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Liban - Grand entretien

Hollande à « L’OLJ » : Le Liban est l’exemple même qu’après les déchirements, il est possible de se retrouver

C’est en « ami du peuple libanais » mais aussi dans une volonté manifeste de transmettre un message « d’apaisement et d’unité », que l’ancien président français François Hollande effectue, durant les prochaines quarante-huit heures, une visite – la quatrième en près de quinze ans – au Liban, où il s’était rendu pour la première fois en pleine révolution du Cèdre, le 14 mars 2005. Une visite qui sera notamment marquée par une rencontre-débat avec des étudiants au campus des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, demain mercredi à 17h, et qui sera suivie d’une signature de son dernier ouvrage-bilan de son mandat présidentiel, « Les Leçons du pouvoir », paru l’an dernier aux éditions Stock. L’occasion pour « L’Orient-Le Jour » de procéder avec l’ancien chef de l’État à Paris à une lecture globale et franche de la situation politique régionale et internationale, à la lumière de sa propre expérience sur les grands dossiers qui ont marqué son mandat et qui sont encore plus que jamais au cœur de l’actualité.

François Hollande, ancien président de la République française, à son bureau à Paris. Photo Benoit Granier.

Ce qui est frappant dans votre ouvrage, c’est qu’en filigrane de votre mandat présidentiel, l’on est témoin d’une sorte de dérèglement du monde, d’un processus de mondialisation finissant, d’un passage vers un état hybride, avec la montée aux extrêmes et le retour de l’identitarisme et du populisme. En tant qu’ancien président de la République, comment reprenez-vous contact, dans le contexte actuel, avec la vie politique – à travers une action citoyenne beaucoup plus que politique stricto sensu, un apprentissage du silence dans la mesure où la portée symbolique de vos propos aurait changé et alors qu’en France, nous sommes témoins d’une étape difficile caractérisée par des inégalités qui se creusent, avec des interférences étrangères qui se greffent sur les extrêmes, et l’avenir européen qui se retrouve en jeu ?

Depuis ma sortie de l’Élysée, le monde a déjà changé. Je n’y suis pour rien et mon successeur non plus. L’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump a considérablement modifié les règles du jeu international. Jusqu’à son avènement, l’on croyait encore qu’il était possible qu’il y ait des accords internationaux qui tiennent. Depuis, aucun de ces accords n’a été préservé : pas plus celui sur le climat que celui sur l’Iran, ou même les accords commerciaux. De la même manière, depuis 18 mois, nous assistons à une montée des puissances qui n’ont été contrecarrées en rien, que ce soit la Russie, la Turquie ou, sur le plan économique, la Chine. Enfin, l’Europe, qui n’était pas forcément dans un état satisfaisant, est aujourd’hui confrontée à un populisme qui la met en cause, non pas en tant qu’institution, mais en tant que projet. L’Europe ne se disloquera pas, ne se diluera pas, mais elle n’avancera plus et ne se comportera plus comme un acteur global. Dans ce contexte-là, et avec une mondialisation qui a été victime de ses succès comme de ses échecs, les nationalismes ont repris de la vigueur et l’on en voit partout les manifestations. Plus grave encore est que les conflits se règlent par la force : on le constate au Proche-Orient, où l’éradication de Daech n’a pas été suivie par un processus de réconciliation et de transition démocratique au sein duquel l’opposition aurait pu être intégrée. On se dirige vers une balkanisation, le maintien de la confrontation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, et, partant, vers une déstabilisation continue. Voilà pourquoi aujourd’hui, dans la position qui est la mienne, celle d’un observateur pouvant mettre son expérience à profit, je crois qu’il est très important de revenir à des principes fondamentaux : l’intérêt d’une démarche multilatérale, d’un retour des institutions internationales, notamment l’ONU, la nécessité de trouver des compromis et le retour du droit. Cependant, j’ai pleinement conscience que cela ne suffira pas. Il faut aussi, certainement, la mise en place d’une politique européenne beaucoup plus affirmée, une politique américaine qui en finisse avec l’isolationnisme, le protectionnisme et l’unilatéralisme, et une compréhension de la part des puissances – Russie, Turquie et Iran – que le rapport de force peut être dangereux quand il est poussé à son extrémité. Il y a un moment où il faut savoir sortir de l’état de guerre.

