L’ambassadeur du Qatar était en grande tenue traditionnelle, d’une élégance à la hauteur de l’événement dont il mesurait pleinement l’importance. Car le petit émirat gazier fait partie de ces généreux parrains qui ont rendu possible l’inauguration tant attendue de la Bibliothèque nationale libanaise. Autour de lui, des visages au mieux perplexes, au pire indifférents. Voilà longtemps que la culture est la dernière des priorités pour les gouvernements du pays du Cèdre, malgré une succession de ministres pleins de bonne volonté dont l’ambition n’a jamais eu d’égale que la béance de leur budget. Il n’y a qu’à voir la vétusté des locaux mêmes du ministère de la Culture pour comprendre l’ampleur du mépris dont il souffre. Pour beaucoup, la livraison de cette Bibliothèque nationale, dont le chantier a été mené au ralenti et sans cesse interrompu faute de fonds depuis l’an 2000, est une imposture. La coquille est là, certes, et le bâtiment patrimonial hérité de l’ancienne faculté de droit de l’Université libanaise est bien joli. Mais il y a fort à parier qu’à l’instar de Beit Beyrouth, l’iconique immeuble scarifié supposé recueillir la mémoire de la guerre, la coquille restera quasi vide tant est molle, en haut lieu, la volonté d’animer de telles institutions.
Chats échaudés, nous anticipons une déception à la hauteur de notre enthousiasme et mettons d’ores et déjà au défi les futurs cabinets de doter cette Bibliothèque d’un budget de fonctionnement qui assure sa pérennité et lui permette de « servir et valoir ce que de droit ». Ce serait le moindre des égards envers toutes les personnes, bénévoles et spécialistes, qui, depuis des années, plongées dans ces fameuses caisses entreposées à même le sol d’un hangar, tentent de sauver des documents inestimables dont les pages sont collées, gondolées, moisies, parfois effacées par l’humidité ou dévorées par les anobiums, vrillettes et autres bibliophages. Ce serait aussi mettre à la disposition du public libanais les ultimes archives d’une histoire commune sans laquelle ce pays ne serait qu’un espace de passage et de saccage pour des tribus sans hier et sans lendemain.
« L’Égypte écrit, le Liban imprime, l’Irak lit », disait l’adage au temps pas si lointain où le monde arabe vivait une renaissance que n’allait pas tarder à étouffer l’obscurantisme. Le Liban imprime depuis les balbutiements de l’imprimerie. Le Liban est le territoire source de l’alphabet, le code le plus ingénieux jamais conçu pour fixer la parole qui s’envole. En une époque où l’on brûle les bibliothèques, le Liban mérite une Bibliothèque nationale digne de ses valeurs et de sa culture.
À l’occasion de ce plaidoyer, je découvre sur le site en construction de la BNL un personnage-clé dont peu de Libanais ont entendu parler et qui, au regard de ses réalisations, aurait dû et devrait occuper une place privilégiée dans les livres scolaires et l’histoire du Liban. Il s’agit de Philippe de Tarrazi (1865-1956), écrivain, poète, chercheur, historien de la presse arabe et fondateur en 1922 de la première Bibliothèque nationale, dont le siège se trouvait au centre-ville de Beyrouth. Il voulait offrir à ses contemporains « un lieu de lecture et de recherche ». Aujourd’hui plus que jamais, un tel lieu protecteur de la mémoire écrite, fédérateur dans le silence de la réflexion et la quête de vérité, nous est simplement vital.
commentaires (5)
"petit émirat gazier" : MDR ...
CHARLES OBEGI
23 h 47, le 06 décembre 2018