Le cas de Shamima Begum, une jeune femme qui avait rejoint les jihadistes du groupe Etat islamique en Syrie en 2015, a tourné vendredi à l'affrontement juridique, sa famille contestant sa déchéance de nationalité décidée par Londres.
"Nous avons un devoir envers elle, le devoir d'espérer que, tout comme elle a été endoctrinée, elle peut aussi être aidée pour redevenir la sœur qu'elle a été, et la fille que mes parents ont mise au monde", a écrit Remu Begum dans un courrier adressé, au nom de sa famille, au ministre de l'Intérieur Sajid Javid. "Nous devons par conséquent aider Shamima à contester votre décision de lui retirer sa citoyenneté britannique, qui constitue son seul espoir de réhabilitation", a-t-elle ajouté. "Ce sera désormais aux tribunaux britanniques de décider de son statut".
Shamima Begum, qui se trouve dans le camp de réfugiés d'al-Hol (nord-est de la Syrie) où elle a récemment accouché, a exprimé l'intention de revenir au Royaume-Uni, mais elle a été déchue de sa nationalité britannique par le ministre de l'Intérieur Sajid Javid qui a invoqué des raisons de sécurité.
La jeune femme a appelé les autorités britanniques à réévaluer son cas "avec plus de clémence", affirmant avoir "la volonté de changer". Sa famille a également réclamé dans sa lettre l'aide du ministre de l'Intérieur pour "ramener à la maison" le fils de Shamima Begum, né le week-end dernier. Le bébé est un "véritable innocent" qui doit pouvoir bénéficier du "privilège d'être élevé en sécurité dans ce pays", plaide-t-elle.
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Commentaires "ignobles"
Le cas de Shamima Begum divise le Royaume-Uni, frappé par une série d'attentats en 2017 revendiqués par le groupe EI, et choqué par certaines déclarations de la jeune femme. Elle a notamment affirmé qu'elle ne regrettait pas sa fuite en Syrie alors qu'elle n'avait que 15 ans, et a qualifié l'attentat de Manchester, qui avait fait 22 morts en mai 2017, de mesure de "représailles" aux frappes de la coalition occidentale contre l'EI.
Sa famille s'est dite "écœurée" par ces commentaires "ignobles". "Ma sœur a été sous leur coupe pendant quatre ans, et il est clair que son exploitation l'a fondamentalement transformée", a estimé Remu Begum. Elle a assuré que sa famille avait fait "tous les efforts imaginables" pour l'empêcher de rejoindre l'EI.
Sur le plan juridique, l'avocat de la famille Begum a souligné que la jeune femme est née au Royaume-Uni et dispose seulement de la nationalité britannique bien que ses parents soient originaires du Bangladesh.
"Shamima Begum n'est pas une citoyenne bangladaise", a déclaré le ministre des Affaires étrangères du Bangladesh, Shahriar Alam. "Il n'est pas question qu'elle soit autorisée à entrer" sur le territoire. Or le Royaume-Uni a le pouvoir de déchoir un citoyen de sa nationalité s'il estime que cela relève de "l'intérêt général", mais à condition que cela ne le rende pas apatride, conformément à la convention de New York du 30 août 1961 qu'il a ratifiée.
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"Citoyenneté à deux niveaux"
Au delà de la bataille légale qui s'annonce, plusieurs voix s'élèvent dans la société britannique pour contester la légitimité de la décision de Sajid Javid et exiger que Shamima Begum soit jugée au Royaume-Uni et suive un programme de déradicalisation.
Sara Khan, chargée de la lutte contre l'extrémisme au ministère de l'Intérieur, a appelé le gouvernement à reconnaitre "le malaise ressenti". Elle a estimé que la déchéance de nationalité pouvait servir la cause des jihadistes, en leur permettant "d'exploiter cette mise à l'écart pour retourner les personnes contre leur pays".
Le Muslim Council of Britain, la plus importante association de musulmans britanniques, a jugé que la décision du ministre de l'Intérieur constituait une "abdication de (ses) responsabilités", qui risquait de créer "un système de citoyenneté à deux niveaux".
Le chef de l'opposition travailliste, Jeremy Corbyn, a jugé "extrême" la décision de M. Javid, et affirmé qu'elle avait "le droit de revenir".
Le député conservateur Tom Tugendhat a, lui, proposé de mettre à jour une loi de 1351 sur les trahisons contre la couronne britannique, pour punir de la prison à vie les personnes ayant rejoint des groupes jihadistes.
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