La commission ad hoc chargée de rédiger la déclaration ministérielle du nouveau gouvernement a finalisé hier le texte, à l’issue d’une ultime réunion au Grand Sérail sous la présidence du Premier ministre Saad Hariri, en présence des ministres Ali Hassan Khalil, Jamal Jarrah, Mohammad Fneich, Akram Chehayeb, Salim Jreissati, Youssef Fenianos, May Chidiac, Mansour Bteich, Saleh Gharib et Camille Abousleiman.
Le texte a été envoyé au Conseil des ministres afin que celui-ci l’avalise demain jeudi, lors de sa première réunion prévue à midi et demi, avant de le soumettre la semaine prochaine au Parlement afin d’obtenir la confiance de la Chambre. « Si le gouvernement finalise la déclaration ministérielle jeudi, les séances de vote de confiance au gouvernement auront lieu mardi et mercredi, et si nécessaire vendredi », a déclaré de son côté le président de la Chambre Nabih Berry hier au cours de ses audiences du mercredi.
La plupart des formules litigieuses liées à certaines problématiques politiques fondamentales telles que la question de la résistance et celle des réfugiés syriens avaient déjà été réglées lors des séances précédentes, non sans un certain climat de tension. Mais, in fine, c’est dans la concorde que les échanges se sont globalement passés entre les différentes parties, selon une source ministérielle, qui précise à L’Orient-Le Jour qu’une grande partie du document est réservée aux exigences liées aux réformes prévues par la conférence de Paris (CEDRE).
À l’issue de la dernière réunion de la commission, le ministre de l’Information Jamal Jarrah a fait savoir que la lecture finale du texte a été achevée, « avec certaines modifications, sans toucher à l’essence de la déclaration ». « Toutes les approches débattues durant les réunions étaient positives et dans l’intérêt du pays, afin de préserver l’économie et faire face aux difficultés que subissent les Libanais », a-t-il souligné, expliquant que le texte prévoit « la réduction des dépenses et l’augmentation des recettes sans augmentation d’impôts ».
(Lire aussi : L’opposition stigmatise « un gouvernement largement déséquilibré en faveur du Hezbollah »)
Réduction du déficit
Selon le texte de la déclaration ministérielle, le gouvernement, qui adopte l’intitulé « Au travail ! », entend mener des réformes qui pourraient être « difficiles et douloureuses » pour éviter une détérioration de la situation socio-économique et financière du pays, selon l’agence Reuters qui a consulté le document.
Le cabinet s’engage ainsi à « respecter une politique monétaire et financière harmonieuse qui renforce la confiance dans l’économie nationale et qui permet de réduire la dette publique par rapport au PIB, en accroissant la taille de l’économie et en réduisant le déficit du Trésor ».
« Dès l’adoption du budget pour l’exercice de 2019, le Liban s’engage à réduire le déficit public à hauteur d’un point du PIB par an sur cinq ans à travers l’augmentation des recettes et la réduction des dépenses, notamment au niveau du déficit annuel enregistré par Électricité du Liban (EDL) afin d’éliminer totalement ce déficit à l’avenir », poursuit le texte. Il est également question d’inclure dans la déclaration « l’amélioration de la collecte des recettes, la lutte contre la dilapidation des fonds et l’évasion fiscale et douanière ».
Toujours sur le plan économique et monétaire, la déclaration ministérielle prévoit « l’engagement du gouvernement à adopter une politique de stabilisation de la monnaie nationale qui est primordiale à la stabilité sociale et économique ».
Selon des médias locaux, le texte prévoit « une restructuration du secteur public, notamment à travers une évaluation globale des fonctionnaires pour déterminer leur nombre, leur degré de productivité (...) afin de déterminer les besoins de l’administration publique en matière d’embauches.
Enfin, le texte de la déclaration ministérielle prévoit la tenue du deuxième round d’attribution des licences d’exploration et de production d’hydrocarbures offshore du Liban avant la fin de l’année en cours.
Avant le début de la réunion, le ministre de l’Éducation Akram Chehayeb avait indiqué que le texte de la déclaration ministérielle précise que le Conseil de la fonction publique est l’instance principale de recrutement dans les administrations et institutions publiques, ajoutant que son rôle devrait être renforcé. Toutefois, le ministre Jarrah a fait savoir que cette clause n’est finalement pas incluse dans le texte de la déclaration, mais que cette question sera abordée en Conseil des ministres, une fois le travail de celui-ci lancé.
Les réserves des FL
Concernant la formule liée au Hezbollah en tant que mouvement de résistance, inchangée par rapport à la déclaration ministérielle, les Forces libanaises ont exprimé des réserves hier par la voix de la ministre d’État au Développement administratif, May Chidiac, sur l’absence de la mention « dans le cadre des institutions étatiques » lorsqu’il s’agit d’évoquer le droit des Libanais à la résistance.
« Nous allons résister de l’Intérieur et nous ne resterons pas en dehors de ce gouvernement comme le souhaitent certains », a fait savoir Mme Chidiac. « Nous restons attachés à la restauration de la décision stratégique de l’État », a-t-elle martelé.
