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Moyen Orient et Monde - Récit

Plan Kushner : chronique d’un fiasco annoncé

Alors que le volet économique du fameux plan de paix américain pour le règlement du conflit israélo-palestinien devrait être dévoilé lors de la conférence de Manama les 25 et 26 juin, « L’OLJ » revient tout au long de la semaine, dans une série d’articles, sur les enjeux de ce « deal du siècle ». Premier article aujourd’hui...

Photo d’archives montrant Jared Kushner en compagnie du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Photo AFP

Une gestation (très) longue pour un accouchement qui promet d’être difficile. Voilà deux ans que l’on entend parler de ce fameux « deal du siècle », qui promet de résoudre rien moins que le conflit israélo-palestinien, vieux de 70 ans et sur lequel les diplomates les plus chevronnés de la planète se sont tous cassé les dents. Deux ans d’articles, de fuites, de commentaires, de fantasmes, de négociations diplomatiques, de reconfiguration régionale, sans pour autant que l’on sache avec certitude ce que contient ce plan et s’il verra le jour. « On ne sait absolument rien de ce que contient ce plan », confiait encore récemment une source diplomatique européenne à L’Orient-Le Jour.

Le volet économique du plan américain devrait pointer le bout de son nez la semaine prochaine à Bahreïn où de nombreux chefs d’État sont attendus. Il y aura les pays du Golfe, les indispensables Égyptiens et Jordaniens mais pas les principaux concernés : les Israéliens et les Palestiniens. Cela en dit long sur l’esprit qui anime les initiateurs du projet.

Retour en arrière, à l’acte I : la genèse. Le point de départ du récit est difficile à identifier, tant des éléments historiques personnels, politiques et géopolitiques qui n’avaient pas vocation à être liés se sont retrouvés imbriqués. Était-ce au moment de la signature des accords d’Oslo en 1993, qui portaient en eux les germes de l’accélération de la colonisation israélienne ? Était-ce pendant que Benjamin Netanyahu passait la nuit dans le New Jersey chez son ami Charles Kushner, qui lui mettait à disposition le lit de son fils, Jared, tandis que ce dernier s’était retrouvé à la cave ? Méditait-il alors sur l’histoire du sionisme, de ses grands-parents survivants de la Shoah et des raisons pour lesquelles son père soutenait financièrement la colonie de Beit El en Cisjordanie occupée ? Était-ce dans ces moments que le jeune Jared commençait à dessiner les contours de son plan de paix ? Ou était-ce plutôt après la mort de la sœur d’un de ses camarades de classe à la Yeshivat Frisch dans le New Jersey, tuée dans une attaque terroriste lors d’un voyage en Israël en 1995 ?

Car c’est à son gendre Jared Kushner que Donald Trump a donné la lourde tâche de résoudre le casse-tête israélo-arabe. Propulsé sur le devant de la scène en janvier 2017 après avoir, non sans succès, officié en coulisses lors de la campagne présidentielle américaine de 2015, le conseiller spécial du président n’a ni les épaules ni les qualifications requises pour mettre un pied dans la diplomatie. Henry Kissinger, chargé de rédiger une petite biographie du jeune milliardaire faisant son entrée parmi les 100 personnes les plus influentes selon le Time, a visiblement eu peu de choses à dire à son sujet. « En tant que membre de la famille Trump, Jared s’est familiarisé avec les actifs incorporels du président. Diplômé de Harvard et de l’Université de New York, il a une formation étendue en tant qu’homme d’affaires, une connaissance de l’administration. Tout cela devrait l’aider à exceller dans son rôle à voler près du soleil », écrit-il. Une description prophétique observent certains, Kushner se brûlera-t-il les ailes à la manière d’Icare ? Mais en dépit de son inexpérience évidente, il fait partie du clan, un critère absolu pour Donald Trump qui ne jure que par les liens du sang. Les liens personnels et religieux de Jared Kushner avec Israël, un juif orthodoxe, ont fini de convaincre le président qu’il misait sur le bon cheval. Pour ce qui est de l’entremetteur impartial entre Israéliens et Palestiniens, il faudra repasser.

Le cadre est posé. Les acteurs principaux côté américain ont tous plus ou moins le même profil. Jason Greenblatt, vice-président de l’organisation Trump, représentant spécial et avocat du président américain, a étudié à la Yeshivat Har Etzion en Cisjordanie occupée, où il montait occasionnellement la garde armée la nuit, ce qui a constitué sa seule vraie expérience de la région, en plus de la rédaction d’un guide de voyage en famille en Israël, corédigé avec son épouse. David Friedman, fils d’un rabbin conservateur et fervent défenseur de la colonisation israélienne, est nommé ambassadeur américain en Israël deux mois après l’investiture de Donald Trump.

