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Moyen Orient et Monde - Crise

Déjà à terre, l’Iran subit le second round des sanctions américaines

Écartelée entre une population désespérée et un pouvoir divisé, la République islamique subit la seconde salve de mesures punitives au pire moment. Pliera-t-elle pour autant ?


Le président américain Donald Trump et son homologue iranien Hassan Rohani. Photos AFP

Le bras de fer américano-iranien entre dans sa seconde phase. Trois mois après l’entrée en vigueur des premières sanctions américaines portant sur les transactions financières et la vente des matières premières, la seconde salve de ces mesures punitives entre en application aujourd’hui. Elle cible cette fois-ci la Banque centrale iranienne, le transport maritime, la construction navale, mais surtout le pétrole et le gaz, véritables piliers d’une économie iranienne déjà en piteux état.

Ces sanctions résultent de la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action) le 8 mai dernier et sont destinées à provoquer un « changement d’attitude » de la part de la République islamique concernant notamment son programme nucléaire mais aussi balistique et sa stratégie d’influence dans le Moyen-Orient. Mais la première victime de ce nouveau train de sanctions, c’est la population iranienne, déjà à bout de souffle du fait des premières mesures punitives d’août dernier.

Celles-ci ont suscité une augmentation spectaculaire de l’inflation, la chute de la monnaie nationale (le rial iranien a perdu les deux tiers de sa valeur depuis le début de l’année), la hausse du prix des produits de première nécessité, comme les médicaments. S’ajoutent à cela le chômage de masse, la corruption endémique et le financement des milices d’Irak et de Syrie que la population iranienne semble de moins en moins supporter. Un sentiment d’injustice gagne donc les Iraniens qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent subir les conséquences des agissements de leurs dirigeants. « Il y a un terme qui définit le sentiment actuel de la population iranienne et qui se traduit en persan par feshar-e zendegi, c’est-à-dire la “pression de la vie” », explique Jonathan Piron, historien et politologue spécialiste de l’Iran, contacté par L’Orient-Le Jour. « Il y a au sein de la classe la plus pauvre, mais aussi moyenne et parfois même moyenne-aisée de la population, un sentiment d’un avenir complètement bouché, d’injustice et d’indignité qui amène à une consommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs qui est en hausse malgré l’augmentation du prix des médicaments », ajoute-t-il.

Les rares moyens d’expression dont la population dispose sont les manifestations de masse et les grèves. Elles se sont multipliées ces derniers mois, en particulier dans le grand bazar de Téhéran, mais aussi de la part des camionneurs et des enseignants. La population iranienne va même jusqu’à vendre, une fois la nuit tombée, ses propres biens sur les trottoirs pour pouvoir boucler les fins de mois. « Il y a un mécontentement croissant au sein de la population, surtout chez les pauvres, les fonctionnaires et ceux qui ont des salaires fixes. Ce sont eux les plus touchés par l’inflation. On a des manifestations très régulières et pas seulement des mouvements de masse. Une femme a enlevé son voile en pleine rue », estime quant à lui Clément Therme, chercheur à l’Institut international d’études stratégiques (IISS). « Contrairement à ce que les Américains pensent, la population iranienne manifeste à cause du résultat de la politique économique de ses gouvernants. Ils manifestent davantage pour des raisons endogènes que les droits civiques et les droits de l’homme », ajoute-t-il. Mais si la population est la première victime des sanctions américaines, des perturbations existent également au sein du pouvoir iranien.


(Repère : Pétrole et banques visés par les sanctions américaines contre l’Iran lundi)


Entre façade et réalité
Si à l’extérieur, la République islamique se donne une image d’un pays qui minimise les dommages des sanctions et qui se félicite des divergences au sein du bloc occidental vis-à-vis de la question de l’accord sur le nucléaire, c’est une tout autre histoire qui se déroule sur la scène intérieure où les querelles entre factions politiques se multiplient au vu de l’incapacité du gouvernement actuel à trouver une solution pour lutter contre le marasme économique qui paralyse le pays. « Au sein du pouvoir iranien, il y a un discours externe de minimisation des dommages des sanctions et au niveau interne, une politique d’aide à la population. Il y a aussi une unité de façade entre les différentes factions politiques iraniennes », poursuit Clément Therme. « Il y a une sorte de méthode Coué utilisée par le président Hassan Rohani qui affirme publiquement que la diplomatie américaine des sanctions ne marche pas contre l’Iran. Mais c’est un discours de façade. À l’intérieur, il y a des repositionnements qui sont en train de s’effectuer petit à petit entre les différentes factions », complète Jonathan Piron.

