Contrairement à l’administration Trump, le Sénat américain n’est pas encore prêt à tirer un trait sur l’affaire Khashoggi. Les élus se sont entendus mercredi après-midi, par 63 voix contre 37, sur un projet de résolution « bipartisane » visant à mettre fin à l’assistance militaire américaine directe envers la coalition menée par l’Arabie saoudite dans sa campagne au Yémen.
Un véritable changement de donne de la part d’un Sénat à majorité républicaine qui s’était dressé contre la même résolution en mars dernier (celle-ci n’avait récolté à l’époque que 44 voix favorables) et qui illustre les divisions actuelles entre la classe politique américaine et l’administration Trump sur le sujet saoudien. La principale origine de ce basculement est le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi le 2 octobre dernier au consulat de son pays à Istanbul.
« Les sénateurs ont voté pour la bonne option, mais pour de mauvaises raisons. Ils ont voté pour la résolution, non pas par empathie à l’égard du Yémen, mais à cause de l’attitude du président Trump (à l’égard de l’affaire Khashoggi), et aussi parce que la directrice de la CIA, Gina Haspel, ne s’est pas présentée devant eux pour répondre à des questions sur le meurtre du journaliste », estime Thomas W. Lippman, spécialiste des affaires américano-saoudiennes au Middle East Institute, contacté par L’Orient-Le Jour. Ce sont en effet les services de renseignements américains qui avaient les premiers révélé que le meurtre du journaliste saoudien avait été commandité par le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane (MBS).Quelques heures avant le vote de la résolution, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le secrétaire à la Défense James Mattis avaient tenté de convaincre les élus, lors d’une session à huis clos, de ne pas l’approuver. Le chef de la diplomatie américaine avait alors déclaré que la situation au Yémen serait « bien pire » si les États-Unis ne soutenaient plus la coalition arabe au Yémen. Il a également défendu la position exprimée par le président américain Donald Trump de maintenir l’alliance « inébranlable » avec Riyad, malgré les soupçons qui pèsent sur MBS. En vain. « Le meurtre du ressortissant saoudien Jamal Khashoggi en Turquie a relancé les critiques au Congrès et dans les médias, mais une révision à la baisse des relations américano-saoudiennes serait une grave erreur pour la sécurité nationale des États-Unis et de leurs alliés », écrit le chef de la diplomatie américaine dans une lettre publiée sur le site internet du département d’État. « Tout ce que nous obtiendrions d’un retrait américain, c’est un Iran plus fort, un État islamique et un groupe el-Qaëda revigorés dans la péninsule Arabique », a déclaré M. Pompeo, d’après des propos rapportés par le quotidien américain Washington Post. Mais selon des analystes américains, le résultat du vote ne représenterait pas un grand danger pour le partenariat américano-saoudien, et serait davantage un geste symbolique pour exprimer le ras-le-bol et l’inquiétude au sein de la classe politique américaine quant à l’imprévisibilité du prince héritier.
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Pas de danger réel
« Ce vote est essentiellement un geste permettant aux sénateurs de s’indigner de manière appropriée, sans aucun coût », pense Thomas W. Lippman. Malgré son approbation, la résolution doit être encore approuvée à la Chambre des représentants (qui forme le Congrès avec le Sénat) pour passer. Mais selon des informations rapportées par le New York Times, cela ne semble pas d’actualité, du moins pour le moment. « Il est peu probable qu’il (ce vote) soit adopté par la Chambre (des représentants) avant la fin de la session du Congrès, à la fin de l’année. Les chances seront meilleures à la Chambre l’année prochaine, lorsque les démocrates deviendront majoritaires », dit l’article du NYT. « Le vote du Sénat ne changera rien, sauf si le secrétaire d’État et le secrétaire à la Défense jugent que ce n’est plus dans l’intérêt des États-Unis de préserver cette aide », poursuit M. Lippman. Mais l’administration Trump ne veut en aucun cas reconsidérer son partenariat stratégique avec l’Arabie saoudite et entend bien poursuivre le cap qu’elle s’est tracé, surtout avec la persistance de la menace iranienne dans la région.
Hasard du calendrier ou volonté de rassurer son allié, Washington a annoncé mercredi le scellement d’un nouveau contrat de vente d’un système de défense antimissile THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) d’une valeur de quinze milliards de dollars avec le royaume wahhabite. Ce système, utilisé par les États-Unis depuis 2008 et dont les négociations pour le fournir à Riyad dataient de décembre 2016, est capable d’intercepter des missiles balistiques de moyenne portée et a pour but de « renforcer sur le long terme la sécurité de l’Arabie saoudite et de la région du Golfe face à la menace balistique croissante du régime iranien et des groupes extrémistes soutenus par l’Iran », a déclaré une porte-parole du département d’État. Autrement dit, tant que l’Iran sera considéré comme une menace stratégique pour les États-Unis, le partenariat américano-saoudien ne devrait pas être ébranlé.
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Tout est dit dans le premier commentaire. J'ajouterais seulement que comme cela est écrit dans l'article, les sénateurs entrent en rébellion pour embêter Trump et non pas pour changer la donne au Moyen-Orient. Le prince héritier va continuer à avoir les mains libres et ce sont des milliers de nouvelles victimes qui seront à déplorer. Un vrai besoin de changement se fait rudement sentir !
19 h 41, le 30 novembre 2018