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Bobards à l’eau de rose

Fabuleuse invention, en vérité, que ce troc imaginé par nos ancêtres et qui, à ses débuts, permettait, par exemple, d’échanger des coquillages contre une fourrure d’animal. Depuis, le système n’a cessé d’évoluer et de se sophistiquer ; il a même survécu à l’apparition de la monnaie. Guerres, pénuries et autres urgents impératifs ont ainsi porté maints États à payer de leur blé ou de leur coton les produits industriels, et jusqu’aux armements, qui leur étaient livrés.


Tout récemment encore, l’Union européenne instituait une espèce de chambre de compensation aux fins de préserver son commerce avec l’Iran en contournant lestement les sanctions américaines contre ce pays : les factures de pétrole et de matériel s’équilibrant sans devoir recourir à la moindre transaction en devises. Pour l’anecdote en revanche, pour la (très) petite histoire, c’est le fantasmagorique projet de troc entre kilowatts jordaniens et eau du Liban qui aura fait rigoler un bon coup dans les chaumières.


La lumineuse idée faisait tilt au cours d’un entretien, lundi, entre le roi de Jordanie et le président de l’Assemblée Nabih Berry, qui participait à un congrès de l’Union parlementaire arabe à Amman. Cet heureux pays qu’est la Jordanie a un excédent de production de courant électrique, glissait dans la conversation le monarque hachémite. Tiens tiens, nous avons de l’eau à revendre, rétorquait en substance le chef du législatif libanais, faisant preuve d’un art consommé du boniment. Car s’il est vrai que la Providence a fait du Liban un véritable château d’eau, elle l’a aussi peuplé de Libanais qui, génération après génération, se sont acharnés à gaspiller ce don du ciel.


Si bien que non, Monsieur le Président Berry, nous n’avons pas honnêtement, nous n’avons plus hélas, d’eau à revendre. Il a beau pleuvoir à verse, le précieux liquide rechigne à couler des robinets. Car, comme pour bien d’autres services publics, nous vivons dans un État failli où rien n’est pratiqué dans les règles. Faute de collecte scientifique et de traitement des eaux usées, le Liban s’est embarqué dans un peu scientifique et coûteux programme de construction de barrages. Cette formule, assurent les experts, n’a apparemment pour principal attrait que les dessous-de-table récoltés en marge des adjudications, au sein d’une république minée par la corruption.


Dès lors c’est en pure perte, dans la mer, que l’eau de pluie achève son parcours. Seuls à recueillir le cadeau des nuages pour le revendre au prix fort, livré à domicile par camions-citernes, sont les exploitants de puits artésiens : privatisation sans le nom, privatisation sauvage qui a déjà fait la fortune de ces générateurs de quartier dispensant du courant en lieu et place du même et fainéant État…


Notre poule aux œufs d’or bleu ne souffre pas seulement de négligence et de maltraitance : en réalité, nous n’avons pas fini de l’égorger carrément, comme le montre l’immonde dépotoir qu’est devenu ce même fleuve Litani depuis toujours convoité par Israël. Devant la communauté libanaise de Jordanie, Nabih Berry se réjouissait lundi soir de l’entrée en convalescence du premier de nos cours d’eau. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, il proclamait la détermination des responsables à traiter rationnellement enfin le dossier de l’électricité et à extirper la corruption, tribunaux à la clé.


Canular complètement déshydraté, que ce troc avec la Jordanie ? Reste, pour meubler le triste quotidien, les flots intarissables de sirupeuses promesses à l’eau de rose.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Fabuleuse invention, en vérité, que ce troc imaginé par nos ancêtres et qui, à ses débuts, permettait, par exemple, d’échanger des coquillages contre une fourrure d’animal. Depuis, le système n’a cessé d’évoluer et de se sophistiquer ; il a même survécu à l’apparition de la monnaie. Guerres, pénuries et autres urgents impératifs ont ainsi porté maints États à payer de...