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À La Une - Irak

A Bagdad, la Zone Verte de nouveau ouverte aux Irakiens

Au-delà du trafic routier, la réouverture de l'île de 10 km² sur le Tigre permet de tourner une page de l'histoire de Bagdad, un temps capitale culturelle et académique du monde arabe avant de s'enfoncer dans la violence confessionnelle des milices.

Des Irakiens conduisant en direction de la zone verte, à Bagdad, après son ouverture, mardi 4 juin 2019, après 16 ans de fermeture. Photo AFP / AHMAD ALRUBAYE

Tour à tour vitrine du pouvoir de Saddam Hussein, symbole honni de l'occupation américaine et incarnation de l'éloignement entre une élite accusée de corruption et les préoccupations du peuple interdit d'entrée, la Zone Verte de Bagdad s'ouvre enfin à tous. Pendant 16 ans, elle a été totalement inaccessible à la quasi-totalité des Irakiens. Ces derniers mois, les autorités ont ouvert les principales routes qui la traversent pendant quelques heures, la nuit.

Depuis mardi, ses voies principales sont ouvertes. Et ce, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Pour Abou Majed, chauffeur de taxi de 49 ans, rencontré au volant de son véhicule jaune, pris dans un bouchon monstre, "c'est une très bonne nouvelle". Ce père de famille qui n'a pas revu l'intérieur de la Zone Verte depuis 2003 voit surtout l'aspect pratique des choses : "il y aura moins d'embouteillages".


(Pour mémoire : Chute d’une roquette dans la Zone verte à Bagdad)



Monuments et complexes culturels
Car cette île de 10 km² sur le Tigre, au cœur de Bagdad, est stratégique à plus d'un titre dans cette mégalopole tentaculaire de près de huit millions d'habitants, rendue irrespirable par la pollution et la canicule.

Au-delà du trafic routier, sa réouverture permet de tourner une page de l'histoire de Bagdad, ancienne capitale du califat abasside, un temps capitale culturelle et académique du monde arabe avant de s'enfoncer dans la violence confessionnelle des milices.

Jusqu'à l'invasion emmenée par les Américains en 2003, l'îlot du quartier de Karradat Maryam, du nom du tombeau d'un saint qui s'y trouve, s'appelait "le quartier parlementaire" et renfermait les palais présidentiels et l'Assemblée du peuple, bordés de pelouses impeccables. Si ses maisons étaient alors réservées aux seuls dignitaires des premiers cercles du parti unique, le Baas, ses entrées aux statues monumentales, surmontées d'imposants arcs de pierre ou même d'une réplique de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, étaient accessibles à tous. Comme ses routes. Mais avec l'arrivée des chars à Bagdad et la chute de Saddam Hussein en 2003, le quartier est devenu la Zone Verte - par opposition à la Zone rouge qui désignait tout le reste de la ville. Il s'est hérissé de murs de béton, de fils barbelés et autres miradors, se renfermant et disparaissant définitivement des regards. Même depuis les rives de l'autre côté du Tigre, il était devenu impossible de deviner ce qui se cachait derrière les hauts murs; là où, avant, des familles en goguette se pressaient le week-end dans les parcs, autour de monuments à la gloire des "martyrs" et de complexes culturels.

De 2003 à aujourd'hui, rares sont ceux qui ont pu y mettre le pied, tant les enquêtes de renseignement pour obtenir un badge d'entrée sont strictes.


(Pour mémoire : Reconstruction en Irak: devant les paramilitaires chiites, Zarif réclame la part de l'Iran)



"Sentiment de supériorité"
Seuls les ministres, députés et les diplomates - majoritairement des États-Unis, la représentation américaine à Bagdad étant l'une des plus grandes de la région, ou de Grande-Bretagne - y vivent, comme dans un univers parallèle où la circulation n'est pas chaotique, l'herbe arrosée en permanence et le silence quasi-total. Bien loin de la réalité de tous les autres quartiers de Bagdad.

C'est pour cela, assure le commentateur politique Ghaleb al-Chabandar, que la levée de ces blocs de béton signifie beaucoup dans le 12e pays le plus corrompu au monde, selon Transparency International, où régulièrement des manifestants dénoncent les malversations des dirigeants et la gabegie de l’État. Parce qu'ils ne pourront plus se cacher derrière ces murs et leurs barbelés, veut-il croire, les politiciens "vont perdre leur sentiment de supériorité sur les autres".

D'autre part, c'est un message envoyé à l'étranger, estime Fadhel Abou Reghif, expert en questions sécuritaires. "C'est la preuve que la situation est stable et qu'entreprises et investisseurs peuvent venir" à Bagdad, dit-il à l'AFP. Mais pour Abou Sadeq, journalier de 40 ans dans un magasin d'électroménager du centre de Bagdad, tout cela relève surtout de l'effet d'annonce. "Ce que les gens veulent, c'est moins de chômage et de pauvreté et des services publics qui fonctionnent pour l'eau, l'électricité, la santé", énumère-t-il. "Cela fait 15 ans que les dirigeants ne font rien pour nous", martèle-t-il encore.


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Finalement, Bagdad a su préserver une bonne partie de son âme...

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