Prohiber la vente et la consommation d’alcool. C’est la mesure qu’a prise dimanche la municipalité de Fneideq (Akkar) pour prévenir, selon elle, des débordements liés à l’alcoolisme massif des jeunes dans le village. Le président du conseil municipal, Ahmad Baarini, a justifié sa décision par le fait que plusieurs groupes de jeunes accèdent fréquemment à Qammouaa, un site forestier de la région, où ils s’adonnent à la consommation excessive d’alcool et adoptent en conséquence des comportements irresponsables, propres à la survenue d’actes agressifs et d’accidents de la route.
Cette mesure est-elle légale ? Autrement dit, fait-elle partie des prérogatives attribuées aux municipalités par la loi ? Ne constituerait-elle pas, par ailleurs, une atteinte aux libertés individuelles ?
Nouhad Naufal, ancien président de la Fédération des municipalités du Kesrouan, qui a fait partie de l’équipe chargée en 1977 par le ministre de l’Intérieur, Salah Selman, d’élaborer la proposition de décret-loi sur les municipalités, affirme à L’Orient-Le Jour que « quand bien même il y a risque d’atteinte à la sécurité publique, une municipalité n’a pas le droit de prendre une décision générale ». « Elle peut suggérer au gouvernement central, plus particulièrement au ministre de l’Intérieur, de décréter l’interdiction de l’alcool, mais ne peut pas elle-même prendre une décision aussi générale », précise M. Naufal.
Quelle serait donc la solution dans le cas où, comme argue le président du conseil municipal de Fneideq, des noctambules organisent des beuveries sur la voie publique et se mettent dans un état d’ébriété dangereux autant pour eux que pour les autres ? « Pour réprimer une consommation d’alcool exagérée portant atteinte à l’ordre public, des agents municipaux peuvent dresser un procès-verbal et conduire la personne ivre au poste de police qui la déférera au ministère de l’Intérieur ou devant la justice », répond M. Naufal.
L’ancien ministre Ziyad Baroud est du même avis. « La police municipale peut agir contre des abus », indique le juriste à L’OLJ, soulignant par ailleurs que « le président de la municipalité et le conseil municipal ne peuvent édicter des interdictions totales, mais seulement des règlements ». Et M. Baroud d’insister, à travers des exemples, sur la nécessité de distinguer entre prohibition générale et réglementation d’une liberté : « La municipalité peut éventuellement empêcher un mineur de consommer de l’alcool ; elle a aussi le droit d’interdire les boissons alcoolisées en période de ramadan, ou également dans un périmètre défini autour d’églises, mosquées ou tout autre lieu de culte. » « Une limitation ponctuelle fait partie des prérogatives des municipalités, mais une interdiction requiert une loi », insiste l’ancien ministre dans ce sillage.
Il ne manque pas au passage d’indiquer que « si le législateur adopte une loi sur l’interdiction de vendre ou de boire de l’alcool, celle-ci serait contraire à la Constitution et pourrait être susceptible d’un recours en invalidation auprès du Conseil constitutionnel, d’autant qu’il s’agit de libertés individuelles ».
« Identité culturelle »
Un activiste des droits de l’homme fait, pour sa part, une distinction selon que « les habitants de la région de Fneideq protestent contre la décision du conseil municipal, ou au contraire la saluent ». « Il s’agit de leur propre choix, et s’ils n’ont aucun problème avec l’interdiction, on ne devrait pas parler en leur nom », soutient le militant, qui préfère « attendre de voir comment se répercutera l’application de la décision ». « Si celle-ci fait l’objet d’un recours qui ne serait pas pris en considération, les associations pourraient alors agir », poursuit l’activiste, estimant toutefois que « l’interdiction de boire dans les endroits publics peut être comparée à celle de fumer dans ces mêmes lieux, c’est-à-dire elle peut être justifiée par des considérations de santé publique. » « En revanche, si ces mêmes pratiques venaient à être interdites dans les maisons, il s’agirait alors d’une atteinte flagrante aux libertés privées », nuance-t-il, ramenant plus franchement le sujet à une question de « bataille culturelle ». « Cela fait un bon moment que l’alcool n’est pas servi dans des endroits publics dans des régions comme Jeb Jennine, Maroun el-Rass, Roueissate, Nabatiyé, et même dans des quartiers de Hamra », fait-il observer, affirmant sans détour qu’ « on essaie de changer l’identité culturelle du pays ».
C’est ce que pense également Waël Kheir, directeur de la Fondation des droits de l’homme et du droit humanitaire. « Assurer la sécurité publique ne semble être qu’un prétexte présenté par le président de la municipalité », estime-t-il, jugeant que « cette décision s’inscrit dans le climat de fondamentalisme et de fanatisme religieux qui sévit actuellement ». « Si la sécurité publique était vraiment en jeu, des rapports de police auraient relevé la situation instable de la région en mentionnant les troubles sécuritaires, comme ils le font dans d’autres zones du pays », poursuit M. Kheir, soulignant que « même si la fréquence d’incidents est prouvée, une municipalité ne peut émettre une interdiction ». « Il ne peut y avoir de prohibition en l’absence d’un texte de loi édictant une interdiction, », martèle l’activiste, assurant qu’ « un tel texte ne saurait être que l’œuvre du législateur ». « Celui-ci ne peut toutefois légiférer contre les libertés », tient enfin à mentionner M. Kheir.
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Que se cache-t-il derrière la décision d’interdire l’alcool à Fnaydeq ?
commentaires (9)
Invasion dormante! Je suis mors de rire
Chady
21 h 25, le 29 janvier 2019