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Liban - Communautés

La subordination du politique au religieux au cœur de l’affaire Roula Jaroudi

Roula Tabch Jaroudi reçue à Dar el-Fatwa jeudi. Photo ANI

C’est une première absolue. Accusée dans les réseaux sociaux d’avoir renié sa foi pour s’être avancée, au cours d’une messe, vers le prêtre qui distribuait la communion, la députée musulmane sunnite de Beyrouth, Roula Tabch Jaroudi (courant du Futur), a été contrainte par Dar el-Fatwa de « s’excuser » et de faire à nouveau allégeance à l’islam.

« C’est grave : le fondamentalisme sur les réseaux sociaux a prouvé sa capacité à influer sur les choix politiques ; c’est nouveau au Liban », a jugé hier le P. Fadi Daou, président de la Fondation Adyan, commentant pour l’OLJ l’affaire Roula Tabch Jaroudi. En outre, le P. Daou est inquiet du fait que la logique sectaire « a eu raison d’une ligne politique connue par sa modération et son attachement au vivre-ensemble, en impliquant Dar el-Fatwa dans l’affaire aussi. » « Pour un pays régi par un Etat de nature civile, cette subordination du politique au religieux est sans précédent, et contraire à l’esprit du Liban », explique encore le P. Daou. Le fondateur d’Adyan juge les réactions à cette affaire trop « identitaires ». « Il faut éviter l’amalgame. C’est passer à côté de la question fondamentale que d’en faire un problème de rapports entre chrétiens et musulmans ; le problème véritable n’est pas personnel, mais public, c’est celui du rapport qui doit s’établir entre les domaines civil et religieux. C’est un problème au niveau citoyen », insiste-t-il.


Sammak : J’ai honte !
« J’ai honte ! À quoi sommes-nous réduits ! » a affirmé de son côté hier à L’OLJ Mohammad Sammak, coprésident du Comité national pour le dialogue islamo-chrétien. « C’était un geste de piété dû sans doute au manque d’expérience ; on en a fait toute une histoire. Mais on ne corrige pas une erreur par une autre. Nous assistons tous à des messes et avons tous accepté le pluralisme religieux », a enchaîné M. Sammak. « Et dire qu’après cela, nous voulons faire du Liban un centre international pour le dialogue entre les cultures et les religions ! » a-t-il renchéri.

Dans les milieux sunnites modérés, on juge « inquisitoriale » la démarche de Dar el-Fatwa. Et de laisser entendre qu’il existe une cassure au sein de l’instance sunnite, partagée entre une aile modérée et une aile fondamentaliste incarnée par cheikh Amine Kurdi.

Prenant les devants à ce sujet, un communiqué de Dar el-Fatwa sur cette affaire a précisé que la démarche auprès de la parlementaire l’avait été « conformément aux directives du mufti ».

L’affaire remonte au mardi 1er janvier 2019 quand, au cours d’une messe célébrée dans le centre d’Antélias de la congrégation Mission de Vie, la députée, mal informée des différents moments liturgiques d’une messe, s’était avancée vers le prêtre qui officiait, le P. Wissam Maalouf, pendant que ce dernier distribuait la communion. Elle avait eu droit à un sourire attendri du prêtre, qui s’est contenté de poser le ciboire sur sa tête.

L’office était destiné à marquer la Journée mondiale de la paix instaurée par le pape Jean-Paul II en 1986, et était célébré en présence du ministre Melhem Riachi et des députés Ibrahim Kanaan, Michel Moawad, Farid Boustany et Hagop Terzian.


L’opinion choquée
L’allégeance à l’islam imposé de nouveau à la parlementaire a choqué d’autant plus qu’elle avait dû se rétracter par rapport à un premier communiqué, publié mercredi, dans lequel elle avait assuré que « les rites et le respect des coutumes d’autrui ne modifient pas la foi intime et ne transforment par le musulman en renégat ».

