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À La Une - Reportage

En Algérie, "l'escabeau de la démocratie" une tribune pour libérer la parole

"Durant 57 ans (depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962), on a interdit au peuple de parler librement. Tout le monde veut parler, on sent ce besoin de s'exprimer librement".

Un manifestant algérien s'adressant à la foule depuis un escabeau posé dans la rue et qui fait office de tribune, le 3 mai 2019 à Alger. Photo AFP / RYAD KRAMDI

A Alger, chaque vendredi, jour de manifestation hebdomadaire depuis plus de deux mois, un escabeau posé dans la rue fait office de tribune, où chacun peut monter pour critiquer, proposer, se défouler, dans un pays où l'expression publique a longtemps été bridée.

Chaque semaine depuis le 15 mars, Elias Filali 54 ans, déplie en fin de matinée son escabeau en métal rouge en face de la Place Maurice-Audin, un des lieux-phares de la contestation du pouvoir. S'y jucheront ensuite les orateurs volontaires du jour.

"Durant 57 ans (depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962), on a interdit au peuple de parler librement", explique ce militant de la société civile. Depuis le début de ce mouvement de contestation inédit, déclenché le 22 février, "tout le monde veut parler, on sent ce besoin de s'exprimer librement".

Sur cette tribune improvisée, la parole est libre. Seules exceptions: les insultes et les discours remettant en cause l'unité de l'Algérie sont interdits.

Employé d'organisations caritatives, M. Filali partage sa vie entre Alger et Londres. L'idée de cette tribune lui est venue du "Speaker's Corner" ("coin des orateurs") de Hyde Park, un espace du plus grand parc londonien, où chacun peut prendre la parole librement depuis le XIXe siècle.

Sur la pancarte en trois langues qui y est accrochée, l'escabeau s'appelle en anglais "Speaker's Corner Algiers" (Coin des orateurs, Alger), en français "Tribune de libre expression" et en arabe, "Tribune pour ceux qui n'en n'ont pas". "On s'autocensurait de peur de se faire arrêter. Le hirak (mouvement de contestation) nous a rendu notre liberté de parole", explique Smail, fonctionnaire, 55 ans dans la queue des orateurs volontaires, qui s'étire rapidement devant l'escabeau. "On a soif de parole et de liberté", renchérit son ami Mohamed Mazouni, 33 ans, cadre d'une entreprise publique.

Certains sont brefs et directs. "Ils partiront tous", clame simplement un jeune, reprenant un des slogans de la contestation, avant de redescendre. Un autre s'adresse directement au général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée devenu de facto l'homme fort du pays, depuis la démission du président Abdelaziz Bouteflika, sous la pression conjuguée de la rue et de l'armée. "Moi, je dis à Gaïd que le projet du peuple et le sien ne sont pas les mêmes: nous on veut un Etat civil et lui un Etat militaire", dit-il.


(Lire aussi : Nouveau vendredi de contestation en Algérie, le dernier avant le ramadan)


"Finie la peur de parler"

La foule ponctue les discours de "Vive l'Algérie!" ou "Vive le peuple!", notamment. "C'est fini (...) la peur de parler", commente Rachid, drapé dans le drapeau algérien.

Septuagénaire au regard vif, Ahmed Mancer suit chaque semaine avec émerveillement cette libération de la parole, inimaginable il y a encore deux mois. Cet "escabeau de la démocratie", comme l'appelle ce préparateur en pharmacie à la retraite, permet de sortir "du confinement des réseaux sociaux", où est née la contestation mais "où certains se cachent derrière leurs écrans pour s'exprimer".

Devant l'escabeau, les discours provoquent le débat et l'impatience parfois quelques bousculades. On veille à ce que les femmes puissent s'exprimer aussi, tant pis pour ceux arrivés avant.


(Lire aussi : « L’Algérie n’est pas un ring. Allez régler vos comptes ailleurs »)


"Aujourd'hui, aucune voix ne saurait couvrir celle du peuple (...) 42 millions d'Algériens vous rejettent, alors partez!", lance aux dirigeants algériens Chabha, une fonctionnaire quadragénaire, sous les applaudissement d'un parterre très majoritairement composé d'hommes.

Pouvoir s'exprimer librement en public est "un acquis de plus du hirak pour beaucoup de femmes" que leur éducation ou le conservatisme social inhibaient, explique une dame qui attend son tour. Sur l'escabeau, une autre femme, Houria, fonctionnaire d'une cinquantaine d'année, est montée "pour dire deux choses: Il ne faut pas baisser la garde et il faut rester unis, c'est notre force".

Sous les yeux incrédules de son père, c'est au tour de Racim, 9 ans, de grimper sur l'escabeau. Il regarde l'assistance et crie simplement "Vive l'Algérie!".


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