Les critiques contre le président iranien ne cessent par ailleurs de pleuvoir tant de la part des conservateurs, qui ne cachent pas leur joie face à l’échec du président, que de la part des réformistes et des modérés dont M. Rohani est issu. Ce dernier avait été élu en 2013 et réélu en 2017 pour ses programmes économiques et d’ouverture vers l’Occident. Le rétablissement des sanctions américaines et l’incapacité de son gouvernement à pouvoir les contrer lui ont fait perdre toute crédibilité sur la scène intérieure et l’ont donc extrêmement affaibli. Il perpétue ainsi la « tradition » de ses prédécesseurs, tels Mohammad Khatami (1997-2005) ou encore Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), dont le second mandat a été le plus compliqué.

Mais, par rapport à ces derniers, l’affaiblissement de M. Rohani semble s’effectuer de manière « accélérée ». La première audition devant les députés du Majlis (Assemblée nationale iranienne) en août dernier en a été la preuve. Après le limogeage de plusieurs de ses ministres, M. Rohani avait été convoqué devant les élus iraniens pour s’expliquer sur ses solutions économiques, en vain. Selon le système politique en place en Iran, les députés ont le pouvoir de démettre le président de ses fonctions, mais M. Rohani peut compter sur le soutien du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui, même s’il ne s’est pas privé de critiquer la présidence et le gouvernement, souhaite toutefois le voir terminer son mandat de peur de voir d’autres troubles s’ajouter à ceux déjà présents et qui risqueraient selon le guide suprême de faire le « jeu de l’ennemi ».

Les conservateurs, constatant l’échec de cinq ans de présidence Rohani, pourraient ainsi être en position de force en vue des élections législatives de 2020 et de la présidentielle de 2021 si les choses continuent à se détériorer. « Rohani n’arrive plus à fédérer autour de lui comme il le faisait auparavant. On se retrouve maintenant avec des ultraconservateurs qui se réjouissent de l’échec de Rohani et qui pensent pouvoir reprendre le pouvoir aux prochaines élections et remettre le pays en ordre après la politique jugée désastreuse du président », estime M. Piron. Dans ce climat de tensions politiques et économiques, les nouvelles sanctions américaines pourraient-elles au final faire fléchir la République islamique comme le souhaite l’administration Trump ?


(Lire aussi : Pour Khamenei, "les perdants sont les Etats-Unis et le vainqueur est la République islamique")


L’Iran résistera « même à genoux »
Depuis le retrait des Américains du JCPOA, Téhéran entretient des contacts réguliers avec les autres parties prenantes de l’accord et en particulier les Européens. Ces derniers, considérant le deal avec la République islamique comme le meilleur moyen que celle-ci n’obtienne pas la bombe atomique, le défendent bec et ongles. Ils ont pour cela recours à des mécanismes économiques destinés à préserver les échanges avec l’Iran et assurer la pérennité des entreprises européennes sur place malgré les sanctions américaines, quitte à s’attirer des ennuis avec Washington. Mais cela n’empêche pas ces mêmes entreprises de quitter l’une après l’autre le territoire iranien. Un revers face auquel l’Iran a décidé de jouer la carte de la pression en menaçant, si les garanties économiques qu’il réclame auprès des Européens n’étaient pas assurées, de quitter l’accord. Au mois de septembre dernier, l’UE a imaginé la mise en place d’un système de « troc » qui n’utilise pas des transactions en dollars et donc intouchable par les mesures punitives américaines. Il permettrait à l’Iran de vendre son pétrole contre des marchandises ou des outils.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a assuré vendredi dernier que huit pays auront droit d’importer temporairement du pétrole brut iranien pour leurs « efforts importants pour ramener leurs importations de brut vers zéro » et « ont coopéré » avec les États-Unis « sur de nombreux autres fronts ». Sans toutefois préciser quels sont les pays visés, le chef de la diplomatie américaine a néanmoins affirmé que ces pays ne font pas partie de l’UE. La Turquie semble être l’un d’eux. « Nous savons que la Turquie fait partie des pays exempts des sanctions contre l’Iran. Nous attendons les détails », a affirmé le ministre turc de l’Énergie Fatih Dömnez, cité par l’agence de presse Anadolu. Mais la décision de l’administration Trump reste inchangée. Comme elle l’a annoncé il y a quelques mois, elle compte ramener le niveau des exportations iraniennes « au plus près de zéro ». Certains pays pourraient néanmoins choisir de faire passer outre les exigences américaines. C’est par exemple le cas de la Chine et de l’Inde, deux importateurs de pétrole iraniens et amis de Téhéran. Par ailleurs, compte tenu des analyses de plusieurs experts énergétiques annonçant des exportations d’un million de barils par jour après l’arrivée des sanctions, le plan américain de ramener les exportations à 0 % n’est donc pas sans failles.