Intimidée par la cabale soulevée, la députée s’était rendue jeudi à Dar el-Fatwa où, après avoir été instruite et chapitrée par le secrétaire général de l’instance, le cheikh Amine Kurdi, elle avait été conduite à adhérer à nouveau à l’islam, comme si elle avait apostasié. « Ce que j’ai fait n’était pas prémédité. Je me suis excusée auprès de Dieu », avait-elle indiqué dans un communiqué de circonstance.

Cette rétractation a déplu et suscité de vives réactions. Ainsi, le directeur du Centre catholique d’information, le P. Abdo Bou Kasm, a repris la députée, l’accusant de ne pas avoir résisté à « la tentation de la surenchère ». La députée aurait dû « présenter ses excuses à sa religion, pas à Dieu », a affirmé le prêtre. « Nous ne sommes pas des athées, la religion chrétienne est la religion de Dieu », a-t-il ajouté.

Symptomatique également est la réaction de la journaliste de télévision Dima Sadek, qui a affirmé dans un tweet qu’elle s’apprêtait à se solidariser avec la députée, avant d’être « choquée » par son message d’excuses. « Comment peut-on s’excuser d’avoir pénétré dans une maison de Dieu, s’est indignée la présentatrice vedette de la LBCI, alors même que le Coran classe les chrétiens parmi les gens du Livre ? »


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commentaires (19)

Il y a les beaux discours et la réalité du miroir. Cette réalité reflétée par notre miroir est affreuse. L'humanité est encore à des siècles de la civilisation et de la vraie dignité. Mais nous espérons

Sarkis Serge Tateossian

11 h 36, le 06 janvier 2019

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Commentaires (19)

  • Il y a les beaux discours et la réalité du miroir. Cette réalité reflétée par notre miroir est affreuse. L'humanité est encore à des siècles de la civilisation et de la vraie dignité. Mais nous espérons

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 36, le 06 janvier 2019

  • DINTILHAC bernard il est légitime pour un musulman de se convertir. Il ne s'agit pas pour autant de mépriser ou du moins ignorer l'objectivité et le caractère sacré de la foi catholique et de l'incompatibilité de la vérité de ses mystères et de ses dogmes, pour un œcuménisme convivial et un spiritualisme sans dogmes. Le prêtre a eu raison de la bénir, sans lui donner l'hostie. On ne peut demander aux musulmans d'admettre que foi musulmane et foi chrétienne ne soient pas contradictoires, sauf conversion. C'est aux chrétiens et à la hiérarchie surtout catholique de témoigner correctement de la foi catholique. Le dialogue islamo-chrétien l'exige. Ne reprochons pas aux autorités musulmanes un comportement logique.

    dintilhac bernard

    22 h 49, le 05 janvier 2019

  • La guerre civile a fait changer les mentalités, 1991 je rentre au Liban et j'habitais à Badaro les taxis du côté Badaro n'osait pas aller de l'autre côté ( musulman ) et la même chose de l'autre côté, j'étais outree

    Eleni Caridopoulou

    17 h 43, le 05 janvier 2019

  • Excusez-moi et pardonnez-moi, mon Dieu, de Vous avoir visité à Antélias sans la permission du Chekh Amine Kurdi.

    Un Libanais

    17 h 40, le 05 janvier 2019

  • La réaction est grave de la part de l’autorité musulmane car elle n’a pas renié sa religion mais juste eu un geste de fraternité envers la communauté chretienne qui croit , rappelons le , par dessus tout en Dieu.

