerranéen avec, entre autres, le Yémen, l’Irak, l’Algérie. Pour la première fois, ils avaient mis en notes les mouachahat et les maqamat. Je l’avais donc pris avec moi et je l’ai mis de côté. Au fil du temps, je me suis mis à le feuilleter et puis à acheter des disques d’un muezzin, de Oum Koulthoum ou de Mounir Bachir et puis pour comprendre ce que j’entendais, je le relevais à l’oreille. Je me suis alors rendu compte combien cette musique que j’ignorais était riche. J’ai alors écrit Muezzin pour Michel Jonasz. Ma première composition musicale pour le cinéma (après Godard) était pour Petites Guerres de Maroun Baghdadi. C’est là que je me suis penché à nouveau sur mes souvenirs ainsi que sur ce livre pour flirter ou me fiancer, avant de me marier, avec la musique arabe. Suivirent Hanna K de Costa Gavras (orchestre symphonique avec oud, qanun et nay); Adieu Bonaparte de Youssef Chahine (mélange d’oriental et de musique symphonique) et Azur et Asmar de Michel Ocelot. Yasmina (NDRL : Joumblatt) est arrivée à pic alors que cette histoire de rejet de la musique arabe était devenue une histoire d’amour pour moi.
Mais quand elle vous a proposé le projet musical une première fois, vous l’avez refusé. Pourquoi avoir changé d’avis plus tard ?
G.Y. : Je ne pensais pas que j’étais la personne la plus adéquate pour le projet. Nous sommes quand même restés amis. Trois ans plus tard, j’ai décidé de le reprendre en main. Je lui ai demandé alors de venir dans mon studio pour chanter avec pour seul accompagnement le métronome. C’est ainsi qu’a débuté notre collaboration.
Y.J. : J’avoue que je suis tombée amoureuse de la musique de Gabriel Yared quand j’ai vu le film L’Amant. Je me souvenais même plus de la musique que du film. Étant quelqu’un de très obsessionnel, je tenais à le rencontrer. C’était en 2004. Je lui proposais d’orchestrer pour moi la célèbre chanson d’Asmahan Ya habibi ta3ala. Quand il a refusé, je me suis amusée à enregistrer avec un ami, Ghazi Abdel Baki, des bribes de la chanson.
(Pour mémoire : Yasmina Joumblatt : J’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies)
Pourquoi avoir choisi précisément cette chanson et comment le projet musical a-t-il évolué par la suite ?
Y.J. : Parce que j’avais entendu beaucoup de reprises de cette chanson qui étaient communes et ne faisaient pas honneur à cette grande diva. J’étais un peu révoltée. Je voulais la confier à quelqu’un qui connaisse bien la musique et qui a du « vrai » à apporter à ce morceau. De plus, quand on reprend les compositions d’un artiste qui n’est plus parmi nous pour donner son aval, il faut être fidèle à l’œuvre le plus possible. Nous avons donc repris les chansons que Farid el-Atrache a composé à l’ « occidentale » comme Layali el-onsi fi Vienna, qui est une valse. Je n’ai donc pas l’impression d’avoir trahi Asmahan mais de lui avoir rendu hommage.
G.Y. : Certes, on a commencé par Ya habibi ta3ala et on a recréée d’autres titres chantés jadis par Asmahan. Mais, par la suite, nous avons enregistré quatre inédits que Yasmina a écrits. Pas encore d’album mais les quatre titres sont déjà en digital (NDLR : sur Anghami et iMusic). Nous avions donc approfondi le projet qui allait au-delà de ce que nous avions commencé et je pense que si Farid el-Atrache était vivant, il aurait été heureux du résultat, car nous n’avions aucune fois dénaturé sa musique.
Comment avez-vous travaillé alors que vous deux habitiez un pays différent. De plus, Yasmina est homéopathe...
G.Y. : Pour moi, la musique s’inspire du texte, d’une histoire. Elle écrivait, m’envoyait le texte et venait souvent par la suite pour enregistrer. Comme j’orchestre très vite, nous avancions à grands pas.
Y.J. : J’ai fermé mon cabinet en décembre et je me suis donné neuf mois de répit. Comme une grossesse. D’ailleurs, je reprends en septembre car j’ai des patients que je ne peux abandonner.
Pour mémoire
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Gabriel Yared retourne aux sources d’Asmahane
Merci à Mr.Abboud. Je me disais bien que cette chanson médiocre puait en effet une sorte de tango. Grâce à vous j'apprends que la Rumba est "une sorte de tango" (comme je déteste les deux cette approximation ne m'est pas trop insupportable)
19 h 46, le 19 juillet 2019