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Idées - Mouvements sociaux

De Tahrir aux gilets jaunes, l’individualisme solidariste en action

La place Tahrir, au Caire en Égypte, le 21 novembre 2011. Hossam el-Hamalawy/Photo sous licence Creative Commons

Le mouvement des gilets jaunes en France permet aujourd’hui de mettre en lumière une série de mouvements qui, après la crise financière de 2008, signent une nouvelle ère en matière d’activisme politique depuis les années 2010. Celui-ci a pris des formes inédites, et ce dans des sociétés très diverses, suggérant un nouvel imaginaire basé sur l’utilisation commune des richesses, l’occupation des places publiques, les luttes pour des espaces et des modes de vie alternatifs, la réalisation de zones autonomes organisées de façon horizontale. Ces activismes ont été l’expression d’une indignation générale contre la dissolution du pouvoir et la diminution de la capacité d’action politique des acteurs dans les systèmes néolibéraux.

Des révoltes se sont suivies par vagues un peu partout sur la planète. Elles ont parfois émergé suite à des politiques urbaines en contradiction avec la volonté des citoyens (Brésil, Gezi en Turquie), d’autres en réaction à des mesures d’austérité (Occupy Wall Street aux États-Unis, Syntagma en Grèce, Puerta del Sol en Espagne), ou encore à cause d’un régime durcissant son autoritarisme (Tahrir en Égypte, Taksim/Gezi en Turquie).


(Lire aussi : De Carlos Ghosn aux gilets jaunes : la responsabilité en question)


Horizontalité
Bâtis sur un modèle de convergence des luttes, ces mouvements ont comme caractéristiques premières l’horizontalité, la participation, le pluralisme et l’autonomie. Suite notamment à l’analyse du terrain que j’ai effectuée auprès des femmes activistes de la révolte de Gezi en Turquie (voir mon article : « La subjectivité des femmes “çapulcu” à Geziin », dans Mouvements sociaux : quand le sujet devient acteur, sous la direction de Geoffrey Pleyers et Brieg Capitaine, EMSH, 2016), j’ai constaté que ces mouvements avaient fait apparaître de nouveaux sujets à travers ce que j’ai conceptualisé comme un individualisme solidariste.

L’individualisme solidariste est une critique de l’individualisme compétitif et atomisé du néolibéralisme mais aussi du collectivisme sur lequel sont fondées certaines identités nationales. Ces nouveaux « individus solidaristes » remettent en question les anciennes organisations politiques verticales et déconstruisent les anciennes définitions de la subjectivité politique – jusqu’ici encadrées en grande partie par les constructions collectivistes – pour en proposer de nouvelles basées sur la dignité, la singularité, l’autonomie individuelle, les réseaux horizontaux et les économies solidaires.

Les forums « Nuit debout » en France ou les assemblées de quartier constituées pendant le mouvement des indignés en Espagne en sont des exemples. Comme l’ensemble de ces réseaux horizontaux, ils ont cependant souffert d’un dysfonctionnement dans les mécanismes de décision. Ceux-ci ont en effet basé leur fonctionnement sur une démocratie délibérative qui augmente le temps nécessaire à toute prise de décision, et nécessite un grand investissement des personnes impliquées. Cette organisation a causé de nombreuses frustrations, les débats interminables quant aux actions à mener empêchant le passage à l’action tout en nécessitant une organisation en petits comités… La méfiance à l’égard de toute hiérarchie a empêché de construire une organisation efficace.

De manière plus dramatique encore, pendant la période qui a suivi la révolte de Gezi, quand le conflit armé a recommencé dans la région kurde en Turquie, les discussions trop longues dans les forums d’Istanbul et d’Ankara, aussi bien que dans les « blocs de la paix » des quartiers constitués pour organiser l’activisme de la paix et les réseaux de solidarité avec la région, ont éloigné certains activistes de ces réunions. C’est dans cette tension, entre exigence de la démocratie délibérative et nécessité d’action urgente, que l’on saisit l’inefficacité d’un mouvement alteractiviste/horizontal pendant un conflit armé. Sous le bruit assourdissant des armes, on n’arrive plus à délibérer.


(Lire aussi : Gilets jaunes : Liberté, égalité, fraternité, émeutes ?)


Contre-mouvements
Dans la plupart des cas, les alteractivismes n’ont pas intégré les classes populaires exclues du marché du travail et dépourvues de tout type de capital. Ces luttes pour la dignité et l’autonomie ont donc été accusées d’être des mouvements des classes moyennes comme les mouvements sociaux identitaires de type LGBT et/ou en faveur des droits des minorités.

Certains ont perçu les lacunes de ces mobilisations et structurations horizontales – dysfonctionnements des mécanismes de décision et sentiment de relégation des classes populaires – comme une opportunité pour passer à l’action. En réponse aux multiples frustrations causées par les alteractivismes, on constate dans la période actuelle la montée de contre-mouvements. Ces contre-mouvements promeuvent la verticalité, la hiérarchie, la soumission à un leader et une citoyenneté quasi holiste basée sur une solidarité communautariste, souvent portée par un nationalisme identitaire. L’erdoganisme en Turquie, le bolsonarisme au Brésil, le trumpisme aux États-Unis en sont quelques exemples récents.