    L’azuréen

    16 h 37, le 05 janvier 2019

  • Rola Jaroudi a bien etee contrainte socialement et psychologiquement, de se retracter pour un geste anodin, symboliquement louable pour un dialogue Islamo-chretien. Darel-fatwa n’a pas condemne ce geste, implicitement approuve, mais a socialement fait pression sur Mme Jaroudi pour faire un pas en arriere. Le geste et l’absence de condamnation est un pas en avant. Le reste est passager. Dieu n’a riven a faire avec cette histoire. C’est purement politique interne. Galileo a ete contraint par le pape a renoncer a sa conviction scientifique que la terre tourne sur elle meme, et a ete condamne a rester prisonnier chez lui pendant des annees. Des excuses et la levee de la condamnation ne s’est faite que des siecles plus tard. “Et pourtant elle tourne” avait-il dit apres sa condamnation. Il y a quand meme des progres au Liban. Histoire a suivre.

    Allam Charles K

    16 h 24, le 05 janvier 2019

  • cela montre surtout qu'une partie des musulmants ( et heureusement pas tous ) sont des adepte des idees de ISIS qui pense que toute personne d'une foie differente doit etre asservie et meme parfois massacre Si le Mufti a vraiment donne cet ordre de devoir reeaffirmer sa foie apres sa visite a l'eglise qu'on ne vienne surtout pas nous parler demain d'une entente entre Chretiens et Musulmans au Liban et de la vie commune. C'est clair que cela est une farce C'est a cause de cas comme cela que les Chretiens ont quitte massivement les pays arabes Il est maintenant clair que les embrassades regulieres entre les dirigeants religieux chretiens et musulmans au Liban sont une farce pour la galerie comme apparement est de vouloir faire croire a un Liban multiconfetionnel ou il fait bon vivre ensemble et ou un ministere ne peut pas se former en 8 mois PAUVRE LIBAN QU'ES TU DEVENU ?

    LA VERITE

    13 h 34, le 05 janvier 2019

  • nous sommes bien partis pour une nation qui sed targue d'etre evoluee ! JAMAIS libanais ne s'etait trouve devant un tel acharnement a denigrer l'autre -directement & indirectement - a cause d'une seule raison : sa religion ! peut etre bientot ce sera pour une autre raison, la confession d'une meme religion . ET VOILA que le slogan de la nouvelle republique forte a réussi sa gageur : chaque religion/chaque confession pour elle-meme CONTRE les autres. Bravo GB & Co. NB. En cela il n'est pas Seul responsable puisque tous les autres ont suivi sans rechigner... CROYANT, ESPERANT que cela ferait leur affaire aussi.

    Gaby SIOUFI

    13 h 16, le 05 janvier 2019

  • ON EST EN 2019....C'EST INCROYABLE CE QUI SE PASSE AU LIBAN CHEZ NOUS ! NORMALEMENT ON A CRÉE LES RELIGIONS POUR APPROCHER LES HOMMES ENTRE EUX ET PAS POUR LES SÉPARER. MALHEUREUSEMENT LES RELIGIEUX FONT LEUR PROPRE COMMERCE AVEC LES RELIGIONS. PIRE QUE LES DRUGS DEALERS.

    Gebran Eid

    13 h 07, le 05 janvier 2019

  • "contrainte par Dar el-Fatwa de « s’excuser » et de faire à nouveau allégeance à l’islam".cela veut dire quoi ? qu'il y a intolérance ! qu'on ne parle plus de religion de d'amour et de paix !!!! c'est un nouveau "terrorisme" morale !!!

    Talaat Dominique

    12 h 35, le 05 janvier 2019

  • En arriver là dénote un véritable signe de faiblesse...

