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Liban - Droit de la famille

Ibrahim Traboulsi : Des progrès énormes, mais une évolution inégale en matière de garde parentale

Spécialiste du droit de la famille, l’avocat rend hommage à la société civile, relevant que l’intérêt de l’enfant est désormais privilégié au sein de certaines communautés religieuses, mais moins dans d’autres.

L’avocat Ibrahim Traboulsi, lors d’une rencontre avec « L’Orient-Le Jour ». Photo A.-M.H.

Deux drames liés à la garde parentale ont récemment ému l’opinion publique libanaise, après avoir été largement relayés sur les réseaux sociaux. Tous deux mettent en relief le caractère discriminatoire des lois communautaires à l’égard des femmes, en cas de divorce. Dans ces deux affaires qui divisent des couples mariés selon le code du statut personnel jaafarite chiite, des mères privées de la garde de leur enfant s’insurgent et dénoncent. Et pour cause, le tribunal jaafarite prévoit qu’en cas de divorce, la mère obtient la garde de l’enfant jusqu’à l’âge de deux ans seulement.

Après avoir été condamnée à trois mois de prison pour n’avoir pas ramené à son père, Hussein Kdouh, son fils de 6 ans qui lui rendait visite, Rita Choucair a finalement obtenu, après un accord à l’amiable avec son ex-époux, le droit de garde de son fils, cinq jours par semaine. L’autre affaire est loin d’être terminée et continue de faire des remous. Fatmé Zaarour, mère et avocate de profession, lance un appel public à son ex-époux, le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, le suppliant de lui rendre son fils de deux ans et cinq mois. Regrettant l’injustice qui la prive de son fils et prive ce dernier de sa mère, dénonçant les différentes formes d’intimidations auxquelles elle est soumise, elle montre, vidéo à l’appui, l’intervention musclée des forces de l’ordre à son domicile, qui lui arrachent l’enfant pour le ramener à son père. Ce qui a poussé le procureur général près la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud, à publier une circulaire invitant les parquets à respecter les procédures légales et à exiger notamment la présence d’une assistante sociale lors de telles interventions (lire ci-contre).


(Pour mémoire : Comment une mère libanaise a échappé de justesse à la prison)


Au-delà de ces deux affaires qui mettent en exergue les violations des droits des femmes et de l’enfance, la société libanaise assiste inéluctablement à une évolution des mentalités et des pratiques. Et pour cause, la pression exercée par la société civile se fait de plus en plus forte. Pour comprendre comment s’effectuent ces changements, L’Orient-Le Jour a interrogé l’avocat, enseignant universitaire et expert Ibrahim Traboulsi. Spécialisé dans le droit de la famille au Liban, promoteur du mariage civil codifié et d’un code du statut personnel (compte tenu que le statut personnel a été cédé aux communautés religieuses par l’arrêté numéro 60 L.R.), le spécialiste fête cette année son jubilé d’or d’exercice de la profession d’avocat. Les précisions du juge chérié sunnite, cheikh Mohammad Nokkari, permettront de compléter le tableau.


Y a-t-il évolution du dossier de la garde parentale en faveur des femmes, en cas de divorce ?

L’évolution du dossier est inégale au Liban et dépend des communautés religieuses. Désormais, lorsque les parents sont en conflit, l’ensemble des tribunaux religieux chrétiens recherchent l’intérêt de l’enfant. Autrefois, l’enfant était retiré à sa mère dès l’âge de deux ans, sur décision du tribunal religieux et selon les lois communautaires en vigueur (tout en lui accordant un droit de visite). Les ordres considéraient que cette période était suffisante pour permettre à la mère d’allaiter son enfant. Mais aujourd’hui, et même si l’âge de la garde parentale accordée à la mère a été modifié sur le papier par certaines communautés chrétiennes, et plus précisément la communauté grecque-orthodoxe (14 ans pour les garçons, 15 ans pour les filles) et la communauté évangélique (12 ans pour les filles et les garçons), on ne parle plus vraiment d’autorité parentale. Partant de la nécessité de tenir compte de l’intérêt de l’enfant, les tribunaux religieux chrétiens privilégient la garde alternée plutôt que la garde parentale, tout en maintenant l’enfant chez sa mère dans la grande majorité des cas. Car ils reconnaissent qu’on ne peut arracher un enfant à sa mère, et que les deux parents doivent se concerter sur l’éducation de leur enfant, son développement social et son bien-être. Et pour mieux comprendre les besoins de chaque enfant, ils insistent sur la nécessité de se baser sur les rapports des assistantes sociales qu’ils ont nommées. Et qui plus est, le remariage de la mère n’est plus considéré comme une raison valable pour la priver de son enfant. Là aussi, c’est l’intérêt de l’enfant qui est privilégié.

