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Culture - Rencontre

Comment faire de la musique de film sans film

Comment produire un album de niche, aux confluences du classique, du jazz et de l’ambiant, dans une industrie plutôt portée vers les tubes ? Comment produire une musique de film sans film ? Leçon avec le compositeur et trompettiste Martin Loyato, qui a sorti son troisième album « Cinematic Tales ».

Martin Loyato sur la couverture de son album « Cinematic Tales ».

Pour d’autres artistes, c’est facile : Britney Spears, c’est de la pop. Wolfgang Amadeus Mozart, c’est du classique. Et Martin Loyato, qu’est-ce que c’est ? Son troisième album, Cinematic Tales, est difficilement classable. Le compositeur et trompettiste argentin installé à Beyrouth brasse des genres qui ne sont pas souvent réunis : du classique, du jazz, de l’électronique. Le tout saupoudré de rythmes tango et de sonorités orientales, à travers une trompette avec demi-ton. C’est éclectique. L’artiste lui-même est réticent à l’idée d’être rangé dans une case : « Je n’aime pas les catégories. »

Alors comment décrire son album ? Martin Loyato a lui-même été contraint de se poser la question. Car quand on met un album en ligne, les plateformes de diffusion et de vente comme Spotify, Amazon ou Apple demandent de lui assigner une catégorie. Laquelle choisir ? Le musicien explique son titre, Cinematic Tales : « Mon but était que les gens imaginent des choses en l’écoutant. » Cela ressemble à de la musique de film, sauf qu’il n’y a pas de film : impossible de le ranger sous cette catégorie-là.


Musique sur fond vert
La première suggestion de Martin Loyato a donc été de placer l’album dans la catégorie musique classique, car les morceaux sont enregistrés avec un orchestre symphonique. Lui a fait carrière dans le milieu du jazz : il a travaillé pendant 17 ans sur les scènes de New York et de Los Angeles, jouant notamment avec le jazzman américain Yusuf Lateef. L’habit ne fait pas l’album : le look de Martin Loyato est plutôt celui d’un vieux rocker : bouc, cheveux longs attachés, blouson de cuir et casque de motard.

Problème : « La photo de couverture de l’album ne correspondait pas aux critères visuels des plateformes pour ce qui entre dans la catégorie classique », explique le compositeur et trompettiste consterné. Sur la couverture de Cinematic Tales, il pose assis dans un fauteuil en compagnie de son instrument, sur fond vert : ce fameux green screen utilisé pour les effets spéciaux, pour le clin d’œil au monde du cinéma. Il y a aussi un cadre rouge avec l’inscription « Rec », comme sur les images de caméra. C’est cela qui posait problème à Spotify, sites de vente et consorts, pour classer l’album avec la musique classique. Absurde ? L’album a fini dans une sous-catégorie de la rubrique « Musiques du monde ».

La démarche de Martin Loyato est une leçon sur « comment naviguer dans l’industrie de la musique ». Oui, il est possible de financer et produire une musique de niche, ici grâce au label indépendant Syncretism Records et à une bourse de la Lebanese American University (LAU) notamment. « Mon but n’a jamais été d’être célèbre. Je suis content seulement avec ça, écrire et jouer ma musique. J’ai écrit mes albums pour documenter ma vie, l’état d’esprit dans lequel j’étais à un moment donné. » À musique de niche, public restreint : « Peu de gens vont m’écouter », le musicien le sait. Les statistiques le lui disent : moins de 1 000 écoutes sur Spotify. Parmi ses auditeurs, « des trompettistes m’envoient des mails en me demandant les partitions de mes morceaux pour les jouer avec leur groupe ».

Il est donc possible de produire un album en dérogeant aux règles commerciales de base du milieu. « Les producteurs veulent en général que les musiciens produisent des tubes de 3 minutes sur un album », explique Martin Loyato, parce que cela permet de mieux vendre. Lui s’y refuse. Comme dans ses deux premiers albums, il n’a pas de single à promouvoir. Dans son album d’environ une heure, les morceaux enregistrés s’enchaînent comme un tout. Dans son premier EP, Syncretism, Loyato avait même enregistré un morceau de 20 minutes inspiré de musiques indonésiennes : « Mon producteur m’a dit que j’étais fou. » Il ne fait pas de compromis là-dessus, ni sur la construction de son album : « Pour moi, un album est une œuvre d’art. Tu ne peux rien couper, couper une chanson serait comme découper un bout de tableau pour qu’il rende mieux dans ton salon. »

L’artiste s’adapte toutefois aux règles de l’industrie, par exemple en se pliant à l’impératif de communication sur les réseaux sociaux, Instagram et Facebook. Il se pose aussi la question des débouchés sur le marché de la musique pour ses étudiants. Ayant participé en 2013 au lancement du premier master en « performing arts » au Liban et au Moyen-Orient à la LAU, il y enseigne désormais. « Qu’est-ce que les étudiants peuvent gagner ici, avec un diplôme en musique ? » Le musicien s’est concentré sur la technologie de la musique : « Ils peuvent trouver un travail, par exemple, en production ou en musique de film. » Même si le film n’existe pas ?


Pour mémoire
Le saxophone Loyato de Mister Martin


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