    Gros Gnon

    11 h 56, le 05 janvier 2019

  • pour l'Athée que je suis c'est à mourir de rire devant tant de bêtises

    yves kerlidou

    10 h 40, le 05 janvier 2019

  • L'affaire Jourdi ne doit pas être abordée par le biais du religieux mais du politique. 1 - Toutes les religions monothéistes abrahamiques sont des systèmes de pensée unique. Par nature, elles sont prisonnières du couple "élection-exclusion". Je suis l'élu ou l'ami de Dieu, et toi l'Autre tu ne l'es pas. Ceci s'applique à tout le monde. 2 - En Orient, la modernité n'arrive pas à poindre son nez car l'individu demeure asservi par la tyrannie du groupe identitaire confessionnel. La dignité de l'individu lui est conférée par son appartenance à un groupe confessionnel et non "par nature". 3 - Merci au geste de Mme Jourdi qui nous permet de clamer haut et fort que seuls l'état séculier et un code civil du statut personnel pourraient libérer l'individu de l'hégémonie du groupe identitaire et lui rendre sa dignité naturelle. 4 - Mais cette affaire montre aussi les limites du dialogue inter-religieux, qu'il soit islamo-chrétien ou inter-chrétien. Les embrassades mutuelles et les invocations à Dieu n'ont apparemment produit aucun effet depuis le temps qu'elles existent et qu'elles se répètent invariablement égales à elles-mêmes

    COURBAN Antoine

    10 h 02, le 05 janvier 2019

  • MEME UN GESTE DE FRATERNITE ET DU VIVRE ENSEMBLE EST CONDAMNE PAR CERTAINS RELIGIEUX. CELA N,ARRIVE PAS POURTANT DANS LA COMMUNAUTE CHIITE AUX NOMBREUX MEMBRES QUI FONT DES VOEUX A LA SAINTE VIERGE ET BAPTISENT LEURS ENFANTS ET LEUR DONNENT DES NOMS CHRETIENS. ON NE LES CONVOQUE PAS POUR S,EXPLIQUER ET JURER DE NOUVEAU ALLEGEANCE AU CHIISME. CETTE ACTION ETAIT FANATIQUE ET HONTEUSE CONTRE UNE PERSONNE QUI PAR SON GESTE VOULAIT RAPPROCHER LES COMMUNAUTES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 36, le 05 janvier 2019

  • "Pour un pays régi par un Etat de nature civile", dit le P. Daou. Il devrait ajouter "mais d'un naturel indéracinablement et profondément sectaire!"

    Tina Chamoun

    09 h 20, le 05 janvier 2019

  • On se demande si Madame Roula Tabch n'était pas députée...ces très respectables Cheikh Amine Kurdi et Dar el-Fatwa, auraient-ils eu la même réaction ? Que craignent-ils...que le geste de Mme R. Tabch ne donne des idées à d'autres et de perdre leur emprise sur leur communauté ? Quel DIEU prétendent-ils servir ? Celui qu'ils invoquent à chaque fois qu'ils ouvrent la bouche: "au nom de DIEU le miséricordieux" ou un autre qu'ils inventent pour leur propre usage ? Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 28, le 05 janvier 2019

  • Ceci n’est qu’un avant goût de ce que sera le Liban de demain si nous ne prenons pas garde. M. Nasrallah a fat beaucoup d’envieux, et ses émules des autres communautés ruent dans les brancards.. Attentions les chefs de partis communautaires, si vous persistez vous serez balayés comme un fêtu de paille. Georges Tyan

    Lecteurs OLJ 3 / BLF

    08 h 24, le 05 janvier 2019

  • Heureusement que le ridicule ne tue pas! Je suis écœuré par la réaction de Dar EL Fatwa, je suis d'autant plus à l'aise de le dire que je suis moi-même d'origine sunnite! Les 8 années que je viens de passer au Liban ne m'ont jamais autant éloignées de la religion (Toutes religions confondues), et jamais autant rapprochées de la spiritualité! Le salut de notre cher Liban ne viendra que par l'instauration de la laïcité stricte à la française!

    OMAIS Ziyad

    06 h 34, le 05 janvier 2019

  • Pas grave, heureusement qu'on n'exige pas de Dieu de s'excuser pour l'avoir reçue chez lui. Mais bon, tout va très bien,...ceci n'est même pas une égratignure à comparer avec ce qu'on lui fait subir en se portant son porte parole...

    Wlek Sanferlou

    02 h 33, le 05 janvier 2019

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