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Réforme ou chloroforme ?

Pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps, quelques poissons rouges ne sauraient suffire pour peupler l’un de ces vivariums où l’on voit nager entre deux eaux pieuvres, requins et autres charmantes créatures. De fait, c’est du menu fretin que propose aux citoyens un État tout récemment embrigadé dans la lutte contre la corruption : vraiment pas de quoi calmer l’appétit d’une opinion publique avide de transparence et d’assainissement de la vie publique.

Les petits poissons rouges, ce sont ces quelques fonctionnaires de la Sécu récemment arrêtés pour falsification de prescriptions médicales et autres factures. C’est aussi, une ou deux tailles au-dessus, trois juges véreux suspendus de leurs fonctions et déférés devant le conseil de discipline, et avec eux plusieurs auxiliaires de justice ; ceux-ci se chargeaient, contre rémunération, de hâter ou, au contraire de bloquer, l’examen des dossiers : trafic auquel se livraient jusqu’aux chauffeurs de ces honorables magistrats !


Pour bienvenu qu’il soit, ce coup de filet appelle cependant la question suivante : pourquoi a-t-on tant tardé à jouer les vertueux et à déclarer ouverte la saison de la pêche, s’agissant en effet de pratiques frauduleuses qui ont cours depuis de longues années ? Parce qu’on ne l’a fait que contraint et forcé. Parce que les pays donateurs ou prêteurs renouvellent, chaque jour avec plus d’impatiente insistance, leur exigence de réformes et de remise en ordre des finances, et ne cessent de mettre en garde contre l’effondrement économique qui menace le pays.


Les voilà donc, les dits responsables, à montrer qu’ils sont enfin résolus à s’attaquer au gaspillage, plaie dont la forme la plus scandaleuse est la corruption. Voilà aussi que le ministre des Finances se décide à boucler un projet de budget prévoyant de sérieuses coupes dans les fonds alloués à divers départements, de même que l’abolition de nombreuses exemptions douanières. L’ennui c’est que le ministre n‘a pas l’air de trop y croire lui-même, puisqu’il s’attend à une vague de protestations de la part de ces privilégiés. C’est dire qu’on n’est sans doute pas à la veille de voir disparaître ces dépenses somptuaires dont use et abuse le personnel dirigeant : interminables et exubérants convois de grosses 4X4 à plein équipage, voyages par avions spécialement affrétés et avec invités, logeant et s’empiffrant aux frais de la princesse. Trêve d’anesthésiants : la dératisation, la vraie, celle qui débarrasserait le pays des parasites les plus voraces, n’est pas non plus pour demain.


Parlant de demain, c’est bientôt que devrait précisément être fixé le sort d’un des plus scandaleux de tous les trous à gaspillage qui criblent, telle une passoire, la République : celui de l’électricité, un dossier qui a donné lieu à des décennies de carences doublées d’insolentes prévarications. Réunie ces derniers jours en présence de représentants de la Banque mondiale, la commission ministérielle chargée de débattre de ce noir dossier a bien adopté, dans ses grandes lignes, le plan de redressement de la ministre de l’Énergie. Elle a bien ramené à des proportions plus normales de précédentes et délirantes estimations d’un terrain destiné à abriter une future centrale. Signe des temps, révélateur d’une longue tradition de magouilles peu susceptible d’inspirer confiance, c’est toutefois sur le suivi des adjudications – encore elles, toujours elles – que l’on butait, hier encore.


Pour s’éclairer et se soûler de kilowatts, c’est d’un interrupteur de vols à haute tension qu’a besoin le pays.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps, quelques poissons rouges ne sauraient suffire pour peupler l’un de ces vivariums où l’on voit nager entre deux eaux pieuvres, requins et autres charmantes créatures. De fait, c’est du menu fretin que propose aux citoyens un État tout récemment embrigadé dans la lutte contre la corruption : vraiment pas de quoi calmer l’appétit...