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L’histoire inachevée

Elle laisse songeur, cette féroce guerre des mots qui fait rage en France, à l’heure où est célébré avec faste le centenaire d’une victoire qui mit fin à un conflit mondial se soldant par plus de 18 millions de morts.


Tempête dans un verre d’eau, comme assurent les uns ? Dans des flots de sang, comme s’en offusquent les autres ? Dans des torrents de salive et d’encre, pourrait-on croire plutôt, à l’ère de cette information permanente où la moindre syllabe prononcée par l’un ou l’autre des grands de ce monde est instantanément reproduite, amplifiée, analysée, commentée, contestée ou défendue, dans un tourbillon sans fin.


Gage de démocratie ou agaçant trait de société – on ne sait plus trop –, le débat est devenu le maître mot de la vie politique, économique, culturelle, domestique – de la vie tout court – des Français. On s’y engouffre avec ferveur à gauche comme à droite, on débat de tout et de rien, de l’âge de la retraite comme du travail le dimanche, des pesticides, du casque à vélo comme de l’immigration. Et c’est évidemment pain bénit pour les plateaux de télévision qui meublent à peu de frais des heures d’antenne.


En qualifiant Philippe Pétain de grand soldat, Emmanuel Macron était techniquement, historiquement dans le vrai, parce qu’on n’obtient pas un bâton de maréchal en se tenant embusqué dans quelque confortable salon d’état-major tandis que les poilus se font charcuter sur le champ de bataille. Il parlait vrai, de même, en déplorant la politique de collaboration avec Hitler qui a valu à ce personnage une ignominieuse fin de carrière et une modeste tombe dans l’île d’Yeu plutôt qu’aux Invalides. Ces propos ayant été jugés scandaleux, ou pour le moins politiquement incorrects, l’Élysée a dû faire marche arrière et préciser que le proscrit ne ferait pas l’objet d’un hommage individuel. Mais la controverse est loin d’être éteinte pour autant.


Or point n’est besoin d’être un spécialiste des sciences humaines pour se douter que l’histoire accueille indifféremment dans ses annales monstres et héros, et qu’on n’a pas encore inventé un système universel de classement permettant à l’humanité entière de se mettre d’accord sur la question. Pour s’écrire, l’histoire attend souvent que la patine du temps ait fait son œuvre. Le souci d’objectivité dont elle se prévaut par définition ne déteint pas forcément sur le public. Mieux encore, il peut la porter elle-même à opérer des corrections de tir ou même parfois de spectaculaires rétropédalages.


Entre autres motifs d’indignation qu’a suscités la présidentielle évocation de Pétain, figure incontestablement l’indéniable responsabilité qu’assume le régime de Vichy dans la déportation des juifs français durant la Seconde Guerre mondiale. Tout aussi condamnable est la démarche révisionniste visant à nier l’effroyable ampleur de l’Holocauste. Mais qui donc a-t-il seulement tenu compte des fracassantes et fort courageuses révélations que faisaient, il y a une quarantaine d’années déjà, les Nouveaux historiens israéliens ? Documents d’archives à l’appui, ceux-ci mettaient littéralement en pièces l’historiographie traditionnelle de l’État hébreu, notamment pour ce qui a trait aux atrocités délibérément commises en 1948 contre les populations civiles arabes, dans le but de provoquer l’exode palestinien…


Pour conclure (et charité bien ordonnée commençant par soi-même), qu’en est-il de notre relation, nous Libanais, avec l’histoire ? Nous sommes unanimes à tirer fierté de nos millénaires et de tous les envahisseurs venus puis partis, alors que demeurait pérenne notre terre. Mais c’est à peu près tout car nous nous refusons avec acharnement à partager nos icônes et nos reliques, à mettre en commun aussi bien les monstres que les héros, locaux ou étrangers, qui ont pesé sur notre destin.


C’est surtout du côté de notre mémoire récente qu’il y a toutefois problème : celle des quinze années de guerre, bien sûr ; mais aussi toute la période courant depuis l’indépendance de 1943, inexistante à son tour, pour cause de désaccord, dans nos manuels scolaires …


Dès lors quel devenir d’ensemble, on vous le demande, avec un tel déni du passé ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Elle laisse songeur, cette féroce guerre des mots qui fait rage en France, à l’heure où est célébré avec faste le centenaire d’une victoire qui mit fin à un conflit mondial se soldant par plus de 18 millions de morts. Tempête dans un verre d’eau, comme assurent les uns ? Dans des flots de sang, comme s’en offusquent les autres ? Dans des torrents de salive et d’encre,...