Kushner, Greenblatt et Friedman sont les trois piliers de l’équipe de l’administration Trump pour le conflit israélo-palestinien, mettant de côté les prérogatives du secrétaire d’État, Mike Pompeo. « Le fait que Trump ait nommé trois juifs orthodoxes sans expérience diplomatique et très peu de connaissances sur le conflit israélo-palestinien ou sur la politique du Moyen-Orient en général a été une indication problématique de ce à quoi ressemblera ce plan de paix », estime Dov Waxman, professeur d’études israéliennes à la Northeastern University, à Boston, et auteur de The Israeli-Palestinian Conflict : What Everyone Needs to Know (OUP, 2019). « Le risque réel est que cette équipe ait une réelle incapacité à comprendre la perspective, le récit et l’expérience des Palestiniens », alors qu’ils adoptent parfois « le récit israélien, ou du moins le récit juif israélien de droite », poursuit l’expert.

Acte II : table rase. Cette nouvelle dynamique ne va pas tarder à envoyer valser des décennies de diplomatie américaine. Le 15 février 2017, soit un mois à peine après son investiture, le président américain s’était déclaré indifférent à la question de savoir si les négociations de paix devaient aboutir à la solution des deux États, garantie depuis 30 ans par Washington. À ses côtés ce jour-là, Benjamin Netanyahu jubile. Le discours du président américain se confond presque en tous points avec le sien. La menace iranienne et la montée du racisme dans les écoles palestiniennes sont brandies. Pour balayer les soupçons d’iniquité, la présidence américaine a invité Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, à se rendre à Washington, quelques semaines avant un voyage en Israël. L’accueil est loin d’être aussi chaleureux que pour l’allié israélien. « Quand vous préparez un plan de paix, en général vous négociez avec les deux parties et vous construisez un profil de médiateur d’“honest broker”. Ce qu’a fait l’administration Trump et Jared Kushner lui-même est exactement l’opposé de cela. Ils ont pris fait et cause de la manière la plus flagrante pour Israël », rappelle Gilbert Achcar, professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS, University of London), auteur d’un ouvrage sur Les Arabes et la Shoah : la guerre israélo-arabe des récits (2013). Lors de leur voyage en Israël en juin 2017, l’équipe de Kushner, qui s’était au préalable entretenue avec Bibi, avait laissé comme un goût amer à leurs interlocuteurs palestiniens. « Ils ressemblaient à des conseillers de Netanyahu et non à des arbitres équitables », confiait alors un haut responsable palestinien au Haaretz.

L’acte II peut se résumer en une série successive de claques adressées à la partie palestinienne. Il s’agit de les acculer, de faire jouer à fond le rapport de force dans un objectif très précis : la capitulation.


(Lire aussi : « Deal du siècle » : et maintenant ?)


En décembre 2017, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis provoque la colère des Palestiniens et suscite une vague de réprobation au Proche-Orient et bien au-delà. Si le plan de paix, qui n’a toujours pas dévoilé ses contours, avait une chance infime de voir le jour, cette initiative unilatérale vient de l’annihiler. Mahmoud Abbas ferme définitivement le canal avec Washington, qu’il « disqualifie » de facto de tout processus de paix. « Les conditions régionales mais surtout l’impact des décisions du président Trump, comme la reconnaissance de Jérusalem, a contraint son administration à repousser la publication du plan de paix », précise Dov Waxman. Jared Kushner a assuré que la reconnaissance de Jérusalem « ferait partie de tout accord final ». Et même s’il a affirmé que les autorités israéliennes devraient aussi « faire des compromis » – sans dire lesquels – il a une nouvelle fois mis l’accent sur l’indispensable « sécurité » de l’État hébreu.

