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Culture - Cimaises

Afaf Zurayk, de la grotte aux horreurs aux plages de sérénité

Les œuvres de l’artiste se déploient à la galerie Saleh Barakat*. En signant la scénographie de cette rétrospective, la curatrice Sylvia Agémian n’a pas voulu uniquement raconter des fragments de vie, mais faire un éclairage sur le travail de cette « peintre de l’intangible ».


Rétrospective de Afaf Zurayk à la galerie Saleh Barakat.

Une trentaine d’œuvres produites durant trois décennies – dans une rétrospective intitulée Return Journeys dont la curatrice est Sylvia Agémian à la galerie Saleh Barakat – racontent le parcours d’une artiste qui, depuis sa première rencontre avec l’art et la matière, n’a eu de cesse de s’interroger. Malgré ses multiples départs et retours, Afaf Zurayk n’a jamais été en exil avec elle-même. Pour elle, partir a toujours été pour mieux se retrouver, s’ancrer, s’enraciner...

Mais qu’est-ce au juste qu’une rétrospective ? Est-ce simplement des morceaux fragmentaires d’une œuvre, d’une vie ? Des impressions brumeuses et floues qui jaillissent parfois dans l’angle d’un mur ? Avant d’aborder ce projet, Agémian s’est attelée à faire une plongée dans l’intime de son amie, cette artiste pudique, secrète et silencieuse, qui a bien voulu se dévoiler à travers son travail et en donner généreusement les clefs afin de comprendre son profond soi.


S’immerger pour mieux émerger

Ses incessantes pérégrinations entre les pinceaux et les gommes, le graphite, la craie, l’huile ou l’acrylique, entre les couleurs et le noir et blanc – « que je ne choisis pas consciemment mais que je sens au bout de mes doigts comme un fourmillement » –, mais aussi et surtout ces flâneries entre l’angoisse et la sérénité, la peur et la désinvolture, le bruyant et le silencieux ne sont que la volonté de se mettre à nu et de traduire ses émotions profondes. Et c’est toujours en faisant une introspection et en la projetant sur ses peintures, comme si elle se regardait dans la glace, que Afaf Zurayk découvre et se découvre. La vie n’a jamais été un parcours linéaire pour Afaf Zurayk. Elle en est parfaitement consciente et elle assume ses choix tortueux. Si elle est toujours sortie des sentiers battus, c’est parce qu’elle s’est réellement battue pour tracer ces sentiers-là. Pour elle, tout réside dans le questionnement, l’éternelle autocorrection de soi-même. « Nous sommes des êtres faits de bonté et de dureté, de beauté et de laideur, mais également de force et de fragilité. La peinture, dit-elle, c’est être à l’écoute du monde, de soi et des autres. Écouter les autres, leurs douleurs, leurs joies, mais aussi écouter comment le vent joue avec les arbres, comment la lumière et les ombres peuvent tournoyer ensemble. » De l’espace des horreurs (où elle hache dans le noir) aux plages de sérénité grises, blanches et diaphanes et des forêts labyrinthiques aux reliefs les plus doux ; de Beyrouth aux saisons qui déclinent l’une dans l’autre, à Chesapeake Bay aux mêmes saisons, mais bien ponctuées et séparées l’une de l’autre ; et de l’être cloué sur un bois, révélant les souffrances de l’univers, à ces autres formes physiques qui se réveillent au matin dans un camaïeu de bleu, de rosé et de jaunâtre et ces montagnes qui se confondent avec les contours des êtres humains, il y a toujours, en filigrane ou en jets somptueux, une lumière diffuse qui irradie l’œuvre de Afaf Zurayk.


(Pour mémoire : « Nous sommes bourreaux et victimes, faits d’ombre et de lumière »)


Comme de la musique

L’artiste compare sa longue aventure avec l’art à ce jardin sans clôtures ouvert à tous vents (parfois même à des tempêtes) qu’elle essaye de planter, d’arroser, de trimer et d’élaguer. Pour l’avoir accompagnée et comprise, Agémian a réalisé cette rétrospective à l’image d’une composition musicale. « Avant de voir l’œuvre, il faut pouvoir l’écouter résonner en soi et la toucher », confie également Zurayk. Comme une boucle bouclée et comme un cercle qui se referme, mais en ouvrant à la fois des portes vers l’ailleurs, ce corps d’œuvres se module au rythme de toutes les composantes de la vie de l’artiste.

La violence, malgré toutes les épreuves encourues, n’a jamais réussi à contrôler Afaf Zurayk qui parle, écrit et peint en touches délicates et douces. Il faut se regarder soi-même pour pouvoir comprendre les autres. Cet effet miroir, autre élément important dans son œuvre, permet au noir et blanc de jouer l’alternance. Et si parfois on a l’impression que le jet est spontané et immédiat, c’est parce qu’il aura fallu des mois de travail, d’hésitation, de refus, pour atteindre finalement l’objectif voulu sur la toile. L’artiste a longtemps travaillé en solitaire, auscultant les toiles et autres médiums (même les morceaux de bois charriés sur les bords de fleuve) pour en ressortir avec des impressions différentes, elle est même allée jusqu’à peindre dans l’obscurité totale, suivant simplement le mouvement de son bras. Mais en rejoignant le corps enseignant à l’Université américaine de Beyrouth ou à

Washington, elle a appris à travailler avec d’autres générations, comme l’exposition Shifting Lights en 2018. Elle s’est ainsi révélée une passeuse d’émotions et d’art. Alliant écriture et poésie au dessin, la peintre qui donne actuellement des sessions privées n’a qu’une chose à dire à ses élèves : L’art est un appel. Il suffit de bien l’entendre pour le rejoindre et en faire écho.

*Galerie Saleh Barakat, rue Clemenceau, jusqu’au 23 février.

Tél. : 961/1/365 615.



Pour mémoire
Afaf Zurayk : C’est comme si on me disait merci, tu as fait du bon travail

Une trentaine d’œuvres produites durant trois décennies – dans une rétrospective intitulée Return Journeys dont la curatrice est Sylvia Agémian à la galerie Saleh Barakat – racontent le parcours d’une artiste qui, depuis sa première rencontre avec l’art et la matière, n’a eu de cesse de s’interroger. Malgré ses multiples départs et retours, Afaf Zurayk n’a jamais été...

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