Ces régimes néopopulistes se servent des mobilisations pour contrôler la rue et asseoir le régime, tout en fédérant les masses autour d’un discours unitaire, sécuritaire et antiterreur. On y incite notamment certains acteurs à se mobiliser tout en interdisant les manifestations de rue de certains autres. Le registre de la violence est utilisé en complément de cette instrumentalisation de la rue. L’inédit dans cette nouvelle période est l’utilisation des outils de la démocratie et de la mobilisation dans la rue des masses pour légitimer la dérive autoritaire. Dans les régimes néopopulistes, la rue devient un moyen de contrôle et un lieu de mise en scène pour les acteurs politiques dominants.

Toutefois, la désubjectivation des acteurs – c’est-à-dire leur perte d’autonomie, de pouvoir d’action, de marge d’émancipation et de la maîtrise de l’historicité – n’est pas un processus total dans ces nouveaux régimes. Celle-ci s’accompagne de la création perpétuelle de champs de résistances, lesquels deviennent les lieux autonomes de resubjectivation (de la construction de soi, de l’expression d’opposition à travers des formes d’action inédites). Afin de pouvoir déchiffrer une nouvelle langue de lutte et de résistance qui ne se nourrit plus des actions de rue, stigmatisées, voire criminalisées par la plupart des régimes aux dérives autoritaires, il est nécessaire de faire une sociologie des acteurs silencieux, des niches et espaces d’opposition, des configurations éphémères, des processus et dynamiques des rapports de pouvoir.

Cet article a d’abord été publié sur le site The Conversation et dans la revue « Fellows » (n° 49) du Réseau français des instituts d’études avancées.

par Buket TÜRKMEN

Chercheuse attachée au Centre Émile Durkheim (Bordeaux), à l’Institut d’études avancées (Paris) et à l’Institut français d’études anatoliennes (Istanbul).



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commentaires (4)

Un article trop flou qui mélange tout. Les manifestations ont existé depuis l'antiquité et ce qui s'est passé en Turquie à Taksim il y a 4 ou 5 ans n'a strictement rien à voir avec les gilets jaunes. Un seul point commun dans toutes les manifestations ici et là dans le monde c'est la mondialisation à travers des réseaux sociaux qui libèrent et donnent la parole aux peuples...qui se voient tout d'un coup capables d'agir sous les feux des projecteurs. Dans les démocraties ces mouvements de manifestants peuvent obtenir des droits et éventuellement des avantages et dans les dictatures ils seront réprimés et réduit à au silence. D'ailleurs si en Turquie les réseaux sociaux sont régulièrement interdits ce n'est pas par hasard. Le peuple est réduit en moutons...hélas.

Sarkis Serge Tateossian

18 h 04, le 24 février 2019

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Commentaires (4)

  • Un article trop flou qui mélange tout. Les manifestations ont existé depuis l'antiquité et ce qui s'est passé en Turquie à Taksim il y a 4 ou 5 ans n'a strictement rien à voir avec les gilets jaunes. Un seul point commun dans toutes les manifestations ici et là dans le monde c'est la mondialisation à travers des réseaux sociaux qui libèrent et donnent la parole aux peuples...qui se voient tout d'un coup capables d'agir sous les feux des projecteurs. Dans les démocraties ces mouvements de manifestants peuvent obtenir des droits et éventuellement des avantages et dans les dictatures ils seront réprimés et réduit à au silence. D'ailleurs si en Turquie les réseaux sociaux sont régulièrement interdits ce n'est pas par hasard. Le peuple est réduit en moutons...hélas.

    Sarkis Serge Tateossian

    18 h 04, le 24 février 2019

  • L,ANARCHIE A REMPLACE SUR LA TERRE TOUS LES SYSTEMES POLITIQUES DES PLUS DEMOCRATIQUES, L,ABUS DE LA DEMOCRATIE ENGENDRE L,ANARCHIE, AUX PLUS TOTALITAIRES OU L,OPPRESSION ENGENDRE LA REVOLTE ET L,ANARCHIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 41, le 24 février 2019

  • LE MONDE EST EN EBULLITION TOUT COMME AVANT LES DEUX GUERRES MONDIALES. SOMMES-NOUS AU BORD DE LA TROISIEME QUI AVEC LES ARMES EN POSSESSION D,UN PEU TOUT LE MONDE NE SERAIT AUTRE QUE L,APOCALYPSE ???

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 32, le 24 février 2019

  • franchement , je manifeste presque tout les samedis avec les gilets jaunes ce que j'aime, on peut se parler !! avec des gens qui viennent de banlieues, de provinces c'est idiot, mais je ne pourrais pas parler avec des gens croiser dans la rue, et même eux ne me parleront pas il y a aussi la solidarité, distribution de sérum physiologique , spray dans les yeux après les lancements de gaz lacrymogène aides aux blessés

    Talaat Dominique

    13 h 45, le 24 février 2019

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