Le dossier syrien n’a-t-il pas justement constitué pour vous un exemple concret d’une forme de table rase du droit international et du système issu de Yalta, avec l’ampleur des massacres et de la catastrophe des réfugiés, ainsi que les interventions étrangères sans plus aucun garde-fou, comme celles de l’Iran, de la Russie et de la Turquie? Avez-vous aussi payé, à votre avis, le prix de votre stratégie du « double ennemi », Assad et Daech, pour reprendre la formule du professeur Jacques Beauchard, dans la mesure où, tout en campant sur ses fondamentaux, la politique étrangère de la France n’a plus par la suite été aussi claire sur votre position de principe, à savoir la réciprocité entre ces deux maux ?

Le régime syrien et Daech ont joué ensemble une partie, non pas qu’ils avaient quelque rapprochement possible, mais ils avaient à un moment les mêmes intérêts : le régime de Bachar el-Assad avait besoin de Daech pour obtenir de la communauté internationale une forme d’absolution de ses fautes, notamment l’utilisation de l’arme chimique ou l’écrasement de toute opposition ; Daech avait besoin d’un régime qui suscitait la réprobation pour justifier dans le monde le jihadisme. Face à ce jeu, les puissances ont été incapables de faire valoir le droit international : le Conseil de sécurité de l’ONU a été paralysé par les veto russes répétés, y compris sur la question des armes chimiques ; le processus de Genève pour la réconciliation et la transition n’a pas abouti ; la coalition internationale a dû utiliser une force kurde et arabe à l’intérieur de la Syrie pour lutter contre Daech, pendant que la Russie avec son aviation aidait le régime à écraser l’opposition à Alep et ailleurs.

Dans ce même mouvement, les pays du Golfe soutenaient de moins en moins la rébellion pendant que l’Iran allait beaucoup plus franchement dans son intervention. Si nous voulons regarder les conséquences de ce qui s’est produit pour la Syrie, il convient de se poser la question de savoir si nous arriverons à la paix. Nous parviendrons sans doute à faire cesser les bombardements et mouvements de guerre, mais les causes mêmes du conflit demeurent : le régime n’a pas changé et le terreau de l’islamisme radical continue de prospérer. Est-on sûrs que Daech ne resurgira pas sous une autre forme ? Mais, au-delà même de la Syrie, la communauté internationale paraît incapable de régler les conflits et d’en fixer les principes de sortie : le conflit israélo-palestinien dont personne ne voit l’issue, le conflit ouvert autour de l’Ukraine – lié d’ailleurs à l’inaction sur la Syrie – ou encore le Yémen. Il est important dans ce cadre d’opérer un renforcement des valeurs universelles et du multilatéralisme. Les puissances doivent se rendre compte que leur jeu pourrait s’avérer à un certain moment particulièrement dangereux, y compris pour leurs propres intérêts, et que les États-Unis comprennent qu’en se retirant – ce qui est le propre de l’isolationnisme –, cette posture, loin de repousser les menaces, contribue à les exacerber.

Cet isolationnisme n’avait-il pas déjà commencé avec Barack Obama, et vous en avez fait l’expérience vous-même lors de l’attaque chimique contre la Ghouta en août 2013 ?

Si, d’une certaine façon. Je pense aussi qu’elle se poursuivra avec celui qui succédera un jour à Donald Trump. Nous sommes maintenant face à des États-Unis qui ne veulent plus être le gendarme du monde, ce qui nous place face à une responsabilité en tant qu’européens et français. Il est encore plus important que l’Europe se constitue sur les plans politique et de la défense, et que la France puisse jouer un rôle diplomatique et politique à la mesure de ce que l’Europe peut lui apporter aussi comme soutien.

Ne craignez-vous pas que cela soit toutefois mis en péril par une influence russe de plus en plus importante, non pas seulement sur la politique européenne en général, avec l’émergence aujourd’hui d’un bloc de pays à l’Est sensibles à la rhétorique populiste et identitaire, mais aussi sur la France, compte tenu des rapports de Moscou avec l’extrême droite et l’extrême gauche ?

