Depuis plus d’un an que le dossier de la pollution du fleuve Litani est traité avec une intensité grandissante – du moins en apparence – sous le coup des scandales, et qu’un budget a été alloué par l’État à cette fin, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Malgré la fermeture d’industries illégales, les annonces de projets d’assainissement ou encore de nettoyage du fleuve, la pollution reste alarmante, ce qui fait dire à Kamal Slim, chercheur au Conseil national de la recherche scientifique et spécialiste du Litani, que « l’eau du fleuve n’est désormais plus qu’eaux usées, qu’elles soient ménagères ou industrielles ».
Sami Alaouiyé, directeur de l’Office des eaux du Litani, en poste depuis mars 2018, fait un bilan mitigé des derniers mois. « Il y a eu des progrès, mais pas à la hauteur des espérances des Libanais et de l’ampleur de la catastrophe environnementale », dit-il à L’Orient-Le Jour.
M. Alaouiyé fait un inventaire des stations d’assainissement et réseaux d’égouts en cours de construction ou sous forme de projets dont le Conseil du développement et de la reconstruction a assuré les financements (indépendamment du budget de 1 100 milliards de livres débloqué par l’État) : deux stations principales à Marj – dont l’exécution, qui devait commencer en octobre, a été retardée – et Tamnine – dont la construction est bloquée par l’expropriation d’un seul bâtiment. Une station existante à Iaat, mais qu’il faut réhabiliter pour qu’elle recommence à fonctionner, avec beaucoup de retard. L’ensemble des réseaux d’égouts de Tamnine tarde également à être finalisé. Les réseaux de Baalbeck devraient être terminés d’ici à août 2019, alors que ceux de Zahlé auraient dû l’être en octobre dernier, ce qui n’a pas été le cas. Au niveau du bassin supérieur, la construction des stations de Anjar et de Majdel Anjar devrait commencer début 2019, alors que les réseaux d’égouts devant être reliés aux stations de Jeb Jannine et Saghbine nécessiteront trente mois à partir de février 2019, tout comme les réseaux à relier à la station de Aïtanit devraient l’être courant 2019.
En d’autres termes, foisonnement de projets, retards, stations non reliées à des égouts… « Pour ces projets, le budget existe, mais pourra-t-on financer leur fonctionnement à long terme ? L’Office des eaux de la Békaa pourra-t-il prendre la relève ? J’en doute dans les circonstances actuelles », souligne M. Alaouiyé.
Du budget de 1 100 milliards de livres alloué par l’État au nettoyage du fleuve sur 7 ans, 3 milliards devraient parvenir en tout à l’Office du Litani. La partie de ce budget réservée aux deux premières années de 2017-2018 n’est pas encore parvenue à cette institution, selon son directeur. Jusque-là, 57 milliards de livres ont servi à des adjudications par le ministère de l’Énergie dans le bassin inférieur, selon lui. À savoir qu’un prêt de 55 millions de dollars a été assuré par la Banque mondiale et d’autres bailleurs à l’Office du Litani et aux ministères concernés, également pour des projets visant à l’assainissement du fleuve.
(Tribune : Nous pouvons sauver la rivière Litani, par Philippe LAZZARINI)
« Il est facile de déterminer les sources de pollution »
Pour ce qui est du problème des égouts industriels, une loi de 2012 stipule que chaque usine doit avoir sa propre station d’épuration, adaptée à ses rejets. M. Alaouiyé déplore qu’un ancien ministre de l’Environnement ait accordé des délais aux industriels, allant de 2018 à 2020, pour s’y conformer, « ce qui a précipité une dégradation totale de la qualité de l’eau du fleuve ».
Pas étonnant, dans ces conditions, que la pollution du fleuve ait atteint de tels sommets. « La qualité de l’eau est telle qu’elle devient problématique pour l’irrigation, infestée de métaux lourds et de microbes », souligne Kamal Slim. Interrogé sur le nettoyage du fleuve, il assure que « tous les efforts resteront vains tant que les sources de pollution ne seront pas taries, donc avant que des stations d’épuration ne soient fonctionnelles et dûment reliées à des réseaux d’égouts ». Or, malgré toutes les annonces de mise au pas des industries contrevenantes, « celles-ci continuent de jeter massivement leurs eaux usées dans le fleuve, certaines ayant installé des stations juste pour la forme ».
L’expert précise qu’il est facile de déterminer les sources de pollution avec précision, indiquant qu’une étude de 160 pages effectuée à la demande de l’Office du Litani a déjà recensé toutes les informations nécessaires.
Qu’en est-il de la pollution ? Peut-on encore la traiter ? « La grande concentration de polluants se trouve dans les sédiments, affirme Kamal Slim. Quand le nettoyage du fleuve pourra réellement commencer, il faudra traiter cette pollution par tronçon, sachant qu’il y a beaucoup d’affluents au Litani. » L’expert accorde une attention particulière au lac Qaraoun, où toute cette pollution vient se déverser, et qui connaît en cette année sèche l’un de ses niveaux les plus bas (33 millions de mètres cubes contre les 220 millions auxquels on aurait pu s’attendre). Or ce lac est lourdement pollué par des toxines de la famille des cyanobactéries, des bactéries très nocives appelées algues bleues bien qu’elles n’aient rien à voir avec les algues.
« Les lois ne sont pas appliquées »
Le scientifique est très préoccupé par l’étendue du gâchis et du gaspillage de ressources que représente ce dossier. Interrogé sur le retard à faire de cette question une priorité, alors que toute la région vit dans un véritable désastre écologique, Sami Alaouiyé ne mâche pas ses mots : « Les lois n’avaient jamais été vraiment appliquées. »
Aujourd’hui, dans le cadre de ses prérogatives limitées, l’Office des eaux du Litani a porté plainte contre 251 industries : après enquête judiciaire, il a été prouvé que 82 sont polluantes. « Des 82 industries contre lesquelles nous avons porté plainte, une quarantaine commencent à se conformer aux normes, assure M. Alaouiyé. Le procureur général financier les convoque actuellement pour les interroger sur l’impact de leur pollution du fleuve. Nous avons également porté plainte contre des municipalités, et la justice les oblige à détourner leurs égouts du fleuve. Nous leur proposons une solution simple, celle de construire un système de bassins pour y rassembler les eaux usées puis les purifier à l’aide de roseaux. Pour les municipalités qui ont recours aux fosses septiques, nous leur demandons de les garder le temps qu’elles soient reliées au réseau officiel. »
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commentaires (6)
C'est la mafia....
Eleni Caridopoulou
22 h 33, le 30 novembre 2018