Au sein de l’islam, les avis sont partagés. La communauté sunnite a modifié ses lois en 2012, accordant à la mère divorcée le droit de garde de ses enfants jusqu’à l’âge de 12 ans. Mais le tribunal chérié affirme qu’il ne se contente pas d’appliquer ce texte à la lettre (le cheikh Mohammad Nokkari précise à L’Orient-Le Jour que les enfants de 12 ans peuvent continuer à vivre chez leur mère, si cela sert les intérêts de l’enfant, car c’est l’intérêt de l’enfant qui prime, NDLR). Alors qu’on compte également une évolution des textes de loi de la communauté druze (12 ans pour les garçons, 14 ans pour les filles), les tribunaux jaafarites (chiites) refusent de modifier leurs lois sur le statut personnel en faveur des mères divorcées, car ils considèrent que ces lois font partie du dogme. Le droit de garde des mères demeure donc fixé à deux ans pour les garçons et sept ans pour les filles. Une décision très contestée.


(Lire aussi : Divorce à la libanaise)


Qu’est-ce qui a entraîné ces changements ?

La pression sociale est particulièrement forte à l’encontre des lois discriminatoires envers les femmes. Non seulement la société civile, les médias et les ONG féministes exercent une pression continue et efficace sur les communautés religieuses et sur la classe politique, afin qu’elles respectent les droits des femmes et des enfants, mais les mères de famille n’hésitent plus à protester, à refuser même d’appliquer des lois iniques qui les privent de leurs enfants. Quitte à faire de leur histoire une cause publique, à inonder les médias et les réseaux sociaux de scandales. Compte tenu aussi que les mêmes considérations s’appliquent pour le droit de visite.

Alors, pour échapper aux lois communautaires, chaque année davantage de jeunes couples libanais se marient civilement à l’étranger, principalement à Chypre, les autorités ne reconnaissant pas le mariage civil contracté au Liban (les tribunaux islamiques libanais ne reconnaissent pas non plus le mariage civil contracté à l’étranger par deux personnes de confession musulmane, NDLR). Dans ce cadre, les tribunaux religieux ne peuvent plus se permettre d’ignorer le message d’un jeune enfant qu’on enlève à sa mère pour le remettre à son père, sous prétexte qu’il a atteint l’âge légal. Chaque enfant a son propre message, sa façon de réagir et d’exprimer sa souffrance. Il peut tout bonnement refuser de quitter sa mère, parce qu’il est attaché à elle et qu’il a toujours besoin d’elle. Il peut aussi refuser de se rendre chez son père, pour diverses autres raisons.


Comment les juges civils peuvent-ils aujourd’hui contourner les lois communautaires pour faire respecter le droit des mères divorcées ?

Les communautés religieuses n’étant pas mandatées à exécuter les jugements de leurs tribunaux respectifs, les décisions des tribunaux religieux sont présentées aux Palais de justice pour être mises à exécution. En vertu de l’article 997 du code civil, ce jugement est alors présenté à la mère (ou le père éventuellement), qui a l’obligation d’exécuter le jugement. En cas de réticence, cette dernière est passible de prison. Mais lorsque l’enfant refuse de quitter sa mère, cela ouvre la voie au recours aux deux lois sur la protection des mineurs et contre la violence domestique, autrement dit aux tribunaux civils. Ce qui encourage de nombreux parents à se cacher derrière ces pratiques pour bloquer l’application de la décision de justice leur imposant de remettre leur enfant à leur ex-conjoint. En se cachant derrière la souffrance de leur enfant mineur, ils règlent malheureusement leurs comptes avec leur ancien conjoint. Or le recours au civil ne doit pas bloquer le droit de garde, ni le droit de visite, qui sont des droits sacrés. Mais en même temps, l’État a le devoir de protéger les enfants.


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commentaires (1)

Que de drames vécus et en perspective... C'est terrible!

NAUFAL SORAYA

07 h 25, le 14 novembre 2018

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Commentaires (1)

  • Que de drames vécus et en perspective... C'est terrible!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 25, le 14 novembre 2018

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