Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Analyse

Trump, avatar de la revanche néoconservatrice

Le président américain est le pur produit des années 1980, selon les experts.

Le président américain Donald Trump s’exprimant dans le bureau Ovale. Reuters/Leah Millis

À lire ses bordées quotidiennes de tweets, il est tentant de voir Donald Trump comme un président hors du commun, un accident de la démocratie que les institutions n’auraient pu empêcher, alors qu’il n’est que le dernier avatar en date d’une réaffirmation de l’identité américaine masculine et blanche, estiment des analystes.

L’héritier de Fred Trump n’est pas le premier homme d’affaires à être élu à la Maison-Blanche : avant lui Jimmy Carter, qui se présentait comme un entrepreneur agricole de Géorgie, avait su convaincre les électeurs. « Donald Trump a su exploiter un côté proche du peuple, un caractère “plouc du Sud” qui s’inscrit dans une tradition née avec Andrew Jackson (président de 1829 à 1837) qui fut le premier à être élu sur l’ensemble du territoire américain », note Marjolaine Boutet, maître de conférence et historienne à l’Université de Picardie-Jules Verne. « Jackson est le président de la démocratisation. Il lui fallait s’adresser à tout le monde. Ce côté “Sud” tient au fait que la majorité de la population des États-Unis vit dans cette partie de l’Union avec des États déterminants comme la Californie, le Texas ou la Floride », précise l’universitaire.

Loin d’être en rupture avec ses prédécesseurs républicains, Donald Trump, 72 ans, s’inscrit dans un lignage qui s’est imposé depuis une petite quarantaine d’années et l’élection de Ronald Reagan en 1980.

« Il a ce charisme et cette aptitude à débiter de petites phrases creuses. Il a cette rhétorique reaganienne qui était simpliste en diable. Il a cette ressemblance avec George W. Bush dans sa façon de parler très familière et cette idée qu’il est quelqu’un de peu cultivé et de peu subtil », ajoute Marjolaine Boutet. « Donald Trump n’est pas un président transgressif. Si cet adjectif doit être appliqué à quelqu’un, c’est à Barack Obama ou avant lui à Woodrow Wilson (1913-1921) qui ont tous deux été récompensés par le prix Nobel de la paix », rappelle l’historienne.

Bien qu’il soit new-yorkais et bien qu’il n’ait pas fait la guerre du Vietnam, Donald Trump est un pur produit des années 1980 qui furent celles de la revanche de l’homme blanc américain après le traumatisme provoqué par ce conflit, le seul perdu à ce jour par les États-Unis.

Deux Amériques

C’est dans ce canevas historique que Trump a tissé son mythe du « self made man », celui d’un homme qui a bâti seul son empire dans l’immobilier, sans bénéficier de l’aide de son père fortuné. Ce récit semble aujourd’hui battu en brèche par les révélations de la presse qui avance la possibilité de fraudes fiscales dans la transmission du patrimoine familial.

« Après le désastre du Vietnam, une des tâches de Ronald Reagan a été de rendre sa fierté et sa virilité à l’homme blanc », explique Marjolaine Boutet. « Les années 1980 sont une période très paradoxale car elles sont à la fois marquées par un besoin de revanche et le moment où la société américaine s’accepte comme multiculturelle. »

Dans The Remasculinization of America, paru en 1989 aux Indiana University Press, l’universitaire Susan Jeffords examine comment le néoconservatisme a organisé la réaction à la défaite et comment la libéralisation du capitalisme financier a été un moyen de reprendre un contrôle sur le monde. « À partir de cette époque, deux Amériques vont émerger et vivre dans des réalités totalement opposées. D’un côté, les libéraux incarnés par Bill Gates dans la Silicon Valley et de l’autre Donald Trump dans l’immobilier et les parcs d’attraction. On a des parcours similaires mais des visions du monde totalement opposées », explique Marjolaine Boutet.

La vision portée par Donald Trump est celle, ancienne, du protectionnisme et de l’isolement américains, mais également celle d’une crainte constante face au monde asiatique, en particulier de la Chine avec laquelle une guerre commerciale est engagée.

Ce « péril jaune », réel ou fantasmé, remonte au XIXe siècle, époque où les Chinois étaient la seule nationalité interdite d’immigration et de naturalisation aux États-Unis par le « Chinese Exclusion Act » de 188, au motif que leur culture préalable était trop affirmée pour se fondre dans la société américaine. Cette disposition fut complétée en 1924 par une interdiction de toute immigration en provenance d’Asie orientale et par l’internement entre 1942 et 1945 de tous les Américano-Japonais, soit environ 100 000 personnes, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un tribun de la plèbe

« Donald Trump est profondément américain et c’est pour cette raison que les gens votent pour lui. Make America Great Again n’est pas seulement un slogan de campagne », juge Marjolaine Boutet. Et ce n’est pas un hasard si, lors de son investiture le 20 janvier 2017, il a promis un « nouveau rêve américain ».

La modernité et l’originalité de Trump tiennent uniquement à sa manière de faire de la politique. Il est le premier président d’internet 2.0 : il pratique, via Twitter, une forme de démocratie directe dans laquelle la parole ne circule que dans un sens, de lui vers ses électeurs. « C’est un tribun de la plèbe comme il en existait à Rome. Il parle au peuple et il fustige le Sénat qui était tenu par les patriciens engagés dans des débats d’idées. En fait, Donald Trump ne respecte pas la République. Il participe à la disparition du dialogue démocratique qui était incarné par un homme comme John McCain », insiste l’historienne. Le sénateur républicain, ancien prisonnier de guerre au Vietnam, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2008 et détracteur du président Donald Trump, est décédé fin août.

« Il s’en prend aux journalistes, à la justice (notamment au procureur général/ministre de la Justice Jeff Sessions et au numéro 2 du département de la Justice, Rod Rosenstein), mais aussi aux parlementaires dont le travail est de trouver des compromis et d’entretenir un dialogue bipartisan. Il montre une forte intolérance à la critique et la contradiction », dit encore Marjolaine Boutet.En jouant sur les mots, on pourrait dire que Donald Trump est plus démocrate, en ce qu’il croit dans le pouvoir légitime du peuple, que républicain, en ce qu’il s’accommode mal du pouvoir des institutions. « Il occupe en permanence l’espace mental de ses électeurs et de ses adversaires. Il est partout, tout le temps, et il est impossible de lui répliquer car on n’a pas le temps, note Marjolaine Boutet. Il parle sans cesse pour maîtriser le fait qu’on parle de lui. Sans doute que la seule façon de combattre Trump est de ne pas parler, d’avoir l’attitude du procureur Robert Mueller (procureur spécial chargé d’enquêter sur une éventuelle ingérence russe dans la campagne présidentielle de 2016, NDLR). Si on se met à réagir, si on regarde sa notification Twitter, on est fichu. »

Pierre Serisier/Reuters

À lire ses bordées quotidiennes de tweets, il est tentant de voir Donald Trump comme un président hors du commun, un accident de la démocratie que les institutions n’auraient pu empêcher, alors qu’il n’est que le dernier avatar en date d’une réaffirmation de l’identité américaine masculine et blanche, estiment des analystes.L’héritier de Fred Trump n’est pas le premier...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut