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Liban - Reportage

À Fneideq, l’interdiction de l’alcool ne surprend personne

Dans le Akkar, les musulmans qui consomment des boissons alcoolisées achètent leurs bouteilles en toute liberté auprès des commerçants chrétiens.


Annonce de bière dans une épicerie de Rahbé.

Dans le Akkar, la décision de la municipalité de Fneideq d’interdire la vente et la consommation d’alcool dans les lieux publics ne surprend personne. C’est que, dans ce village reculé du Akkar, jamais de mémoire d’homme un fonds de commerce n’a vendu des spiritueux. Avec ses 40 000 habitants, Fneideq est, après Bebnine sur la côte, le plus important village sunnite du Akkar. C’est aussi l’une des localités les plus pauvres de la région, et cela même si, depuis la fin de la guerre du Liban, trois députés qui en sont originaires ont été élus : Wajih Baarini, Khaled Zahramane et Walid Baarini.

Depuis toujours, ceux qui boivent de l’alcool à Fneideq ainsi que dans le village sunnite voisin de Michmich se rendent dans les localités chrétiennes qui leur sont limitrophes, notamment Adbel et Gebrayel (grecs-orthodoxes), Korayet (maronite) et Rahbé (plusieurs communautés chrétiennes et une minorité sunnite), ainsi que dans le chef-lieu du caza, Halba, où les commerçants chrétiens qui ont pignon sur rue, entre supermarchés et restaurants, vendent de l’alcool sans problème.

Pour de nombreux habitants des localités chrétiennes, la décision ne change pas grand-chose à leur quotidien. Ils estiment que l’interdiction de l’alcool à Fneideq et dans la réserve de Qammoua qui lui est limitrophe cible les habitants musulmans de diverses localités du Akkar qui se rendent dans la réserve naturelle en promenade. D’ailleurs, le président du conseil municipal, Ahmad Baarini, avait justifié la décision prise le mois dernier par une série d’incidents constatés dans la réserve de Qammoua : « Nous avons constaté un phénomène grandissant de groupes de jeunes qui montent au site actuellement enneigé et qui boivent de grandes quantités d’alcool, d’où des comportements irresponsables et des dangers sur la route », avait-il affirmé. « Ce n’est pas vraiment un problème qui vise les chrétiens. D’ailleurs, quand j’emmène mes enfants à la neige, même si Qammoua est plus proche géographiquement, je vais à Ehden ou aux Cèdres », souligne Aymane Abdallah, le président du conseil municipal de Jdidé, village exclusivement grec-orthodoxe du Akkar.


(Pour mémoire : Cris d’alarme et réprobations en série après l’interdiction de l’alcool à Fneideq)

Les musulmans boivent en cachette

Plusieurs personnes dans les localités chrétiennes voisines ne sont même pas au courant de la décision de l’interdiction de l’alcool à Fneideq et Qammoua.

« Il fut un temps où l’ancien député Wajih Baarini venait fêter l’Assomption avec nous. Il dansait la dabké avec nous sur la place du village, partageait notre repas, mais ne buvait pas d’alcool », se souvient Jamil Khoury, président du conseil municipal de Gebrayel, village exclusivement grec-orthodoxe, situé à 20 minutes de Fneideq. Ce pharmacien marié à une Russe raconte que pour faire la fête, il passe ses week-ends à Byblos et à Beyrouth. « Cela fait très longtemps que je ne suis pas allé à Qammoua. Je me souviens que la réserve comptait trois restaurants qui ne servaient pas d’alcool. Un seul nous permettait de boire. Nous apportions nos bouteilles de bière, d’arak et de vin avec nous », dit-il.

À Rahbé, devant sa petite boutique, Walid est mécontent. Il soupire en montrant sa 4x4 : « J’avais acheté cette voiture exprès pour aller à Qammoua. Quel mal y a-t-il à prendre un verre de vin dans la neige ? La réserve est très belle et c’est vraiment dommage qu’une telle décision soit prise. C’est avant tout une zone touristique ouverte à tous. Une solution peut être trouvée, celle de permettre à nouveau à l’un des trois restaurants sur place de servir de l’alcool. »

Dans un supermarché du village, tout comme dans les épiceries, les propriétaires montrent leurs étalages d’alcool : bière, vin, whisky, arak, vodka... « Je pense que je vends de l’alcool beaucoup plus aux musulmans qu’aux chrétiens », note un commerçant de Rahbé. Un client de Tikrit, village voisin exclusivement sunnite, acquiesce et affirme : « Oui, les musulmans boivent en cachette et consomment de l’alcool beaucoup plus que les chrétiens. » C’est aussi l’avis d’un homme originaire de Fneideq qui n’est pourtant pas contre la décision du conseil municipal. « Nous sommes des musulmans, et la consommation d’alcool est contre la charia », dit-il.


