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J’haime Noël

Comment exprimer autrement ce sentiment d’amour mêlé de haine, de tendresse mêlée d’exaspération, d’empathie mêlée de saturation ? J’haime Noël. Noël fanfaronnant ses hymnes creux, vomissant sa marchandise où il peut, versant sa nuit avant le crépuscule, perdant ses étoiles dans les flaques, plantant ses sapins au hasard et jusqu’au cœur des déserts, jusque sous les tropiques parmi les cocotiers, débordant de partout, pressé, essoufflé, débridé, rouge sous toutes les coutures, rouge et obèse, rouge et bruyant. Noël, pourtant.

Il faut croire que l’humanité entière, avec ou sans neige, avec ou sans feu, a besoin de ces Saturnales pour embrasser, le temps d’une parenthèse, son appartenance familiale. D’instinct, ces familles qu’on haime tout autant que ce Noël qui les irrigue, fussent-elles débilitantes, toxiques, liberticides, inéquitables, nous aimantent. C’est la saison où les avions sont pleins de jeunes adultes qui retournent au bercail se couler dans les bras qui leur ont si longtemps entravé les ailes ; et découvrir le sapin fou de l’oncle que Noël exalte au point d’en répandre partout ; la crèche de la maman qui s’est projetée de toute sa maternité frustrée dans cette scène autour de l’enfant roi ; les provisions du papa qui en a profité pour stocker en vins et cochonnailles de quoi survivre à tous les désenchantements ; l’agaçante fratrie qui sait viser là où ça fait mal pour avoir vu dès l’enfance grandir la faille qu’on essaie encore de cacher ; les grands-parents que chaque Noël vieillit un peu plus et amuse un peu moins. Saison et raison de se retrouver, pourtant.

À quel moment la machine s’est-elle emballée ? À quel moment le père Noël s’est-il transformé en ogre et sa hotte en tonneau des Danaïdes ? Comment ce doux moment de recueillement, de crépitements paisibles, de parfums sylvestres, de neiges feutrées, de fruits dorés, de récits féériques, de regards qui brillent, de partage inconditionnel et de bienveillance dans l’attente du plus bel événement qui se puisse espérer : la naissance d’un enfant divin – soi-même puisqu’il est dit que Dieu est en chaque être vivant – ; un soi-même invité à se régénérer, à recouvrer celui qu’il fut avant l’usure et la morsure, avant la perversion qu’inflige la vie à mesure que l’on vit, comment ce moment de l’année est-il passé de la contemplation à l’orgie, de la délicatesse à la fureur ?

La surenchère a tué la fête. Repus jusqu’à la tristesse animale, les oreilles sciées par ces chants qui furent joyeux, qui ne sont plus que bruyants ; les entrailles retournées par ces repas qui furent exceptionnels, qui ne sont plus qu’abondants, on aurait presque hâte que tout cela passe n’était le seul vrai plaisir qui en demeure : être ensemble, se compter et recompter sur les photos de famille où l’on a l’air si gauche mais où l’on a plaisir à constater, à rebours, que ça fait du bien, que c’est malgré tout réconfortant de se retrouver parmi ses proches, famille ou amis ou même rencontres de hasard si le hasard existe.

Lundi soir, on remettra le couvert, on répétera les mêmes gestes qui précipitent à grand bruit l’année écoulée vers une sortie peu honorable. C’est pourtant précieux une année. C’est fou le nombre de choses qu’on a pu y faire et qu’on a oubliées. À notre insu, cette parenthèse vécue nous a tant modifiés. Elle mériterait qu’on s’y arrête, qu’on se retourne et qu’il y ait dans notre adieu un rien de gratitude.

Comment exprimer autrement ce sentiment d’amour mêlé de haine, de tendresse mêlée d’exaspération, d’empathie mêlée de saturation ? J’haime Noël. Noël fanfaronnant ses hymnes creux, vomissant sa marchandise où il peut, versant sa nuit avant le crépuscule, perdant ses étoiles dans les flaques, plantant ses sapins au hasard et jusqu’au cœur des déserts, jusque sous les...

commentaires (4)

Fifi, vous n'abandonnez jamais vous! Cassandre jusqu'au bout des sapins.

FRIK-A-FRAK

12 h 56, le 27 décembre 2018

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Commentaires (4)

  • Fifi, vous n'abandonnez jamais vous! Cassandre jusqu'au bout des sapins.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 56, le 27 décembre 2018

  • Fifi, faites donc la trêve des confiseurs, c'est le moment ou jamais justement! ça s'appelle bien une fête. Fêêêêteuuuuu!

    Tina Chamoun

    12 h 41, le 27 décembre 2018

  • Texte magnifique sans manichéisme, style éblouissant. Bravo ! Tout est dit, et bien dit

    Isabelle jourdan

    11 h 09, le 27 décembre 2018

  • Très beau Fifi! Le nouveau "look" aussi, d'ailleurs...

    Georges MELKI

    09 h 15, le 27 décembre 2018

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