Les nationalistes – car c’est ainsi qu’il faut appeler les populistes – sont d’une autre nature que leurs lointains parrains. Ils ne sont pas pour une conquête ou une influence, ou la création de je ne sais quelle intervention extérieure. Tous les nationalistes sont pour la fermeture, au sens de l’oubli du monde. C’est cela qui les tient : ils ne veulent plus avoir une autre passion que celle de leurs propres intérêts nationaux. La cause européenne n’a pas d’intérêt pour eux, l’enjeu planétaire est occulté, mais ils veulent en rester là. C’est un nationalisme qui ne veut pas que la nation puisse être autre chose qu’un enfermement, alors que le concept de nation en soi n’est pas conservateur, bien au contraire. Née de la Révolution française, la nation a une vocation à portée universelle. Il y a le nationalisme qui peut être construit sur des conquêtes territoriales, mais la nation, elle, vise à faire en sorte que le monde puisse être enrichi par les échanges, le pluralisme et le vivre-ensemble. Vladimir Poutine n’est pas fâché que ces nationalistes ne veuillent avoir aucun ennemi autre que l’étranger, le monde, l’Europe, l’ONU… Cela lui permet d’avancer.


(Pour mémoire : Syrie : Hollande et Macron aussi impuissants l’un que l’autre)

Sur l’Iran, vous avez été l’un des principaux artisans de l’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015, l’apport de Laurent Fabius ayant été déterminant. Craignez-vous pour cet accord aujourd’hui ? Comment l’évaluez-vous ? A-t-il été exploité par les gardiens de la révolution à des fins expansionnistes au Moyen-Orient ?

Ces derniers voulaient-ils vraiment que cet accord ait lieu ? Celui qui en a été le principal négociateur du côté iranien, Mohammad Javad Zarif, a lui-même démissionné il y a quelques jours avant de revenir sur sa décision… Ceux qui ont voulu cet accord en Iran voulaient ouvrir leur pays de sorte qu’il puisse redevenir un pôle majeur sur le plan économique. Tel était le pari : aller vers la croissance, la consommation et ainsi rentrer dans le monde. Donald Trump a fait un choix dangereux puisqu’il a laissé les plus conservateurs jouer aux victimes et exacerber le sentiment national, tout en compliquant la vie de millions d’Iraniens qui ne peuvent pas accéder autant qu’il serait possible à l’échange. Il faut tout faire pour préserver la portée de l’accord, c’est-à-dire son respect d’abord, pour éviter que l’Iran ait accès à l’arme nucléaire, ensuite faire que nous puissions, nous les signataires de cet accord, hors les États-Unis, continuer à commercer et investir en Iran. Il convient de garder à l’esprit que tout ce qui contraint ou pèse fait in fine le jeu des conservateurs.

Il s’agit de votre quatrième visite au Liban. Quel message venez-vous adresser aux Libanais, qui ont attendu deux ans et demi avant qu’un président de la République ne soit élu, neuf ans pour élire une nouvelle Chambre et neuf mois pour qu’un gouvernement soit formé, et qui attendent maintenant l’application des réformes prévues par la Conférence de Paris (CEDRE) dans une situation économique et financière difficile ?

Je viens d’abord pour délivrer un message d’amitié au peuple libanais, qui est lié de manière irréversible au peuple français, mais un message aussi de solidarité parce que je sais ce que le Liban a eu et a encore comme fardeau avec l’afflux de réfugiés syriens – près d’un million et demi dont on sait qu’il est très difficile qu’ils puissent retourner aujourd’hui en Syrie, pour retrouver leurs villages détruits et un régime qui risque de les sanctionner d’une manière ou d’une autre, alors que tout le processus devrait être maintenant de favoriser leur retour chez eux. Je viens aussi pour dire combien l’unité libanaise est indispensable. Nous savons combien de fois le Liban a été sur la corde raide à côté d’un pays qui se déchirait, la Syrie. Le Liban a tenu bon, et il convient dans ce cadre de rendre hommage à l’ensemble des acteurs qui n’ont pas dégradé, malgré le temps passé, des élections qui ont certes tardé, un gouvernement qui vient à peine d’être formé. La paix civile a quand même été préservée et la menace terroriste écartée. C’est pour cela que je suis très attaché au Liban : c’est l’exemple qu’après des déchirements, il est possible de se retrouver, sans pour autant être naïfs sur les conditions de la paix civile. Mais rien ne vaut la paix quand on a été à ce point frappé par la guerre. Je le sais, le Liban reste fragile économiquement, d’où l’importance d’envoyer un message d’attractivité ; fragile aussi parce que, à ses frontières, il y a beaucoup de conflits qui ne sont pas réglés ; fragile enfin à l’intérieur puisque le gouvernement est constitué de multiples sensibilités. Dans ces moments-là, il est important que toute présence, y compris la mienne, puisse être un facteur d’apaisement et d’unité.

