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Le trauma de Manama

Depuis des générations, il vient sporadiquement hanter nos esprits. Bien souvent cependant, le spectre de l’implantation est vite chassé par des soucis plus pressants, d’une plus impérative urgence : de ce genre de soucis que seules peuvent connaître, croyait-on, les républiques bananières minées par la corruption, privées des services publics les plus essentiels et où la satisfaction des besoins quotidiens figure en tête des priorités des gens.


Et puis voilà qu’à chaque tour et détour des crises qui secouent le Proche et le Moyen-Orient, la hantise d’une installation définitive, irréversible, des réfugiés résidant sur notre sol refait inéluctablement surface. Or qu’en serait-il quand s’ajoutent à cette misérable humanité plus d’un million de réfugiés de Syrie, dont ne veut clairement pas le sanguinaire régime de Damas ?


C’est bien cette angoissante question que suscite l’atelier économique consacré aux Palestiniens qui vient de se tenir dans le royaume de Bahreïn, sous les auspices des États-Unis. On y a fait miroiter des dizaines de milliards de dollars en investissements à la population de Cisjordanie et de Gaza. Nulle part cependant, dans ce programme, il n’est fait mention des cinq millions et demi de réfugiés palestiniens vivant dans les pays d’accueil arabes : question qui ne sera abordée qu’avec le volet politique du plan de paix concocté par l’administration Trump et pompeusement appelé marché du siècle.


Compte tenu de la criante partialité de Donald Trump en faveur d’Israël, les réfugiés seront, plus que probablement, interdits de retour dans leurs foyers d’origine ; les pays d’accueil devront donc se résigner à les garder sur place. C’est bien ce que suggère, sans avoir l’air d’y toucher, le projet présenté à la conférence de Manama. Celui-ci fait montre de délicates attentions, toujours sous forme d’investissements internationaux à trois États arabes limitrophes d’Israël, la Syrie se trouvant exclue du lot : trois États dont les graves problèmes économiques sont censés les rendre particulièrement sensibles aux pressions et tentations financières


Désert pour désert : malgré ses dénégations, l’Égypte passe pour se prêter à un troc, aux termes duquel elle grefferait au mouchoir de poche de Gaza un morceau de Sinaï, un échange d’une portion de Néguev israélien. Plutôt que d’un réaménagement géographique, c’est d’un colossal coup de bascule que souffrirait la Jordanie, déjà peuplée aux deux tiers de Palestiniens. Mais qu’en serait-il alors du minuscule Liban dont plus du tiers de la population est constitué de réfugiés ; qui a déjà un mal fou à préserver son fragile équilibre communautaire; et qui se voit offrir l’aubaine (l’aumône ?) d’un lifting de ses infrastructures laissées à l’abandon par une succession de dirigeants indignes ?


Assez naïvement, les Libanais croient avoir conjuré le péril de l’implantation en incluant dans le préambule de leur Constitution le rejet formel d’une telle éventualité (laquelle Constitution, soit dit en passant, est sans doute la seule au monde où il a été jugé nécessaire de préciser, noir sur blanc, que le Liban est une patrie définitive… pour tous les Libanais !). Nous voulons nous convaincre aussi que notre belle unanimité face à cette question – tous les jours démentie par les féroces querelles politiques, sectaires ou de vulgaire intérêt matériel – suffit pour éloigner le danger.


Pire encore, il y a clairement erreur quelque part ; ou alors, il y a triche. Selon l’agence de secours des Nations unies en charge de ce dossier, près d’un demi-million de réfugiés de Palestine vivent dans notre pays. Comme pour mieux faire passer la pilule amère, c’est d’un tiers de ce chiffre que fait seulement état un recensement officiel libano-palestinien de 2017. Qui croire, dès lors, on vous le demande…


Quoi qu’il en soit, doublement amère serait la fatidique pilule, si elle devait être avalée. Comme si la démarche religieuse et raciste d’Israël n’était pas encore assez, nombre de pays arabes n’auront pas peu contribué, dans l’affaire précise de Palestine, au déclin d’une formule libanaise de coexistence qui passait pour un modèle du genre. Ce sont maintenant des Libanais qui parachèvent le travail en offrant au monde l’image d’un État failli et en faillite, gangrené par la corruption, à la diplomatie erratique : d’un pays dont l’atout principal était le respect et la sollicitude qu’il inspirait mais qui ne cesse de décevoir même ceux qui veulent lui venir en aide.


Non à l’implantation ? Jamais cause plus vitale n’aura été défendue par d’aussi piètres champions.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Depuis des générations, il vient sporadiquement hanter nos esprits. Bien souvent cependant, le spectre de l’implantation est vite chassé par des soucis plus pressants, d’une plus impérative urgence : de ce genre de soucis que seules peuvent connaître, croyait-on, les républiques bananières minées par la corruption, privées des services publics les plus essentiels et où la...