Les décisions hostiles à toute résolution du conflit vont se poursuivre. Fin août 2018, les États-Unis, qui étaient de loin les plus grands contributeurs de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), annoncent mettre fin à leur financement. Lors de la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, le président américain avait annoncé que le plan de paix serait dévoilé en janvier 2019. Or, la dissolution de la Knesset en décembre 2018 pousse les Américains à reporter l’échéance après les élections israéliennes du 9 avril, misant sur une victoire de Benjamin Netanyahu. Quinze jours avant le scrutin, M. Trump annonce reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan. « Je pense que nous avons une meilleure chance d’aboutir – à “l’accord ultime” – maintenant que Bibi a gagné », déclare le président américain lors de l’annonce des résultats. Deux semaines après les élections, Jared Kushner avait annoncé qu’il allait enfin dévoiler le « deal du siècle » après le ramadan, qui prenait fin autour du 4 juin. La voie est pavée pour aller encore plus loin dans la logique israélienne. Israël a le droit d’annexer au moins une partie, mais « probablement pas toute » la Cisjordanie, déclare l’ambassadeur des États-Unis, David M. Friedman, dans une interview au New York Times le 8 juin. « Ce plan de paix est une feuille de vigne pour couvrir l’annexion par Israël de la Zone C des accords d’Oslo. C’est-à-dire la zone qui comprend presque les deux tiers du territoire de la Cisjordanie et c’est là où se trouvent les colonies et les divers dispositifs militaires israéliens », explique Gilbert Achcar.

L’acte III – la grande alliance – a débuté depuis bien longtemps en coulisses mais n’a pas encore été joué. Le seul moyen pour les Américains d’avancer dans la direction souhaitée est d’obtenir le feu vert du monde arabe, ou plutôt de ses nouveaux leaders, MBZ et MBS.

Le dirigeant émirati Mohammad ben Zayed a su gagner l’attention d’une partie importante de l’establishment à Washington en convaincant son père de financer l’effort de guerre américain en Irak en 1991. Aujourd’hui prince héritier et homme fort des Émirats, il a soutenu avec succès l’ascension de son acolyte saoudien, Mohammad ben Salmane, actuel prince héritier du royaume d’Arabie, qui partage avec MBZ une vision stratégique pour le Golfe, pour qui l’Iran et l’islam politique sont les menaces principales. Dans cette vision, Israël n’est plus un ennemi, mais un potentiel partenaire régional avec qui il sera plus facile de contrecarrer l’expansion iranienne dans la région. Dans cette nouvelle réalité, le rôle du milliardaire américain d’origine libanaise, Thomas Barrack Jr, a été déterminant. D’abord outré par les propos du candidat Trump en décembre 2015 concernant l’interdiction d’entrée de territoire pour des individus issus de « pays musulmans », le clan MBZ a finalement été convaincu par M. Barrack de soutenir le candidat républicain. L’homme d’affaires libanais, qui a des intérêts dans plusieurs pays du Golfe, a pu capitaliser sur son réseau personnel, étant notamment proche du père de Youssef Otaïba, le flamboyant ambassadeur émirati à Washington. Tom Barrack va ainsi jouer le rôle d’entremetteur entre les puissants princes du Golfe et l’administration américaine.

Mai 2017, Donald Trump choisit Riyad comme première destination officielle depuis sa prise de fonctions. Depuis le début de son mandat, Jared Kushner martèle que le jeune MBS pourrait devenir un allié essentiel, notamment en amenant les Palestiniens à s’accorder sur le plan de paix. Les deux hommes n’auront d’ailleurs de cesse de se rapprocher. « L’approche de Kushner est d’utiliser ses relations étroites avec MBS comme un moyen de tirer parti de la pression économique sur les Palestiniens, de manière à amener les États arabes, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, à payer pour le volet économique, censé équilibrer la balance pour les Palestiniens », explique Dov Waxman. Pour Israël, qui cherche depuis des années à normaliser ses relations avec les pays arabes sunnites, l’équation est simple : il s’agit d’instaurer la paix de « l’intérieur », autrement dit aller chercher une paix israélo-arabe, sans forcément obtenir la paix avec les Palestiniens.

« L’administration Trump considère les Palestiniens comme des ennemis. Elle considère que dans le monde arabe, il y a Israël et des États arabes alliés, et elle veut créer une alliance ouverte entre ces États-là et Israël. Et avec comme toile de fond l’hostilité à l’Iran », poursuit Gilbert Achcar. Les pays du Golfe ont de leur côté revu à la baisse leurs exigences sur le dossier palestinien. De là à faire sauter tous les grands tabous, notamment la question de Jérusalem ? Impossible d’en être sûr pour le moment, car malgré l’approche révolutionnaire des deux hommes forts du Golfe, franchir pareille ligne rouge pourrait apparaître comme une trahison par une partie importante du monde arabe. Ce « plan ultime », qui paraît mort-né, semble aspirer à créer une nouvelle réalité au Moyen-Orient. Une réalité fondée sur l’acceptation par les Palestiniens de leur défaite, en échange de quelques milliards de dollars, et où Israéliens et pays arabes, principalement du Golfe, pourraient enfin former une nouvelle alliance, soutenue par les États-Unis, pour contrecarrer la menace de l’expansion d’un empire perse moderne.

