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Liban - Rencontre

Ghida Anani, une militante nouvelle génération en guerre contre les tabous

Abaad, l’ONG qu’elle a cofondée en 2011 avec l’avocate Danielle Hoyek, vient d’être primée par l’ONU pour sa campagne contre la loi 522 qui accorde l’immunité à un violeur épousant sa victime.

Dans les locaux d’Abaad, rencontre avec Ghida Anani. Photo A-M.H.

Elle rentre tout juste de Bonn avec dans ses bagages une récompense pour la campagne « Une robe blanche ne couvre pas le viol #undress-522 », initiée par l’association Abaad qu’elle dirige et dont elle est la cofondatrice. Une récompense décernée par le Programme de développement durable de l’ONU (SDG) pour la « meilleure campagne » dans la catégorie « militant », sélectionnée parmi 2 000 candidats, et qu’elle dédie « aux femmes qui ont survécu au viol et osé élever la voix aux côtés de l’ONG pour sensibiliser l’opinion publique ».

Ghida Anani est de ces militantes nouvelle génération pour les droits des femmes, qui ne craignent pas de briser les tabous. Elle l’a montré dans la campagne-choc qui vient d’être primée, et qu’elle a lancée en 2016 avec l’agence de publicité Leo Burnett pour dénoncer la loi 522 du code pénal qui accordait l’immunité à un violeur s’il reconnaissait son acte et épousait sa victime. Cette campagne, qui mettait alors en scène de jeunes mariées vêtues de blanc, ensanglantées, les habits déchirés, avait poussé le Parlement à amender la loi en 2017. Mais ce succès n'a pas pour autant freiné sa détermination à réclamer une peine plus lourde dans tous les autres articles évoquant des situations de viol sur les mineurs, les femmes handicapées et autres.


Réformer les lois et les mentalités
Ghida Anani n’est pas femme à baisser les bras. Celle qui s’avoue « sélective » dans le choix de ses batailles, et se considère comme « un simple intermédiaire » entre les femmes victimes et les autres, est « satisfaite d’avoir lancé le débat ». Mais elle n’a pas encore dit son dernier mot. « Je suis mes dossiers jusqu’au bout », affirme-t-elle à L’Orient-Le Jour, lors d’une interview dans les locaux de l’association, à Furn el-Chebback. C’est dire combien elle garde les yeux rivés sur son objectif « d’accorder aux femmes leurs droits en cas de viol, d’agression sexuelle, de harcèlement ». Pour ce faire, il est impératif « de réformer les lois et les mentalités ».

Avec l’aide de juristes et de législateurs, elle s’attelle aujourd’hui à « faire abolir l’option dans la loi 522 qui autorise un violeur à épouser sa victime mineure », sans quitter des yeux son autre objectif de faire reconnaître le viol conjugal et les agressions incestueuses. « D’où vient cette culture que le mariage est la solution au viol ? » demande-t-elle, dénonçant la réalité libanaise qui cherche à couvrir un viol par un mariage. Ghida Anani base ses propos sur les témoignages de jeunes victimes recueillies dans les abris de l’association. Elle regrette que « dans notre société, on rejette souvent la faute sur les filles ».

À plus long terme, elle révèle son ambition d’initier une « restructuration de l’ensemble du chapitre du code pénal sur le viol », vu que « de nombreux articles liés aux agressions sexuelles et au viol sont disséminés un peu partout dans ce code ». « Au sein d’Abaad, nous travaillons à cette réforme et à un brouillon de texte de loi », souligne-t-elle. Un engagement qui se fait parallèlement au travail de prévention, d’éducation, de sensibilisation, de recherche, d’échange d’informations développé par l’association avec ses différents partenaires, l’État, l’université, l’école, les forces de l’ordre, les instances internationales... afin d’apporter une réponse à la violence sexuelle envers les femmes et les filles. « Il est nécessaire, observe-t-elle, de construire des ponts entre l’activisme et l’académie, histoire d’utiliser les recherches à bon escient. » Elle espère aussi que les sessions de formation que son association organise à l’intention des enquêteurs des Forces de sécurité intérieure porteront leurs fruits, dans le sens du respect des droits des femmes victimes d’agression sexuelle qui portent plainte dans les postes de gendarmerie. « Il faut en faire encore plus, car seulement 1 400 éléments ont bénéficié de formations sur 33 000 », reconnaît-elle à ce propos.


(Pour mémoire : La campagne des "mariées ensanglantées" récompensée par l'ONU)



Égalité des genres
Elle se dit enfin optimiste quant à la prise en considération des recommandations d’Abaad dans les prochains programmes scolaires, dans le sens du respect de l’égalité des genres. Car si elle est féministe engagée sans pour autant être « radicale », la militante rappelle qu’elle œuvre avant toute chose pour « l’égalité des genres ». Un combat qui nécessite, selon elle, « une approche systémique et pluridimensionnelle basée sur l’intégrité », axée « sur la santé publique, les droits de l’homme et les résultats ». Quitte à bousculer les codes en place, cette ancienne assistante sociale, spécialisée en conseil clinique, n’hésite pas à « intégrer les hommes à ses batailles en faveur des droits des femmes », à dénoncer « l’attitude patriarcale des femmes » qui freine les avancées, à appliquer au sein de sa propre ONG les règles qu’elle prône. « Je milite contre les discriminations et pour l’application sans réserve de la Cedaw (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), affirme-t-elle. J’applique donc ces règles dès le processus d’embauche au sein de ma propre association qui regroupe aujourd’hui 140 personnes des deux sexes. » Et même si c’est « parfois difficile », la jeune association cofondée en 2011 avec l’avocate Danielle Hoyek « respecte aussi les quotas d’inclusion des personnes à besoins spécifiques et la diversité religieuse du pays ».

C’est dire combien Ghida Anani tient à faire un modèle de l’ONG Abaad qu’elle porte haut, combien elle tient à initier le changement. Une détermination qui lui a valu d’être sélectionnée par la Banque mondiale en 2018 parmi les dix femmes entrepreneuses qui font la différence dans la région MENA. Mais qui n’a pas manqué de la mettre en froid avec ses anciennes partenaires de la société civile. Membre fondatrice de l’association Kafa, qui milite contre les violences faites aux femmes, elle avoue avoir pris la décision de jeter l’éponge et de quitter ses anciennes partenaires, après avoir été confrontée « au choc de la réalité ». « Nous avions une vision différente. Ce qui n’est pas interdit », observe-t-elle, précisant que « la femme peut parfois se faire du mal et être sa propre ennemie ». Mais aujourd’hui, « sur base d’un consensus, chaque ONG féministe est engagée sur un créneau et travaille dans le respect de ses consœurs ». Et au cœur de ces travailleuses acharnées, Ghida Anani entend bien continuer à faire la différence, avec pour vision... de « terminer (s)a mission ».


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