Et sur la question de la souveraineté du Liban, avez-vous des appréhensions, à l’ombre du maintien du régime Assad et de l’influence du Hezbollah sur le pouvoir de décision national ?

On sait ce que le régime syrien a pu avoir comme conséquences pour la vie du Liban. L’histoire nous l’apprend. Face à un voisin qui est dans cette situation et qui n’a pas changé quant à ses intentions, mieux vaut, autant qu’il est possible, garder ses distances. Quant au Hezbollah, c’est une composante libanaise. On ne peut pas à la fois vouloir l’unité et écarter politiquement l’une de ses composantes. La question essentielle reste celle de son désarmement, et l’armée libanaise est un élément d’unité nationale. C’est pour cela qu’en tant que président de la République, j’avais tout fait pour aider l’armée libanaise à disposer des matériels nécessaires.


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commentaires (8)

La France est en quelque sorte la marraine du Liban. A travers les vicissitudes de la pensée internationale au Proche-Orient, elle a constamment témoigné de l'identité libanaise. Roland Dumas, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères de 1988 à 1993.

Un Libanais

14 h 54, le 05 mars 2019

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Commentaires (8)

  • La France est en quelque sorte la marraine du Liban. A travers les vicissitudes de la pensée internationale au Proche-Orient, elle a constamment témoigné de l'identité libanaise. Roland Dumas, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères de 1988 à 1993.

    Un Libanais

    14 h 54, le 05 mars 2019

  • Très bel interview !!

    Bery tus

    14 h 52, le 05 mars 2019

  • M Hollande: mMRCI POUR VOTRE AMITIEE POUR LE LIBAN QUE VOUS AVEZ PROUVE A MAINTES REPRISES mais vous n'avez pas repondu a la question de l'OLJ sur ce sujet exactement L'ACCORD A-t-il été exploité par les gardiens de la révolution à des fins expansionnistes au Moyen-Orient ? OUI OU NON Il ne s'agit ni de Trump ni de l'accord en lui meme MAIS des resultats de cet accord OUI OU NON POUR TOUS LES LIBANAIS , LES SYRIENS ET LES YEMENITES C'EST UN TRES GRAND " OUI " IL A SERVI A L'EXPENSIONISME IRANIENS ET POUR VOUS ????? OLJ pourriez vous obtenir une reponse reelle a cette question capitale ?

    LA VERITE

    14 h 20, le 05 mars 2019

  • GRANDES PAROLES ! ATTENDEZ AVANT LES RESULTATS POUR LES DIRE... CAR LES RETROUVAILLES RISQUENT D,ETRE DYNAMITEES PAR CERTAINS DYNAMITEURS AU SERVICE DE L,ETRANGER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 18, le 05 mars 2019

  • "J'AVAIS TOUT FAIT POUR AIDER L'ARMÉE LIBANAISE À DISPOSER DES MATÉRIELS NECESSAIRES. " ! MAIS J'AI ÉCHOUÉ MALHEUREUSEMENT CE N'ÉTAIT PAS MOI QUI AVAIT LE DERNIER MOT.

    Gebran Eid

    08 h 37, le 05 mars 2019

  • Quelle unité ?? Forcée ? Oui...

    LeRougeEtLeNoir

    06 h 58, le 05 mars 2019

  • Et la France? Après les retrouvailles le pays des déchirements ?

    Wlek Sanferlou

    03 h 19, le 05 mars 2019

  • Le Liban un modèle... Après les déchirements on peut se retrouver... Certes ! Mais je ne souhaiterais pas que la France se retrouve un jour dans la même situation. Se retrouver ne signifie pas qu'on mérite d'être un modèle aux autres...ce serait trop d'honneur pour nous, pour si peu...

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 43, le 05 mars 2019

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