Après les annonces lundi d’Emmanuel Macron, qui s’ajoutent à la suppression de la hausse des taxes sur le carburant, le gouvernement fait face à une équation à 15 milliards d’euros (soit 17 milliards de dollars) pour maintenir le déficit sous la limite européenne de 3 % du PIB... ou pas. L’augmentation du SMIC, la défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires, et la suppression de la hausse de la CSG pour les retraites inférieures à 2 000 euros « auront un coût d’environ 10 milliards (11,3 milliards de dollars) auxquels s’additionneront les 4,5 milliards (5,1 milliards de dollars) des taxes sur l’essence », a expliqué à l’AFP Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management.
Des membres du gouvernement comme le secrétaire d’État Olivier Dussopt ou la ministre des Transports Elisabeth Borne ont évoqué un coût entre 8 et 10 milliards d’euros (entre 9 et 11,3 milliards de dollars), sans tenir compte de la suppression de la hausse des taxes sur les carburants annoncée la semaine dernière. Des chiffres qualifiés de « réalistes » par l’économiste Philippe Aghion, proche du président. « C’est ce que j’envisageais. Si on va de 3 % à 3,5 % (de déficit), cela représente 10 milliards d’euros (11,3 milliards de dollars) », a-t-il affirmé sur France Info. Très loin donc de l’objectif gouvernemental de 2,8 % en 2019. Surtout, en dépassant à nouveau la barre des 3 % à peine un an après être sortie de la procédure de déficit excessif européenne, la France risque de se retrouver dans le collimateur de Bruxelles qui tape déjà sur les doigts de l’Italie pour un déficit prévu de... 2,2 %.
« Coûts de transition »
« À Bruxelles, on va regarder la France avec beaucoup d’intérêt », a assuré M. Waechter. La Commission européenne a d’ailleurs annoncé hier qu’elle réexaminerait le budget de la France au cours du deuxième trimestre 2019, quand elle publiera ses nouvelles prévisions économiques. D’autant que la croissance est au ralenti et pourrait ne pas atteindre 1,7 % l’an prochain comme le prévoit le gouvernement : l’économiste ne table que sur 1,3 % l’an prochain.
Dans ce contexte, il « va nous falloir sans doute creuser le déficit pour pouvoir honorer ces engagements dans le terme qui a été fixé », a reconnu le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, sur RTL, tout en assurant que ce ne serait que « temporaire ». Pour M. Aghion, il n’y a pas de doute : « L’idée n’est pas de persister dans le déficit, c’est de transformer le pays », a-t-il affirmé.
« Il y a des coûts de transition dans cette transformation (...) qui peuvent nécessiter provisoirement de sortir des clous, d’augmenter notre déficit au-delà de 3 % », a-t-il déclaré. L’économiste a refusé toute comparaison avec l’Italie : Rome « fait du déficit pour ne pas réformer. Nous, si on augmente un peu (le déficit), c’est pour réformer », a-t-il expliqué, assurant qu’il « fallait éteindre le feu » des gilets jaunes pour poursuivre les réformes.
De la marge avec le CICE
Selon l’Élysée, la France dispose d’un « peu de marge » budgétaire et les annonces de M. Macron ne « remettent pas en cause la maîtrise de la dépense publique ». Pour M. Waechter, le gouvernement a effectivement de la marge, en particulier avec le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) dont la transformation en baisse de charges pérennes pour les entreprises représente 0,9 point du déficit prévu pour 2019.
L’an prochain, l’État dépensera ainsi 20 milliards (22,6 milliards de dollars) au titre du CICE tout en réduisant déjà les charges sociales de 20 milliards pour les entreprises. « Il va y avoir l’année prochaine un double avantage pour les entreprises », a rappelé M. Waechter. « Le gouvernement pourrait étaler, par exemple, la baisse des charges ou les morceler dans le temps pour que cela soulage la dépense publique en 2019 », a-t-il ajouté. « Ces baisses de charges sont pérennes et cet avantage s’inscrit donc dans la durée », a-t-il expliqué, soulignant le risque que le maintien de cette mesure ne donne l’impression que « les entreprises en profitent plus que les autres en cette période plutôt austère ». Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a toutefois rejeté cette idée : la transformation du CICE « n’a pas de raison d’être reportée », a-t-il affirmé sur BFMTV, soulignant que l’État devait « tenir ses engagements ». Pour sa part, M. Ferrand a estimé que « la conversion du CICE en baisses de charges patronales, c’est pour une année », en 2019, et « l’année d’après, nous n’aurons pas cet effet d’accumulation des deux mesures et on retrouvera un rythme en dessous des 3 % ».
Antonio RODRIGUEZ / AFP