Pour ce qui est du dossier du retour des réfugiés syriens, qui cristallise les passions sur fond d’un regain d’influence politique du régime Assad au Liban, le portefeuille concerné ayant été confié à un proche de Damas, Saleh Gharib, « le retour volontaire et la solution politique (au conflit syrien) ne sont pas mentionnés dans le texte, qui évoque un “retour sécurisé” », a souligné aujourd’hui Jamal Jarrah. Des propos confirmés hier par le ministre Gharib lui-même dans le cadre d’un entretien à la radio. Il a également évoqué la mention dans le document du soutien à l’initiative proposée par Moscou pour le retour des réfugiés syriens dans leur pays. M. Gharib s’est toutefois voulu rassurant, en réponse aux critiques virulentes, mêlées de craintes, formulées par le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt concernant une coordination avec le régime Assad au sujet du retour des réfugiés, au péril de leur vie face à la répression de Damas, dans leur pays. « Notre patriotisme et notre humanisme ne nous permettent pas d’exposer les réfugiés au danger. Il n’est pas question d’un retour forcé et notre but est de coordonner avec toutes les parties », a-t-il ajouté.
Toujours sur la Syrie, May Chidiac a critiqué les appels du chef de la diplomatie Gebran Bassil, devant les instances internationales, en faveur d’un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. « Nous ne pouvons pas accepter, avec tout le respect que nous devons au chef de la diplomatie, que celui-ci se prononce au nom du Liban devant les instances internationales, alors que ses propos ne font pas l’objet d’un consensus au niveau national. Il n’est pas de notre ressort de réclamer le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. Laissons cette décision à la Ligue, sachant que cette question ne fait toujours pas l’unanimité » des États membres, a-t-elle affirmé.
Réconciliation Aoun-Joumblatt
Si la rédaction de la déclaration ministérielle a fait son chemin dans la quiétude, sans éclats, la surprise est venue hier de la réconciliation opérée par Walid Joumblatt avec le président de la République Michel Aoun, au lendemain des attaques fulgurantes lancées par le chef du PSP contre Saad Hariri, qu’il avait accusé de céder ses prérogatives de président du Conseil dans la formation du gouvernement au profit de Gebran Bassil, en violation de l’accord de Taëf.
« Le compromis sur le gouvernement a été conclu avec le président Aoun et personne d’autre », a affirmé le ministre de l’Industrie Waël Bou Faour à l’issue de la rencontre. « Nous tenons à cette entente qui a eu lieu entre nous », a-t-il dit, soulignant que « le président Michel Aoun est le seul partenaire de Walid Joumblatt, dans le cadre du compromis gouvernemental » et que « la déclaration ministérielle est claire sur la question de Taëf, de même que la position du Courant patriotique libre ».
Le ministre a par ailleurs assuré que « les relations du PSP avec le Premier ministre Saad Hariri sont historiques », notant que « des différends peuvent avoir lieu entre les parties politiques malgré les bonnes relations ». « Aujourd’hui nous sommes dans une phase de dialogue direct avec M. Hariri », a-t-il ajouté, précisant qu’il « a été convenu d’arrêter les débats dans les médias ».
Un analyste politique proche du dossier druze et qui a requis l’anonymat a exprimé sa stupéfaction face à la « volte-face » de M. Joumblatt, s’interrogeant sur ce qui en était à l’origine : un arrangement obtenu sur certaines questions liées à des organismes publics ou une volonté d’éviter un dérapage politique plus grave, notamment contre le CPL et le Hezbollah, à même de circonscrire et d’affaiblir plus substantiellement le PSP dans l’équilibre des forces actuel. Cependant, une source responsable du PSP précise à ce sujet qu’il n’y a pas de volte-face, mais « une volonté de respecter la trêve actuelle après que les déclarations de M. Joumblatt eurent été trouvées trop incendiaires ». Selon cette source, « le conflit sur la Syrie perdurera avec M. Bassil, avant ou après la réintégration de Damas dans la Ligue arabe, mais il y a aussi une volonté de préserver la réconciliation de la Montagne et de préserver la relation avec le chef de l’État, indépendamment des différends avec le chef de la diplomatie ».
Une source proche des milieux de l’opposition estime quant à elle au sujet de ce rapprochement soudain que toutes les parties ont été clouées au pilori par le discours du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah hier dans la banlieue sud, une « déclaration ministérielle parallèle qui s’impose à toutes les parties et qui porte sur les points suivants : hostilité à l’égard du Golfe et des États-Unis, soutien total à la politique expansionniste iranienne et apparences de lutte contre la corruption et pour les réformes ».
Lire aussi
Plus loin que la tolérance, l’éditorial de Issa GORAIEB
Les milieux du PSP exhortent Hariri à sortir de sa passivité face à Bassil
Gouvernement : Bassil en première ligne !, le décryptage de Scarlett HADDAD
Déclaration ministérielle : les relations avec la Syrie épicent des débats globalement convenus
commentaires (6)
Toutes les décisions ou déclarations exprimées ici ou là n'engagent que son auteur lui-même exclusivement. Tout ce qui concerne l'international, il est du ressort du gouvernement réuni. Que ceux qui ont ouvert à leur compte de s'abstenir de construire des châteaux en Espagne ou ailleurs ou de démettre.
Un Libanais
16 h 09, le 07 février 2019