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Agenda - Hommage

Sélim Jahel, l’homme de la rigueur

J’ai eu le grand privilège de connaître le professeur Sélim Jahel depuis l’époque de la faculté de droit où je fus son étudiant, et puis comme magistrat stagiaire à l’École de la magistrature qu’il présidait. Depuis cette époque, le parcours de l’amitié n’a jamais été interrompu.

J’avais tout de suite remarqué dès le premier cours donné à l’université que l’homme était de grande envergure, sur plus d’un plan ; avec le temps, l’admiration n’a fait qu’augmenter. Il était l’homme de la rigueur par excellence.

Pour la compétence et la rectitude, sa réputation était à cet égard notoire, et sans conteste. D’ailleurs, aussitôt qu’il démissionna de la magistrature, il fut happé par l’Université de Paris II (Assas) pour l’enseignement supérieur. Cultivé et francophone, le temps passait en sa compagnie avec délectation. Mais ce qui le distinguait le plus, c’était une sorte de pureté qui se manifestait, d’une façon paradoxale, tantôt par une timidité à peine contenue, et tantôt par une violence à peine contenue aussi – bien entendu verbale et gestuelle – quand la question qu’il affrontait touchait, de loin ou de près, à la moralité. Il en était obsédé jusqu’au délire. Et le tout se manifestait d’une façon si transparente ! Par des hochements de tête ou des mimiques propres à lui, on savait qu’il approuvait ou désapprouvait. Il avait aussi la manie de pousser avec l’index, le bout du nez vers le haut, tête relevée vers le ciel, ou de se pincer la joue, signe qu’il réfléchissait ou méditait, ou préparait une réplique à son interlocuteur. Il s’adressait parfois à ce dernier avec un ton saccadé, insistant sur certains mots, signe que monsieur Jahel voulait bien inculquer à la personne en face l’idée transmise.

Homme de grande ouverture, il devenait intraitable et sans tolérance vis-à-vis de la médiocrité ou la bassesse morale. Et ses pointes pouvaient être cinglantes. Homme de passion, il pouvait aller parfois à l’extrême, comme dans les affaires nationales (il a été ministre, refusant toute concession sur les questions fondamentalement nationales). Bachir Gemayel, qui savait s’entourer de personnalités de valeur pour le débat et la réflexion, l’avait choisi comme l’un de ses plus proches. Sélim Jahel avait été séduit, comme grand nombre de Libanais, par le combat mené par le jeune leader, anciennement son étudiant.

Méticuleux dans ses dossiers, il était plutôt distrait dans la vie sociale. Un jour, rencontrant un individu qui lui faisait des « salamaleks », il lui rendit la politesse en lui demandant ce qu’il devenait. Et ce dernier de dire : « Depuis ma sortie de prison, ça va. » Sélim Jahel se rappelait soudain que cet homme était l’un des inculpés dans une affaire qu’il avait jugée.

Dans tous les rôles de la vie, comme professeur, magistrat, politicien, père de famille, il ne savait tricher en rien, truquer en rien. Autre facette du personnage : il aimait l’art, la beauté, l’humour. Il savait apprécier l’instant. Un rien l’éblouissait. Mais l’aspect le plus distinctif de sa personnalité est sans doute l’humilité, cette vertu qui est celle des grands. La richesse matérielle, la gloire et les honneurs ne signifiaient rien pour l’homme. Il ne les remarquait même pas. Quant à son mode de vie, il était d’une simplicité qui reflétait la grandeur de l’âme.

La peine des siens, particulièrement de son épouse, la chère Nelly, et de ses enfants Michel et André, est immense. Celle de ses amis aussi. À titre personnel, je me sens comme orphelin, et au nom de la pudeur, je m’abstiens d’en dire plus. Lui-même était un exemple en matière de pudeur.

Nous pensons également à notre pays où les hommes de cette trempe existent de moins en moins. Puisse Sélim Jahel, de là où il est, veiller sur nous.


J’ai eu le grand privilège de connaître le professeur Sélim Jahel depuis l’époque de la faculté de droit où je fus son étudiant, et puis comme magistrat stagiaire à l’École de la magistrature qu’il présidait. Depuis cette époque, le parcours de l’amitié n’a jamais été interrompu.J’avais tout de suite remarqué dès le premier cours donné à l’université que...