« Le tabac n’est pas interdit par la charia »

Dans ce village, l’un des plus reculés du Liban, la décision est bien accueillie par la plupart des habitants. « L’alcool n’est pas dans nos mœurs. Nous sommes sunnites et jamais il n‎’y a eu de vente d’alcool à Fneideq, rappelle Ali. Et puis ceux qui boivent dérangent les autres avec leurs cris et leurs klaxons. Ils sont bien loin de la discrétion. » « Il y a quelques jours en ouvrant mon magasin, j’ai trouvé devant la vitrine des bouteilles de bière vides. L’interdiction est bonne car elle protège les gens d’eux-mêmes », affirme de son côté Ahmad.

Mohammad est topographe. Il explique que « la loi libanaise a déjà interdit l’alcool dans le code de la route ». « Comme il est dangereux de boire et de conduire, il est tout aussi dangereux de boire et de marcher dans la réserve de Qammoua où certains précipices sont très profonds », estime-t-il. Issam est enseignant et la décision municipale ne semble pas lui plaire. « Le Liban est le pays de la convivialité. Je soutiens avant tout la liberté de chacun de prendre les décisions qui lui conviennent », se contente-t-il de dire d’un air grave.

À Fneideq, où les activités culturelles et les loisirs sont quasi inexistants, beaucoup de jeunes se rendent à Qammoua pour prendre l’air ou passent leurs après-midi dans des cafés où l’on fume le narguilé. Dans un café non loin de la place du village, une dizaine de jeunes dont trois mineurs sont rassemblés autour de deux tables. Ils jouent aux cartes. Les lieux chauffés par un poêle sentent fortement le tabac. « La municipalité a interdit l’alcool, mais pas le tabac. Si elle le fait, nous manifesterons. Nous ne pouvons pas vivre sans cigarettes et narguilés », lance un jeune homme, alors que deux autres confient qu’ils ont commencé à fumer à l’âge de quatorze ans. Trois des jeunes présents se retrouvent dans ce café après l’école, alors que les autres sont au chômage.

Quand on leur fait remarquer que la consommation de tabac est aussi dangereuse pour la santé que celle de l’alcool, leur réponse est sans appel : « Le tabac n’est pas interdit par la charia... »


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Dans le Akkar, la décision de la municipalité de Fneideq d’interdire la vente et la consommation d’alcool dans les lieux publics ne surprend personne. C’est que, dans ce village reculé du Akkar, jamais de mémoire d’homme un fonds de commerce n’a vendu des spiritueux. Avec ses 40 000 habitants, Fneideq est, après Bebnine sur la côte, le plus important village sunnite du Akkar....

commentaires (4)

Mettre des pancartes publicitaires pour de l'alcool, plus grandes que la façade du supermarché, n'est pas très respectueux pour les sensibilités des uns et des autres. Beaucoup de familles chrétiennes souffrent de l'alcoolisme de certains de leurs membres, et les personnes pieuses d'autres religions n'apprécient pas spécialement ce genre de publicité. La liberté est totale au Liban, pour tout le monde, mais rien ne justifie alwkaha'a.

Shou fi

17 h 55, le 09 février 2019

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Commentaires (4)

  • Mettre des pancartes publicitaires pour de l'alcool, plus grandes que la façade du supermarché, n'est pas très respectueux pour les sensibilités des uns et des autres. Beaucoup de familles chrétiennes souffrent de l'alcoolisme de certains de leurs membres, et les personnes pieuses d'autres religions n'apprécient pas spécialement ce genre de publicité. La liberté est totale au Liban, pour tout le monde, mais rien ne justifie alwkaha'a.

    Shou fi

    17 h 55, le 09 février 2019

  • INSTRUIRE LES GENS A LA MODERATION... OUI ! INTERDICTION... NON !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 43, le 09 février 2019

  • En fait de boire , c'est pas tant que il faut l'interdire ou pas , c'est que malheureusement les jeunes ne savent pas boire avec modération et se contrôler. Faut il les protéger d'eux même ? C'est ce que font toutes les législations du monde . Mais un bon petit verre de temps en temps , ça fait pas de mal !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 26, le 09 février 2019

  • En bref, ce fur une tempête médiatique dans un verre de whisky! Salud!

    Tina Chamoun

    11 h 08, le 09 février 2019

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