L’horloge tourne du côté de Washington qui veut à tout prix dévoiler l’acte final avant le début de la campagne électorale américaine de 2020. La dissolution de la Knesset fin mai, suite à l’incapacité de Benjamin Netanyahu à former un gouvernement et l’annonce de la tenue de nouvelles élections le 17 septembre, va venir ébranler l’effet d’annonce de Kushner, trois semaines avant la conférence de Manama. Sans gouvernement israélien avec qui discuter, difficile aujourd’hui de vendre un projet, qui de plus est rejeté depuis le début par l’autre camp concerné. À quelques jours du début de la conférence, les spéculations vont bon train. Le plan de paix concocté par Kushner est-il mort-né ? Assisterons-nous au « fiasco du siècle » ? « C’est un peu comme la réplique du film Le Parrain, mais à l’envers. “Je vais vous faire une offre que vous ne pouvez pas accepter”. Ce plan de paix est conçu de façon à ce que les Palestiniens ne puissent pas l’accepter », conclut Gilbert Achcar.




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Une gestation (très) longue pour un accouchement qui promet d’être difficile. Voilà deux ans que l’on entend parler de ce fameux « deal du siècle », qui promet de résoudre rien moins que le conflit israélo-palestinien, vieux de 70 ans et sur lequel les diplomates les plus chevronnés de la planète se sont tous cassé les dents. Deux ans d’articles, de fuites, de...
commentaires (5)

Les fiascos, les échecs et les "khazouq" se suivent mais ne se ressemblent pas. L'OLJ a annoncé à 18h37 : Des Israéliens participeront à la conférence de Bahrein à Manama, confirme Natanyahu. Certains pays arabes vont y ^participer certains pas. Le Liban est l'un des fondateurs de la Ligue des pays arabes. Il va recevoir bientôt une invitation de Bahrein. Que va-t-il répondre ? Qui gouverne dans notre pays ? Est-ce le chef de l'Etat ou le chef du Gouvernement ou le chef du Parlement ou les chefs des partis politiques ou les formations miliciennes ?

Un Libanais

19 h 37, le 18 juin 2019

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Commentaires (5)

  • Les fiascos, les échecs et les "khazouq" se suivent mais ne se ressemblent pas. L'OLJ a annoncé à 18h37 : Des Israéliens participeront à la conférence de Bahrein à Manama, confirme Natanyahu. Certains pays arabes vont y ^participer certains pas. Le Liban est l'un des fondateurs de la Ligue des pays arabes. Il va recevoir bientôt une invitation de Bahrein. Que va-t-il répondre ? Qui gouverne dans notre pays ? Est-ce le chef de l'Etat ou le chef du Gouvernement ou le chef du Parlement ou les chefs des partis politiques ou les formations miliciennes ?

    Un Libanais

    19 h 37, le 18 juin 2019

  • Article fouillé et détaillé. Deux remarques incidentes, mais qui en disent long sur la décadence actuelle du monde arabe : 1) Kushner, Greenblatt et Friedman, trois sionistes militants et partisans de la colonisation à outrance prétendent résoudre le conflit israélo-palestinien. Sans commentaire. 2) Cerise sur le gâteau, MBZ et MBS sont qualifiés de "nouveaux leaders du monde arabe". Il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer.

    Melki Elias

    13 h 05, le 18 juin 2019

  • GENDRE ICI... ET GENDRE LA... ET LES BULLES DE GAZ S,ECHAPPENT DE PLUS BELLE ! VOUE GENDRISSIMALEMENT A L,ECHEC CE PLAN DU SIECLE. HEBETUDE ICI... HEBETUDE LA...

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    12 h 36, le 18 juin 2019

  • Pour être qualifié de "deal du siècle" par son auteur, c'est qu'il y a une seule partie qui va se frotter les mains de bonheur!

    NAUFAL SORAYA

    10 h 09, le 18 juin 2019

  • Il me semble a présent sure que malheureusement chaque pays a son imbassil!

    Pierre Hadjigeorgiou

    08 h 57, le 18 juin 2019

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