Au son de chants révolutionnaires, une foule immense est rassemblée jeudi à Khartoum pour la "marche du million" à l'appel des leaders de la contestation pour faire pression sur l'armée dans les discussions sur un transfert du pouvoir à une administration civile.
Un Conseil militaire de transition dirige le Soudan depuis le renversement par l'armée du président Omar el-Bachir le 11 avril sous la pression de la rue. Mais le mouvement de contestation réclame que cette instance transfère le pouvoir à une autorité civile sans tarder.
"Des gens arrivent de Khartoum et d'ailleurs, mais plus sont attendus encore ce soir. Nous maintiendrons notre sit-in cette nuit, demain et jusqu'à ce que nos demandes soient satisfaites", affirme Ahmed Najdi, un manifestant, en référence au rassemblement devant le quartier général de l'armée qui dure depuis le 6 avril.
Plusieurs cortèges distincts ont défilé jeudi dans les rues de la capitale pour rejoindre le siège de l'armée. Parmi eux, des ingénieurs agricoles mais aussi, pour la première fois, des dizaines de juges. Drapés dans leur robe, ils sont partis de la Cour constitutionnelle pour réclamer "l'indépendance" du système judiciaire et rejeter toute "intervention politique", a affirmé l'un d'entre eux à des journalistes. Des groupes de femmes, particulièrement actives depuis le début de la contestation le 19 décembre, ont passé les contrôles de sécurité installés par les manifestants autour du site en brandissant des drapeaux soudanais et en chantant. Des manifestants venus des Etats de Jazira (centre) et du Nil Bleu (sud-est), ainsi que du village natal du président déchu, étaient également présents à Khartoum.
"Oeil pour oeil, dent pour dent, nous n'accepterons pas les compensations" proposées par les militaires jusqu'à présent, chantent les manifestants, qui réclament également la condamnation des responsables du régime d'Omar el-Bachir.
Des rassemblements ont été signalés dans cinq autres Etats du pays, dont un dans la région occidentale du Darfour, chacun répondant à sa façon à l'appel à participer à la "marche du million" lancé par l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), qui regroupe les principales formations du mouvement de protestation.
Face à une contestation qui va crescendo, le Conseil militaire a annoncé mercredi avoir conclu un "accord" avec l'ALC "sur la plupart des exigences présentées" par cette coalition, sans donner plus de détails ni de calendrier pour le transfert du pouvoir à une autorité civile.
(Lire aussi : Pour les habitants du village natal de Bachir, il était temps qu’il parte)
Dans un communiqué sur Twitter, l'Association des professionnels soudanais (SPA), fer de lance de la contestation qui fait partie de l'ALC, a vu dans la réunion de mercredi une étape vers un "renforcement de la confiance" entre les deux parties et annoncé la mise en place d'un "comité conjoint" pour "discuter des problèmes en suspens". "Les discussions entre la SPA et le Conseil militaire avancent, nous espérons que c'est pour le mieux", se réjouit une manifestante à l'entrée du sit-in, Weam Abdel Azim.
Peu après la réunion, le Conseil militaire a annoncé la démission de trois de ses dix membres, les généraux Omar Zinelabidine, Jalaluddine al-Cheikh et Al-Tayeb Babikir. Il n'a pas fourni d'explications. "Nous sommes très contents des démissions, mais cela ne veut pas dire qu'on va partir", insiste Ahmed Najdi, ajoutant espérer "un conseil souverain militaro-civil".
L'un des leaders de la contestation, Siddiq Farouk, avait brandi mercredi la menace d'une "grève générale" à travers le pays si le Conseil militaire n'accédait pas aux revendications des manifestants.
La contestation, déclenchée le 19 décembre par la décision du gouvernement Bachir de tripler le prix du pain, avait rapidement mué en dénonciation du président Bachir et du système en place.
Le mouvement a reçu cette semaine le soutien de Washington qui a dit appuyer "la demande légitime" des Soudanais d'un gouvernement dirigé par des civils.
(Repère : Qui sont les leaders de la contestation au Soudan et que réclament-ils ?)
Un responsable américain avait indiqué plus tôt en avril que les Etats-Unis étaient prêts à retirer le Soudan de leur liste des pays accusés de soutenir le terrorisme si le Conseil militaire engageait un "changement fondamental" de gouvernance.
Plusieurs pays africains réunis mardi chez le voisin égyptien sous la houlette de son président Abdel Fattah al-Sissi ont décidé mardi d'accorder trois mois au Conseil militaire pour assurer une "transition pacifique et démocratique". Le Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union africaine avait auparavant menacé le 15 avril de suspendre Khartoum si l'armée ne quittait pas le pouvoir d'ici 15 jours au profit d'une "autorité politique civile".
Réagissant à la déclaration du Caire, des Soudanais ont protesté jeudi devant le consulat et l'ambassade d'Egypte à Khartoum, arborant des banderoles sur lesquelles était écrit: "Sissi (...) pas d'ingérence dans nos affaires", selon des témoins.
Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1989, M. Bachir a dirigé d'une main de fer un pays miné par une situation économique désastreuse et par des rébellions dans plusieurs régions. La Cour pénale internationale (CPI) a lancé des mandats d'arrêt contre lui pour "crimes de guerre" et "génocide" dans la région du Darfour (ouest).
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Les civils demandent avant tout que les soldats soudanais n'aillent plus servir de sac de sable aux bensaouds au Yémen. Après le refus des égyptiens de servir dans cette guerre génocidaire, les soudanais devaient remplacer cette défection. Les bensaouds sont à la manœuvre pour trouver de la chair à canon à leurs sponsors usurpateurs.
21 h 38, le 25 avril 2019