Une autre semble aussi se situer au niveau de la stratégie américaine d’installation d’un climat révolutionnaire au sein de la population iranienne par une hausse spectaculaire des prix et une augmentation de facto du coût de la vie. Si elle manifeste de manière régulière contre l’inaction du gouvernement actuel, l’équilibre du rapport de force entre la population et les autorités iraniennes balance très largement en faveur de ces dernières. Elles disposent en effet d’une grande capacité de répression des mouvements de contestation et ont prouvé à de nombreuses reprises qu’elles n’hésitaient pas à tirer à balles réelles sur la foule.

Enfin, face aux pressions de ce qu’il appelle le « Grand Satan », Téhéran peut être amené à utiliser son patrimoine historique pour galvaniser sa population et l’appeler à la résistance. Devant la dernière Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, le président iranien lui-même avait déjà rappelé que son pays est un « empire en termes de civilisation et de culture et non par la domination politique ». Les sanctions américaines arrivent par ailleurs à une période de célébrations et de commémorations pour l’Iran. « Quand les États-Unis vont appliquer les sanctions, les Iraniens célébreront le 39e anniversaire de la crise des otages de 1979. On va entrer dans le début des célébrations du quarantième anniversaire de la République islamique (…) Toute une série d’événements vont être très symboliques pour l’Iran et donc très instrumentalisés par le pouvoir pour démontrer qu’ils sont toujours là malgré tout ce qu’ils ont subi de la part de l’Occident et de l’ennemi », explique Jonathan Piron. « Je vois donc très mal, surtout dans le cadre de ces célébrations, un renoncement de la part du pouvoir même s’il est à genoux. Donc il va certainement y avoir une surenchère et des moments symboliques pour affirmer la force de la République islamique face à l’extérieur », conclut-il.



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commentaires (4)

Il y a eu Alexandre le grand qui a mis la Perse ( Iran ) à genou et maintenant Trump l'histoire continue

Eleni Caridopoulou

18 h 47, le 05 novembre 2018

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Il y a eu Alexandre le grand qui a mis la Perse ( Iran ) à genou et maintenant Trump l'histoire continue

    Eleni Caridopoulou

    18 h 47, le 05 novembre 2018

  • Difficile de ramener à la raison un "suicidaire" Adepte de la souffrance rédemptrice... Mais combien de temps le "peuple" iranien se laissera t il leurrer par ses dirigeants religieux et va t en guerre Car contrairement aux puissances voisines, ce "peuple" existe

    Chammas frederico

    10 h 40, le 05 novembre 2018

  • Le mieux c’est de s’occuper avant tout de son peuple ...c’est pas vrai?

    L’azuréen

    08 h 45, le 05 novembre 2018

  • C,EST MECONNAITRE LES SENTIMENTS RELIGIEUX DE MARTYRE ANCRES DANS LES MOEURS DES IRANIENS ET LEURS MANIPULATIONS DES CHIITES DU MONDE ARABE QUE DE PENSER QU,ILS FLECHIRONT FACILEMENT. LA REGION ENTRE DANS L,INCONNU. UNE GUERRE MAJEURE REGIONALE AUX CONSEQUENCES MONDIALES EN RESULTERA !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 08, le 05 novembre 2018

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