Treize présidents de la République en 75 ans d’indépendance… Un long et périlleux parcours semé d’embûches, de crises existentielles, de quête d’identité et de recherche d’un équilibre interne aux contours encore nébuleux. Depuis ce tournant historique de 1943, le pays du Cèdre a été régulièrement ébranlé, et continue de l’être, par des tempêtes qui n’en finissent pas de souffler de toutes parts dans une région sans cesse sujette à des guerres sans fin et de sanglants conflits internes.
De Béchara El Khoury à Michel Aoun, un rapide survol des différents mandats présidentiels qui se sont succédé permet de cerner l’ampleur des effets déstabilisateurs que les interférences étrangères ont eus sur le projet de construction de la « Maison libanaise ». Chacun des treize présidents a eu à faire face, à sa manière, et en fonction de la conjoncture du moment, aux appétits et à l’expansionnisme d’une force ou puissance régionale.
En s’affranchissant – un peu trop prématurément, diront certains – du mandat français, le Liban pensait s’être engagé sur la voie de l’édification d’un État rassembleur garant des droits et des intérêts des principales communautés, sur base d’un pacte national dont l’essence était la neutralité du pays, suivant la formule des « deux négations » dénoncée par Georges Naccache : « Ni Occident ni unité arabe. » Mais c’était sans compter les bouleversements régionaux qui allaient poindre à l’horizon. Le Liban connaîtra alors sous la plupart des mandats présidentiels des violations successives du fondement de ce pacte national, constituant autant de sources de discorde interne et apportant la preuve que la neutralité est un passage obligé à une paix civile durable.
Rapidement, le président Camille Chamoun, qui succéda à Béchara El Khoury, sera confronté à une montée du nationalisme arabe catalysée par Nasser, lequel réussira à galvaniser les masses sunnites, notamment au Liban, autour de son projet panarabe et « anti-impérialiste » (entendre anti-occidental).
La crispation chrétienne face à ce courant centrifuge ne tardera pas à se manifester sous l’impulsion de Camille Chamoun. Les événements de 1958 ont constitué dans cette optique la première grave cassure entre les deux ailes du pays, après l’indépendance, du fait qu’une partie de la classe politique et de la population a répondu présent à l’appel du nassérisme. Dans ce contexte régional de l’époque, marqué par l’omniprésence du « raïs » égyptien, le président Fouad Chébab sera pratiquement le seul président à avoir réussi à faire respecter le pacte en pratiquant une politique de neutralité, laquelle se manifestera symboliquement par son refus de se rendre chez Nasser ou même de le recevoir à Beyrouth ; il insistera pour que son entrevue avec lui se fasse à la frontière libano-syrienne, sous une tente. Fait significatif qui mérite réflexion : c’est cette politique de neutralité qui aura permis à Fouad Chéhab de mettre en place, sereinement, une structure étatique moderne en créant les organismes de contrôle et plusieurs institutions nationales appelés à régir divers domaines de la vie publique.
L’entreprise chéhabiste d’édification d’un État rassembleur et souverain digne de ce nom, fondé sur une neutralité bien comprise, fera long feu. À partir du mandat de Charles Hélou (1964-1970), chacun des présidents qui accédera au pouvoir sera confronté à une puissance régionale différente dont les ambitions dévorantes trouveront écho au plan interne, sabotant ainsi l’essence du pacte national et bloquant le bon fonctionnement des structures étatiques. Ce fut le cas avec l’OLP sous les mandats de Charles Hélou et Sleiman Frangié qui seront contraints, sous la pression locale mais aussi régionale, de composer avec les organisations palestiniennes armées, au prix de graves violations de la souveraineté de l’État central.
À partir du mandat d’Élias Sarkis, ce sont surtout les occupations israélienne et syrienne qui pèseront de tout leur poids sur la stabilité et la vie politique dans le pays, des factions locales jouant un peu trop le jeu de la puissance étrangère présente sur le sol libanais. Certains présidents iront même jusqu’à adopter une attitude de type ouvertement « vichyste », tandis que d’autres, plus souverainistes (à l’instar d’Élias Sarkis, d’Amine Gemayel ou de René Moawad, exception faite du cas particulier de Bachir Gemayel), s’emploieront à gérer au mieux l’indépendance en jugulant les visées hégémoniques régionales, autant que la conjoncture du moment le leur permettait. Mais à chaque mandat, les notions d’indépendance et de souveraineté étaient largement foulées au pied et, du coup, il était pratiquement interdit à l’État d’exercer pleinement son autorité.
Le retrait syrien de 2005 pavera largement la voie à une influence iranienne directe dont les effets se font ressentir jusqu’à aujourd’hui. Le président Michel Sleiman lancera vers la fin de son mandat une louable initiative visant à replacer le Liban sur le chemin salutaire de la neutralité avec la déclaration de Baabda. Et la grande inconnue au stade actuel est de savoir si le président Michel Aoun parviendra, et comment, à contenir l’expansionnisme iranien sur le terrain libanais et à surmonter les graves conséquences de l’implication du Hezbollah dans les guerres et conflits de la région, au service du vaste projet transnational du régime des mollahs à Téhéran.
N.B. Ce spécial n’est pas un survol historique des différentes phases des 75 ans d’indépendance. Il vise simplement à exposer, sur base de témoignages, comment chacun des présidents qui se sont succédé au pouvoir depuis 1943 a géré (ou pas…) les impératifs de la souveraineté et de l’indépendance, en fonction de la conjoncture du moment.
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Si LE SEUL VRAI RÉSISTANT ... le martyr des martyrs le président élu assassiner par la sœur Syrie l inégalable BACHIR GEMAYEL ... rassembleur de tous les libanais !!
22 h 43, le 24 novembre 2018