Le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi a provoqué une profonde crise internationale, mais celle-ci ne devrait avoir aucun impact sur les victimes du conflit au Yémen où l'Arabie saoudite dirige une coalition militaire, estiment des experts.
Mercredi, au moins 24 civils sont morts dans des frappes aériennes dans la province de Hodeida, dans l'ouest du Yémen, en proie à de violents combats entre les rebelles houthis, soutenus par l'Iran, et les forces gouvernementales appuyées, notamment dans les airs, par Riyad et ses alliés. Ces frappes ont notamment touché une usine de conditionnement de légumes, tuant plusieurs employés, selon l'ONU.
L'Arabie saoudite a été accusée à plusieurs reprises de bavures ayant coûté la vie à des centaines de civils, depuis son intervention en mars 2015 à la tête de la coalition militaire appuyant les forces gouvernementales au Yémen.
La guerre a fait près de 10.000 morts, et 14 millions de personnes sont menacées par une famine imminente, selon l'ONU. Pour le seul mois de septembre, le pays a été touché par 154 raids aériens, d'après Yemen Data Project, une organisation répertoriant les données liées au conflit.
Malgré ces chiffres alarmants, cette guerre peine à capter l'attention internationale.
Depuis l'assassinat de Jamal Khashoggi le 2 octobre au consul saoudien d'Istanbul, les actions de Riyad dans cette affaire sont scrutées de près par la communauté internationale. Mais, soulignent les analystes, le royaume garde les mains libres au Yémen où un civil est tué toutes les trois heures, selon l'ONG Oxfam.
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"L'Arabie saoudite a été pointée du doigt pour le meurtre de Jamal Khashoggi, bien plus qu'elle ne l'a été au cours des dernières années de guerre au Yémen", remarque Farea al-Muslimi, chercheuse associée au cercle de réflexion Chatham House.
Soutenant le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi contre les rebelles houthis, la coalition dirigée par Riyad contrôle l'espace aérien du Yémen et impose un embargo sur le port de Hodeida où transite la majorité de l'aide humanitaire.
Riyad afirme vouloir empêcher les houthis de recevoir des armes venues d'Iran.
Des enquêteurs de l'ONU ont déclaré en août que tous les acteurs du conflit avaient commis des crimes de guerre potentiels. Ils ont toutefois relevé que les frappes de la coalition menée par l'Arabie Saoudite "ont causé le plus de victimes civiles directes".
Mais il est peu probable que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane soit un jour pris à parti pour son rôle dans cette guerre.
"Le meurtre de Jamal (Khashoggi) relève d'un scénario clair: les Occidentaux n'ont eu aucun rôle immédiat dans tout ceci", explique Mme Muslimi. La situation au Yémen "en revanche est complexe", ajoute-t-elle, soulignant que les rôles des uns et des autres ne "sont ni noirs ni blancs".
Plus de 98% des armes importées par l'Arabie saoudite viennent d'Europe et des Etats-Unis, selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Si l'Allemagne a annoncé suspendre ses ventes d'armes à Ryad à la suite du meurtre de Khashoggi, le président français Emmanuel Macron a dans un premier temps balayé cette option, la jugeant "démagogique", avant d'appeler à "une position coordonnée au niveau européen".
De son côté, le président américain Donald Trump a déclaré ne pas aimer "l'idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars", montant de la dernière commande saoudienne de matériel militaire américain.
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En août, une bombe larguée sur un bus au Yémen dans un raid attribué à la coalition menée par Riyad a tué 51 personnes, dont 40 enfants. Elle avait été conçue par l'entreprise américaine Lockheed Martin, a révélé la chaîne américaine CNN.
L'ancien président américain Barack Obama avait interdit la vente de bombes guidées à l'Arabie saoudite, mais cette interdiction a été levée par M. Trump.
L'armée américaine fournit aux forces saoudiennes une aide pour le ciblage de ses raids et le partage de renseignements notamment.
Pour Kristine Beckerle, spécialiste du Yémen pour Human Rights Watch, chaque Yéménite victime d'une frappe de la coalition dirigée par Riyad "mérite autant notre attention qu'un chroniqueur du Washington Post", quotidien américain avec lequel collaborait Jamal Khashoggi. "Un fiancé le jour de son mariage. Des villageois construisant un puits. Des gens au marché... Ils ont tous été tués lors de bombardements de la coalition", rappelle-t-elle. "Aucun de ces probables crimes de guerre au Yémen ne sont parvenus à susciter le même genre d'indignation internationale que ne l'a fait le meurtre de Khashoggi ces dernières semaines", note la chercheuse.
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Parce qu'on a délégué au charcutier héritier le dossier yéménite pour lequel personne mieux que lui ne peut autant tuer des arabes et avec autant de zèles .
20 h 52, le 28 octobre 2018