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Moyen Orient et Monde - Décryptage

En Inde, Narendra Modi à quitte ou double

Le Premier ministre tente de cristalliser le débat sur des questions identitaires et communautaires.

Des partisans de Rahul Gandhi, candidat au poste de Premier ministre. Sam Panthaky/Photo AFP

C’est un marathon législatif qui a débuté en Inde la semaine dernière. Pendant 5 semaines, plus de 900 millions d’électeurs seront appelés aux urnes pour renouveler la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement indien qui élira le futur Premier Ministre.

Le plus grand exercice démocratique au monde doit déterminer qui, du Premier ministre sortant Narendra Modi ou de Rahul Gandhi, deviendra le 15e Premier ministre depuis l’accession de l’Inde à l’indépendance en 1947. En 2014, le leader du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP) avait largement remporté les élections sur un programme anticorruption, et sur la promesse de fournir des services publics dans les régions pauvres et reculées du pays. Après 5 ans de mandat, l’homme de 78 ans, qui reste populaire en Inde, mène une campagne intense enchaînant les meetings aux quatre coins du pays et adoptant une stratégie de communication bien huilée qui repose sur l’usage des réseaux sociaux, Modi App, Modi TV, et un compte Twitter, le troisième compte politique le plus suivi au monde.

Celui qui incarne la ligne du “make India great again” se retrouve opposé à Rahul Gandhi, l’héritier de la longue dynastie politique des Nehru-Gandhi. Menant la coalition du Parti du Congrès, son objectif principal est de faire oublier la déroute de 2014 où après avoir régné sans partage sur l’Inde depuis plus de dix ans, le parti avait perdu 80 % de ses sièges. C’est pour effacer cette défaite et cette image d’un parti corrompu et élitiste que l’opposition a axé sa campagne sur des questions d’emploi, de pauvreté, d’éducation ou encore de lutte contre la pollution. Sujets-clés dans un pays où plus d’un Indien sur trois vit sous le seuil de pauvreté.Ces thèmes de campagnes sont d’autant plus d’actualité que Narendra Modi porte un bilan économique en demi-teinte. Si le pays est passé du 85e rang au 78e rang de l’indice de perception de la corruption de Transparency International, et que l’environnement des affaires s’est amélioré pour les investisseurs étrangers, il n’en va pas de même pour les classes populaires. Contrairement à sa promesse de campagne de créer près de 10 millions d’emplois, un document statistique pointait un taux de chômage à 6,1 % en 2018, le plus élevé depuis 45 ans. Un autre chiffre, plus symbolique peut-être : en 2014, 14 % des Indiens s’estimaient satisfaits de l’économie. En 2018, ils n’étaient plus que 3 %.


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La fierté d’être hindou

Pour séduire une majorité d’électeurs, Narendra Modi tente de cristalliser le débat sur des questions identitaires et communautaires, et ainsi d’éclipser certains enjeux socio-économiques. Le BJP, dont il est le leader, est la branche politique du RSS, une mouvance nationaliste hindoue qui prône “l’hindutva”, une doctrine mettant en avant la fierté d’être hindou et une politique de préférence nationalo-ethnique. Le futur Premier ministre avait notamment affirmé dans une interview à Reuters en 2013 : « Je suis un nationaliste hindou », propos qui interrogent dans un pays où le caractère laïc de l’État est inscrit dans la Constitution depuis 1950. « L’Inde est encore séculariste si l’on en croit sa Constitution, mais de facto, les musulmans et les chrétiens sont des citoyens de seconde classe », analyse Christian Jaffrelot chercheur au CERI-Sciences Po/CNRS pour L’Orient-Le Jour. Ce glissement nationaliste de plus en plus assumé par rapport à 2014 se retrouve dans la sémantique même de la campagne. À l’époque le BJP prônait « le développement pour tous », aujourd’hui le slogan « Modi rend cela possible » peut correspondre à plusieurs lectures, y compris celle des partisans de l’hindutva considérant l’Inde comme une terre réservée aux hindous.

Ce glissement depuis les dernières élections s’accompagne d’une montée des tensions intercommunautaires, principalement entre hindous et musulmans. Ces violences prennent la forme de lynchages et d’agressions islamophobes, qui se sont multipliées d’après Amnesty International. Le Premier ministre est soupçonné d’avoir fermé les yeux sur un pogrom antimusulman ayant fait plus de 1 000 morts en 2002 alors qu’il était gouverneur du Gujarat. Aujourd’hui, la promotion et la défense de la culture hindoue au plus haut niveau de l’État ont enhardi et inspiré certains membres de cette communauté, qui s’organisent en milices et s’autoproclament “protecteurs des vaches”, ou répriment les mariages intercommunautaires. Ces lynchages reposent aussi sur des paranoïas, comme l’existence de “jihad lover”, des hommes musulmans qui conspireraient pour séduire des femmes hindoues et les convertir à l’islam. Depuis l’arrivée de M. Modi au pouvoir, 44 musulmans sont morts lynchés et 280 ont été blessés selon l’ONG Human Rights Watch, des chiffres qui ne semblent pas décider le pouvoir à réagir.


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Régionalisme

À deux mois du début des élections, les attaques terroristes de Pulwama, les plus meurtrières au Cachemire depuis 20 ans, et les affrontements avec le Pakistan – accusé d’abriter des camps d’entraînement de jihadistes – ont galvanisé davantage la fibre nationaliste. Par la suite, la campagne de M. Modi a pris un tour encore plus sécuritaire, le Pakistan représentant l’épouvantail parfait qui justifie ce tournant. Comme l’explique Christophe Jaffrelot, M. Modi a « toujours convoqué le Pakistan dans ses campagnes électorales », et plus largement « cela fait partie du répertoire des national-populistes : ils exploitent les peurs et la colère qui en découle puisque les Indiens ne peuvent qu’être révoltés de vivre ainsi dans une atmosphère d’insécurité – que Modi impute au Congrès et à sa soi-disant faiblesse ». Pour les nationalistes hindous, la menace pakistanaise couplée à la crainte pour l’Inde de se faire encercler par la Chine dans le cadre de la Belt and Road Initiative « renforce le sentiment de vulnérabilité des Indiens sur lequel joue Modi lorsqu’il se présente comme le défenseur de la nation », conclut Christian Jaffrelot.

Si l’on en croit les sondages, la stratégie de Modi de déplacer le curseur de la campagne sur des questions identitaires et la menace de la nation hindoue semble fonctionner. Selon les deux principaux instituts indiens, la coalition du BJP devrait conserver sa majorité à la Chambre basse du Parlement indien. Mais les annonces symboliques et les diatribes nationalistes ne suffisent pas à cacher le ralentissement de la croissance et la stagnation dans la création d’emplois depuis le début de son premier mandat. Des résultats économiques mitigés qui coïncident avec une remontée du Parti du Congrès dans les intentions de vote. Surtout ces élections pourraient saper l’image d’une Inde unie et monolithique. L’effritement du Congrès, en plus de profiter au BJP, a aussi permis à une multitude de partis d’envergure régionale de se développer. Déjà en 2014, près de 25 % des sièges ont été remportés par un parti régional.


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