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Moyen Orient et Monde - Interview express

Le Sud-Soudan observe avec inquiétude la contestation dans le Nord

Le mouvement de protestation a peu de chances de s’étendre vers le Sud, estime le chercheur Roland Marchal.


Le pape François recevant au Vatican, le 11 avril 2019, les deux dirigeants sud-soudanais pour une retraite. Photo Handout/Vatican Media/AFP

Alors qu’à Khartoum, après avoir obtenu le départ de Omar al-Bachir, les manifestants maintiennent la pression sur l’armée et réclament la tenue d’élections démocratiques, Salva Kiir et Riek Machar rentrent d’une retraite spirituelle à Rome en compagnie du pape. Celle-ci avait pour objectif de mettre fin aux affrontements politico-ethniques qui opposent les clans du président et de l’ex-vice-président du Soudan du Sud depuis 2013. Et ainsi concrétiser l’accord de paix signé en septembre 2018 entre les deux hommes à Addis Abeba. En cinq ans de conflit, près de 400 000 Sud-Soudanais auraient péri, et près d’un million sont devenus réfugiés. Le Soudan du Sud avait accédé à l’indépendance en 2011, suite à l’écrasante victoire du « oui » au référendum entérinant la création du nouvel État. Cette scission entre le Soudan et le Soudan du Sud était le résultat de 39 années de guerre civile depuis 1955 entre le Nord majoritairement musulman et le Sud animiste et chrétien. Mais cette scission n’avait résolu ni les oppositions internes entre les différentes ethnies ni les disputes entre les deux pays et leurs dirigeants, MM. Bachir et Kiir. Roland Marchal, chercheur au CNRS et CERI Sciences Po Paris, spécialiste des conflits armés dans la Corne de l’Afrique, explique l’impact des événements soudanais sur le Soudan du Sud pour L’OLJ.


Comment les dirigeants du Soudan du Sud perçoivent-ils le changement de régime en cours chez leur voisin du Nord ?
Même si les dirigeants du Sud n’avaient pas de sympathie pour Omar al-Bachir et le régime soudanais en général, ce changement n’est pas forcément positif du point de vue de Salva Kiir et Riek Machar. Certes, les gouvernements des deux pays ont une longue histoire commune d’affrontements et de tensions, mais l’heure était au dégel, et les relations entre M. Kiir et M. Bachir s’amélioraient. Récemment, les deux hommes étaient parvenus à des accords qui ne fonctionnaient pas trop mal sur la gestion des ressources pétrolières ou des différends frontaliers dans la région d’Abyei. Surtout, M. Bachir détestait John Garang (NDLR : le leader de la rébellion au Soudan du Sud mort en 2005), il en avait peur car bien que profondément attaché à la cause sud-soudanaise, M. Garang était attaché à l’unité du pays. Lors de sa venue à Khartoum en 2005 pour signer les accords de paix, un à deux millions de Soudanais l’avaient accueilli. Salva Kiir est moins stratège et plus raisonnable, il n’a pas exprimé de velléités sur le Nord, et surtout il s’est fait à cette division et à l’existence de deux États distincts. Malgré les inimitiés, le gouvernement de Juba perd petit à petit l’ensemble des interlocuteurs qu’il connaissait depuis 30 ans, et les liens qui s’étaient tissés dans l’armée, dans le renseignement. L’incertitude n’est jamais une très bonne chose en politique.

Pour Riek Machar, c’est aussi une mauvaise nouvelle, car sa contestation était soutenue en sous-main par le régime de Bachir. C’est d’autant plus compliqué pour lui que la réconciliation entre l’Éthiopie et l’Érythrée lui avait déjà fait perdre un soutien important.

Une des principales sources d’inquiétude au Sud, c’est la possibilité que le nouveau gouvernement cherche à revenir sur les accords territoriaux et pétroliers auxquels étaient parvenus MM. Bachir et Kiir. Le partage des rentes pétrolières, bien que léonin pour Khartoum, pourrait être renégocié dans un besoin de liquidités pour le Nord. Le régime de Khartoum et son dictateur, ennemis il y a encore peu, pourraient être regrettés au Sud si le nouveau gouvernement décidait de revenir sur les accords actuels.


(Lire aussi : Pour les habitants du village natal de Bachir, il était temps qu’il parte)


Un changement de régime au Soudan peut-il conduire à une réconciliation entre les deux pays ?
Au Nord, ce sont la rancœur et l’animosité qui prédominent dans la foule, beaucoup de gens, y compris parmi les manifestants, pensent que l’accord de sécession n’aurait jamais dû être accepté. Mais ce que peut permettre la transition vers un régime démocratique – encore incertain aujourd’hui – c’est la diffusion d’une information libre, non censurée par le régime et donc de certaines vérités sur le Darfour ou sur les nombreux déplacements de populations au Sud-Kordofan suite au conflit frontalier (NDLR : 96 000 selon l’ONU). Il ne faut pas être manichéen, mais il y a des actes et des responsabilités qui doivent être reconnus, il est nécessaire pour commencer un rapprochement qu’il y ait un débat public pour que les Soudanais se rendent compte que leurs voisins du Sud ont beaucoup souffert. Cela dépendra vraiment du gouvernement et du type de régime qui ressortira de ce mouvement de contestation. Des relations difficiles entre deux pays voisins peuvent mettre deux à trois générations pour s’apaiser.

Il faut aussi distinguer la majorité de la population des élites urbaines ou issues de la diaspora qui voient le rapprochement avec le Sud d’un autre œil. Plus informées et plus nuancées, elles s’accommodent parfaitement avec le nouvel État soudanais dans lequel elles voient ou ont déjà vu une possibilité de commercer et d’investir. Idem au Sud : Kiir et Machar connaissent très bien le Soudan et ont côtoyé les élites de Khartoum. C’est principalement parmi ces élites et classes moyennes urbaines que subsistent les ressources humaines des deux côtés pour tisser des liens.


(Repère : Qui sont les leaders de la contestation au Soudan et que réclament-ils ?)


Existe-t-il selon vous un risque de contagion de ces manifestations au Sud ?
Je ne pense pas, car le contexte socio-politique du Soudan du Sud empêche l’apparition de revendications fortes et la propagation des manifestations contre le régime. Premièrement, il n’y a pas qu’un gouvernement central contre qui s’ériger, il y a une polarisation ethnique majeure, avec des logiques d’oppositions interethniques qui nécessitent une solidarité dans le groupe. Et puis dans sa structure même, l’État au Sud est défaillant, il n’y a ni société civile, ni classes moyennes, ni classes urbaines constituées. Les réseaux de communication dans le pays sont obsolètes et le tissu urbain faible. Tandis qu’au Nord, il y avait un État structuré, avec un appareil sécuritaire, armée, police, des milices aussi, mais qui étaient contrôlées par l’État central qui détenait ce monopole de la violence légitime propre aux États. Au Sud, rien de tout cela, les accords de paix entre les deux principaux rivaux ne sont pas encore respectés et le pouvoir est entre les mains de gens en armes.

Pour autant, les situations économiques dans les deux pays sont désastreuses, les caisses de l’État sont vides, les revenus liés aux rentes pétrolières se sont effondrés, et il faut bien trouver de l’argent quelque part.



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